Atteindre 18 ans… en pleine pandémie!

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Des étudiants du cégep John Abbott ont écrit sur la crise sanitaire de la Covid-19, dans le cadre d’un cours de français portant sur les médias. Plusieurs d’entre eux n’ont pas pu célébrer l’atteinte de la majorité en compagnie de leurs amis. En confinement, ils ont pris conscience des impacts de la pandémie dans la vie de tous. Un regard privilégié sur le quotidien des jeunes isolés depuis beaucoup trop longtemps.

Famille prise en otage (Par Julia Pazdan)

Le 4 avril 2020, à deux heures du matin, mon père a été emmené en ambulance à l’hôpital. Nous étions tous atteints de la COVID-19 alors qu’on en savait peu sur le virus. Tout le monde en avait très peur. Pendant plus d’une semaine, mon père a été placé sous respirateur, aux soins intensifs. Il était dans un état critique et ses chances de survie, faibles. 

Ma mère appelait constamment pour s’informer de l’évolution de son état. Tous les scénarios possibles défilaient dans notre tête et nous empêchaient de dormir. La situation se détériorait chaque jour. Ma sœur et moi avons donc décidé d’annuler notre session au Cegep, dans le but de soutenir notre mère le mieux possible. Celle-ci était extrêmement malade; nous-mêmes n’avions pas la force de quitter nos draps. Nous sommes restées alitées pendant deux semaines, affligées par les difficultés respiratoires causées par ce virus. 

La perte de l’odorat, du goût, les crampes musculaires ainsi que de la fièvre comptent aussi parmi les symptômes que nous avons ressentis. Mes grands-parents nous ravitaillaient et laissaient les denrées à notre porte. Je recevais des appels quotidiens de la Santé publique; ils supervisaient notre quarantaine pour s’assurer que notre état était stable et que nous tenions le coup à la maison. 

Ç’a été un moment très difficile qui s’ajoutait à l’inquiétude suscitée par le destin de mon père. Et ça s’avérait d’autant plus pénible, par la suite, de voir des individus négliger les règles de la Santé publique et s’en vanter sur les réseaux. 

Au 10e jour suivant le départ de mon père, bonne nouvelle! Il est rétabli et peut revenir à la maison. Récupérer aura été long pour nous tous. Je n’ai pas recouvré l’odorat avant quelque mois et mes poumons n’ont pas encore atteint leur pleine capacité.  

Même si plusieurs agissent comme si la pandémie n’existait plus, je suggère, jusqu’à l’éradication du virus, une application stricte des règles sanitaires. Votre vie ou celle de vos proches valent bien tous les efforts pour en limiter la propagation.

Atteindre 18 ans… en pleine pandémie!

Des emplois perdus (Par Anas Tatari)

Il y a quelques jours de cela, j’ai été engagé comme commis d’épicerie chez Costco.  J’ai suivi une formation pour le poste, avec quatre autres employés. L’un d’eux avait 19 ans. Un autre en avait 28 et un autre, 50. J’ai été surpris que des candidats de ces âges sollicitent un tel emploi et j’ai trouvé étrange qu’on leur offre le même salaire qu’à moi, puisque je croyais qu’on cherchait des étudiants. 

La personne qui donnait la formation nous a demandé de lui décrire notre vie et d’énumérer nos passe-temps, afin de mieux nous connaître. Pour ma part, j’ai répondu que je consacre la majorité de mon temps aux études, ce qui m’en laisse peu pour les loisirs. Les deux recrues de 28 et de 50 ans avaient des histoires intéressantes à raconter.

La première a expliqué avoir voyagé à travers le monde. « Dès que j’ai eu fini l’école, il y a sept ans, je suis devenue agente de bord, et j’ai donc eu la chance de visiter plusieurs pays, dont le Japon et les États-Unis, et ce, toutes les semaines », nous a-t-elle confié.

J’étais fasciné par son histoire et je trouvais dommage que son métier soit tombé à l’eau à cause de la Covid-19. « Depuis le début de la pandémie, la plupart des agents de bord ont été suspendus ou même congédiés. Me retrouvant dans cette situation, j’ai décidé de postuler chez Costco pour gagner un salaire pendant ces temps extraordinaires, souligne-t-elle. Le fait de ne plus pouvoir voyager et de ne plus exercer mon métier m’affecte énormément. Le seul côté positif de ma situation, c’est que la sédentarité me permet finalement de bâtir une famille au Québec. » 

L’employé de 50 ans, lui, nous a expliqué avoir été propriétaire d’une compagnie de bois qui générerait des revenus importants, avant le début de la pandémie. « J’ai travaillé au sein de l’industrie du bois pendant plus de 30 ans. Mon entreprise familiale, comme plusieurs autres compagnies, a été affectée par la Covid-19 au point de faire faillite. Les derniers temps ont été très ardus pour moi et il me semble que les trente ans que j’ai investis pour la compagnie ont été gaspillés. J’ai même dû renvoyer vingt de mes employés. 

Le fait que la pandémie l’ait tant bouleversé m’a vraiment touché. Je ne pourrais m’imaginer dans une telle situation. Qu’il ait dû abandonner une entreprise familiale pour des raisons qui échappent à son contrôle me consterne.  J’ai réalisé à quel point il faut reconnaître ce que l’on a, qu’on ne devrait pas tenir la vie pour acquise, et qu’il faut également apprécier le moment présent. La pandémie a chamboulé la vie de plusieurs personnes et mérite d’être prise au sérieux. Mais, avec tout ce qu’on vit actuellement, il faut par-dessus tout garder espoir.

Atteindre 18 ans… en pleine pandémie!

