Un texte de Jean-Marc Beausoleil
Dossier Santé
Emilie travaille pour Airmédic, la plus grande entreprise du genre au Québec à opérer des appareils dédiés exclusivement au transport médical aérien.
Avec des installations à l’aéroport de Saint-Hubert, à Saint-Honoré (Saguenay), à la Romaine et une équipe à Kuujjuaq, cette entreprise se présente comme offrant un service médicale efficace, sécuritaire et adapté à toute situation sur l’ensemble du territoire québécois, sans parler de collaborations à l’international.
Acheté par le groupe Huot en 2012, Airmédic, qui a commencé avec seulement deux hélicoptères, a profité de plus 90M $ d’investissement dans la dernière décennie.
En moyenne, on parle d’environ 1200 vols par année, ce qui équivaut à 2000 personnes transportées.
Tout cela grâce à quatre hélicoptères Airbus EC145e qui peuvent transporter quatre passagers, jusqu’à deux civières et voler à une vitesse moyenne de 230 km/h ; sans oublier six avions Pilatus PC12 qui peuvent contenir quatre à cinq passagers, plus deux pilotes et qui sont spécialisés en atterrissage sur courte piste ou sur piste de gravier ; et, enfin, un Pilatus PC-24 qui a une vitesse de croisière de 800 km/h et qui peut atterrir sur des pistes non préparées.
Dans un appareil, l’équipe se compose de deux pilotes et de deux infirmières, ou parfois d’une infirmière et d’un paramédic ou un inhalothérapeute. C’est ce qu’on appelle une ambulance volante.
En tout, Airmédic emploie 26 pilotes d’avion, 9 pilotes d’hélico, 45 infirmières, 15 inhalothérapeutes, 20 paramédics et 20 médecins contractuels.
Vol prématuré
Emilie Harrisson : « Je suis déjà allé sur un cas d’une femme qui menaçait d’accoucher. On a dû l’accoucher avant de l’embarquer, sinon ce serait arrivé dans l’avion. Ça se préparait. »
« Un médecin et une sage-femme ont embarqué avec nous. On a été vraiment chanceux. On avait aussi une inhalo et un paramédic. On était une belle équipe. »
« Quand on est arrivé, on a pris le rapport. La sage-femme est allée évaluer la patiente. Elle allait accoucher imminemment. On a séparé les tâches. Le médecin et l’inhalo se sont dit, à l’accouchement, on va prendre en charge le bébé, si jamais il a besoin de soin. La sage-femme et moi avons pris la mère en charge. Parce que quand le bébé naît, il y a quand même deux patients. La femme peut saigner. »
« On ne savait pas vraiment quel bébé on allait recevoir, alors on s’est fait un plan. Finalement, tout s’est bien passé. Ç’a été plutôt la sage-femme et moi qui avons aidé à l’accouchement. Mais toute l’équipe s’était préparée. »
Poste de contrôle
Société distincte oblige, même en ce qui concerne la géographie, Airmédic couvre un plus grand territoire que les autres entreprises du même genre dans le reste du Canada. Cela implique des choix stratégiques spécifiques, par exemple dans la sélection des médicaments ou dans le ravitaillement du carburant.
À la centrale d’appel de Saint-Hubert, deux à trois répondants visualisent en direct et en permanence, sur des écrans géants, où sont les appareils de la compagnie. Ils voient aussi quels employés sont sur le terrain, en repos ou en attente d’une mission.
Dans le hangar des appareils et de l’entrepôt de stock médical, des employés comme Maxim Jones passe en revue la liste de vérification des avions. L’équipement est impressionnant : moniteur, ventilateur, pompe volumétrique pour médication intraveineuse, mais aussi des couvertures pour le transport des patients sur le tarmac en hiver.
Sans oublier les sacs à vomi, les lunettes antifumées, la veste de flottaison… Ou l’incubateur, comme celui utilisé pour sauver la vie d’un bébé prématuré, quelques jours avant mon passage aux bureaux de Saint-Hubert. Une fois décollé, on ne peut plus revenir en arrière. Tout doit être prévu.
Infirmière clinicienne, Emilie travaille dans les avions et dans les hélicoptères. Elle explique les spécificités de sa pratique : « Il faut que tu apprennes à soigner les gens dans les airs. Il y a quand même des effets sur le corps qui ne sont pas à négliger, des facteurs de stress. Comme la diminution de l’humidité, les patients peuvent être déshydratés plus rapidement. Et les soignants aussi. La vibration et le bruit sont aussi des sources de stress. Le froid. La pression de l’air. La diminution de la lumière… »
« Par exemple, un patient intubé a un ballonnet à l’intérieur de la gorge. Habituellement, ce ballonnet est empli d’air. Dans les airs, parce que l’air prend plus d’expansion en altitude, on met de l’eau, pour éviter de provoquer l’expulsion du tube en vol. Ce sont d’importantes détails à ne pas oublier et qui peuvent faire une grande différence. »
Sur ses épaules reposent de lourdes responsabilités : « Parfois, on compte une heure et demie de vol avant d’arriver à l’hôpital. Les distances sont très grandes. »
Seul avec l’équipe
Pilote pour Airmédic, Tom Clair parle de capacité d’adaptation rapide et sécuritaire. « Nous sommes seuls, là-haut, la nuit », rappelle-t-il.
