À tout à l’heure Sylvie!

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En avril 2015, cela  fait 22 ans que Marcel est mon amoureux. Qu’il est l’homme de ma vie. Au téléphone, lorsqu’il me dit: «À tout à l’heure, Sylvie!», je me demande combien de temps représentent ces quelques mots. 15 minutes ? 4 heures ? Ou s’ils signifient « à ce soir!».

Un texte de Sylvie Daneau – Dossier Santé


Le matin du 24 juin 2008, j’entends encore cette courte phrase. Nous sommes toujours ensemble le jour de la St Jean-Baptiste. Durant la matinée, je presse machinalement les 10 chiffres de son numéro de téléphone dans l’espoir d’entendre sa voix. Chaque fois, sa voix enregistrée m’invite à laisser un court message.

Vers 15h30, la sonnerie du téléphone retentit. C’est Marcel. Enfin! Chacun des mots qu’il prononce me fait mal intérieurement. «Sylvie, c’est moi. Je suis à la Cité de la santé à Laval. J’ai eu un accident »…Il me parle avec des phrases courtes et j’en oublie des mots, tellement je me sens mal.

Il est environ 17h30 quand je vois  Marcel dans une chaise roulante à l’urgence. Assise près de lui, j’ai envie de pleurer. Son beau visage est intact. Par contre, sa jambe est enflée au genou et rougie par la froidure du sac de glaçons.

Il me raconte toute l’histoire. Alors qu’il est en vélo et traverse la rue au feu vert, une jeune femme en automobile sort d’un stationnement. Quand il réalise qu’elle continue de parler avec une jeune fille assise à l’avant et qu’elle tourne sans regarder, il fait une courbe en vélo pour éviter l’impact, mais en vain. Avant qu’elle n’ait le réflexe de freiner, elle le pousse sur une longue distance, sa jambe gauche coincée entre le pare-chocs et sa roue avant, pliée en deux. Il appelle lui-même  une ambulance. Un inconnu lui  offre de l’eau, et Marcel doit attacher son vélo à un poteau, malgré la blessure à sa jambe, car personne ne se soucie de sa bicyclette étendue au milieu de la rue.

L’attente à la salle d’urgence est très longue. Il voit un médecin, puis on lui fait un rayon X. Plus tard, le docteur lui apprend que le ménisque de son genou gauche est endommagé. Il est 23h30 quand nous quittons l’hôpital pour rentrer à Montréal. Quelques jours plus tard, je retourne à Laval pour acheter une copie du constat à l’amiable. La jeune femme qui étudie pour devenir infirmière est  reconnue responsable par les policiers grâce aux témoignages des personnes sur les lieux.

En arrêt de travail forcé à cause de sa difficulté à marcher, mon compagnon reçoit un traitement en physiothérapie pendant 2 mois. Dans les jours et les semaines qui suivent, quand je regarde Marcel qui avance avec une extrême lenteur, j’en veux à cette jeune femme pour son étourderie. Lui qui a l’habitude de me taquiner parce que je ne marche pas assez rapidement, je fais maintenant 5 enjambées tandis que lui n’en fait qu’une demie.

Tous les proches de Marcel, moi y compris, lui conseillent de poursuivre la jeune femme pour les dommages causés à sa jambe. Mais  il ne se laissera influencer par personne. « C’est un accident », répète-t-il. « Elle ne s’est pas levée le 24 juin en se disant : « Je vais foncer sur Marcel P. avec mon auto » » .

Je veux qu’il suive un deuxième traitement de physiothérapie, et je trouve que c’est la moindre des choses qu’elle paie pour le remettre sur pied. Mais il ne veut jamais en entendre parler, car il ne se sent pas la force de retourner au centre de physiothérapie.

Les traces

Depuis 2008, Marcel n’est jamais retourné à Laval. Maintenant, quand il se rend au cimetière de Ste-Marthe-sur-le-Lac pour se recueillir sur la tombe de sa mère (et d’où il revenait le 24 juin 2008), il emprunte un autre trajet en vélo.

7 années se sont écoulées. Parfois, quand on se remémore cet accident, on rit aux larmes en pensant à son vélo qui, décidément, n’a pas eu de chance. Quand il est retourné avec sa sœur pour le récupérer, le siège avait été volé. Puis, sa sœur, qui a entreposé le vélo dans sa cave, passe au feu. De sa bicyclette, il n’est resté que la carcasse et une photo qu’il en avait prise.

Durant l’année 2009, Marcel a cessé de boiter en marchant. Ma colère à l’endroit de cette femme a finalement disparu des années plus tard. Mais lors de toutes nos promenades, nous devons nous asseoir régulièrement, car sa jambe se fatigue. Quand nous nous assoyons, c’est plus fort que moi, je repense à ce 24 juin 2008 et à son « à tout à l’heure, Sylvie!» de 8h du matin, quand son ménisque était intact.

J’ai voulu raconter l’accident de Marcel, car il en arrive chaque année. Des cyclistes, lors d’une collision avec une automobile, ont moins de chance que mon compagnon. La colère est mauvaise conseillère, je le réalise aujourd’hui, et je suis fière de la conduite de l’homme que j’aime.

Aux automobilistes, je dis: regardez avant d’effectuer un virage! Les cyclistes et les piétons sont faits de chair et d’os; ils ne sont pas protégés par du métal.

Statistiques

Au Québec, en 2017, les victimes d’accidents de la route sont :

  • 69 piétons sont décédés, ce qui représente une hausse de 11,3 % des décès comparativement à 2016. Par rapport à la moyenne de 2012 à 2016, l’augmentation des décès chez les piétons est de 25,0 %
  • 11 cyclistes sont décédés, soit 3 décès de plus qu’en 2016
  • 49 motocyclistes sont décédés, soit 5 décès de moins qu’en 2016
  • le nombre de décès dans un accident impliquant un véhicule lourd a augmenté de 12,3 % par rapport à 2016

Source : Bilan routier de la Société de l’assurance automobile

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