« Nous ne sommes jamais mis sous pression par le cas médical », ajoute celui qui insiste sur l’importance de suivre les protocoles établis et de ne pas jouer au cowboy, malgré le pressant désir de venir en aide au patient. « Ce n’est pas simple de piloter dans une tempête de neige. »
Infirmière clinicienne spécialisée en soins de premières lignes, Gabrielle Prairie travaille au sol. Elle doit répondre aux questions des infirmières sur le terrain. Un exemple récent ? Alors que l’appareil était déjà en vol, les deux infirmières à bord ont été confrontées à la possibilité de la prise en charge d’un deuxième patient, alors qu’une intervention pour un seul patient était prévue. Il s’agissait d’un bébé souffrant de sérieux problèmes avec son système digestif. « Avions-nous les ressources et le matériel nécessaire à bord ? Quelles étaient les complications possibles ? J’aide mes consœurs à prendre des décisions alors qu’elles sont déjà en action », explique Gabrielle.
Dans ce cas-ci, le bébé a pu être transporté. « Heureusement, la pédiatrie est ma zone de confort », soupire la professionnelle.
Dans le même ordre d’idées, avant d’œuvrer pour Airmédic, Crystelle Bourassa a vécu huit mois à Kuujjuaq et aussi 18 mois à Salluit où elle travaillait comme infirmière. Elle en garde un bon souvenir : « T’as l’impression d’être ailleurs. C’est de toute beauté. Le soleil ne se couche pas, il fait juste une petite sieste derrière la montagne. Aller faire des rides dans la toundra, c’est vraiment nice. »
Elle a quand même vécu des situations difficiles, dont 24 heures consécutives à traiter des traumas, incluant un accident de VTT et un blessé par balle. Bref, elle aussi a l’expérience nécessaire pour aider son équipe.
L’aventure
En plus des avions, Emilie travaille aussi dans des hélicoptères. Il s’agit surtout de recherche dans les bois. Des gens qui se sont blessés en quatre roues ou qui ont fait un AVC dans leur chalet.
Dans ces cas, par exemple pour un accident de motocross, les coordonnées sont parfois imprécises. Emilie explique : « Les pilotes ont des lunettes d’approche infra-rouge que normalement seule l’armée possède. Nous sommes parmi les seuls à les utiliser. Il s’agit d’un outil technologique qui est contrôlé comme une arme parce qu’il offre un avantage important dans l’obscurité. »
En 2016, Airmédic est devenu la première entreprise en transport médical aéroporté à obtenir la certification de Transport Canada autorisant le vol de nuit, à l’aide de lunettes de vision nocturne.
Emilie continue : « Des fois, on arrive sur place, le patient est dans une boîte de pick up, entouré de branches que les gens ont mises là pour l’immobiliser. On voit des garrots de fortune. Nous devons le stabiliser le plus possible pour le déplacer, pour éviter que son état ne s’aggrave pendant le vol. En même temps, plus tu attends, plus ça va être long avant que tu te rendes à l’hôpital. Il faut évaluer la situation et agir rapidement. »
Le courage
« Dans certains cas, les pilotes doivent appeler une personne qui se trouve à l’aéroport où on va. La personne sort et, à vue de nez, donne les conditions météo, ce qui inclut la hauteur du plafond des nuages et la force des vents. C’est très approximatif. On ne sait pas toujours, mais on y va. »
« Parfois, on ne peut pas atterrir à cause des conditions météos. Juste d’en parler, j’ai des frissons », avoue l’infirmière volante. « J’haïs ça ! Parce qu’on ne sait pas exactement c’est quoi, la météo dans le Grand Nord. Et on sait qu’un patient nous attend. On est là. On est au-dessus, mais, disons parce que les nuages sont trop bas ou les rafales sont trop fortes, c’est trop dangereux. C’est la pire situation. »
Malgré tout, Émilie sourit : « Il y a quand même beaucoup d’arbres dans le nord. À l’occasion, les pilotes vont me déposer sur un quai pour que je puisse rejoindre le patient. Mais l’hélico va aller se poser plus loin. Le transport du patient comporte un enjeu. Pour l’embarquer, il faut que l’hélico soit arrêté et les rotors éteints. »
Dans les cas les plus difficiles : « On a un entraînement pour sauter en bas de l’hélicoptère encore en marche. On pourrait aussi devoir le monter quand il est en marche. C’est le premier entraînement quand on commence. C’est le fun.»
Le fun ? Wow ! Respect.
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