Méfiance envers les Asiatiques (Par Matthew Hyoeen Kang)

Ce n’est pas la première fois que nous faisons face à une pandémie mondiale. Il y a eu la fameuse grippe espagnole de 1918. Cette fois-ci, nous choisissons de nous distancier socialement pour vaincre la Covid-19. Je ne vais plus à l’école, puisque je peux suivre mes cours en ligne. Je continue néanmoins de me rendre au travail, en portant un masque. Ce qui a changé le plus pour moi, c’est la façon dont les clients me traitent. 

J’ai remarqué que plusieurs d’entre eux, pour la plupart des personnes âgées, commençaient à me jeter des regards étranges. Ils tentaient de m’éviter pour plutôt s’adresser à un autre employé. Je ne prétends pas que je ne m’étais jamais fait regarder malicieusement auparavant, mais je me suis aperçu que ces occasions se multipliaient. Mais ça, ce n’est rien… 

Un jour de travail, durant l’été 2020, on me demande aux caisses pour aider un client. Je me précipite vers l’avant du magasin, puis me présente:

  • Bonjour monsieur, que puis-je faire pour vous, aujourd’hui?

C’était un client en apparence ordinaire, plutôt âgé et qui semblait avoir de la difficulté à parler. Cela n’allait pas l’empêcher, cependant, de répondre en ces mots :

  • Attends, c’est lui tu m’envoies pour m’aider? J’veux pas un Chinois sale à côté de moi. C’est à cause d’eux que je dois porter cet esti de masque, dit le monsieur à la caissière.
  • Excusez-moi, qu’est-ce que vous venez de me dire?
  • T’m’as entendu, je l’sais. Arrête de faire l’con pis va-t’en. Amenez-moi un blanc, je n’veux pas parler à un Chinois. 

Moi, je suis d’origine coréenne. Me faire dire que je suis un sale Chinois ne me plaît pas beaucoup. Mais, devant une telle situation, j’ai su que la meilleure chose à faire était d’appeler le gérant pour qu’il règle le problème. Quand il est arrivé, le client pensait que les choses allaient se passer comme il le voulait, mais mon gérant l’a plutôt expulsé!  Le racisme n’est pas toléré à mon travail : heureusement!

Atteindre 18 ans… en pleine pandémie!

Le jour de la marmotte! (Par Sarah Bouchard)

On est en plein milieu de février 2021. Ça fait déjà presque un an que je me réveille chaque jour à 13 heures. Au cégep, j’ai décidé de placer mes cours plus tard dans la journée, car à la dernière session, le matin, j’étais incapable de les suivre. Je me réveillais et me rendormais immédiatement. En tout cas, ce matin, ou cet après-midi, j’ai deux cours. J’ajuste donc mes écouteurs et me mets au travail, la tête toujours aplatie sur l’oreiller. 

J’écoute le professeur en me disant que je devrais achever mes travaux, échus ce soir. Il faut que j’écrive un texte de 1 000 mots. Facile! Je pourrai y parvenir en une heure ou deux. Je commence donc mon devoir. Alors que mon texte se trouve à moitié écrit, j’entends mon prof nous dire qu’on doit se mettre en petits groupes sur l’application « Teams ». Je me dis : « Encore un prof qui veut nous donner du social qui ne marche pas! ». C’est donc avec trois autres coéquipiers que je réponds aux questions sur les chapitres à l’étude aujourd’hui. Personne n’allume sa caméra, et comme d’habitude, personne ne parle. 

Tout à coup, j’entends des cris venant d’en bas et je réalise qu’il est déjà 16 heures, car ma mère chicane mon petit frère pour qu’il fasse ses devoirs. Maintenant que mes cours sont finis ainsi que mon texte, ma prochaine tâche sera de m’alimenter. Je me faufile en bas; Jacob, mon petit frère, m’interpelle : « Tu dormais encore ? » Je roule les yeux, je grogne un peu et j’ouvre le réfrigérateur. Malgré que ma mère s’affaire au souper de ce soir, je prends un bol de céréales et rejoins ma bulle, dans ma chambre.

Pour faire passer plus vite ce pénible temps d’éveil, je me connecte aux médias sociaux. Sur Snapchat, je vois que Kim Kardashian vient de participer à une fête grandiose dans l’île de Tahiti pour ses 40 ans. En plein confinement, normal qu’elle en récolte une tonne de critiques négatives. Sa réponse de vedette est un peu stupide : « ce voyage m’a permis de prétendre pendant un moment que les choses étaient normales, mais je comprends que je suis privilégiée ». « Ah, que je la hais », me dis-je.

Après, je me branche sur Tik Tok. Bien que quelques jeunes de mon âge se voient encore, la majorité d’entre nous sommes confinés dans notre chambre. Nous publions tous des vidéos qui montrent notre désespoir et notre dépit de ne pas avoir de vie. Ça me confirme que des millions de jeunes de mon âge partagent les mêmes sentiments dépressifs que moi. 

Il est 18 heures. Je texte mon amie Kristen. Nous nous répétons la même histoire. 

  •  Tu fais quoi? 
  •  Rien. 
  •  Tu me manques! 
  •  Moi aussi! 
  •  Espérons que ça finisse vite. 
  •  Ouais! 

Silence radio.

  •  Bye!  
  •  Bye

J’entends mon père sortir enfin de son bureau après ses dix heures de télétravail. Je descends 

pour lui faire mon coucou quotidien. Encore la même question : 

  • Comment ça va, à l’école? 

Même réponse que toujours.

  •  Bien.

La bouteille de vin est déjà ouverte; il en verse un verre pour lui et, ensuite, pour ma mère. La chicane point à l’horizon. C’est au tour de mon frère aîné, Matthew, de sortir de sa cave. Si vous pensez que moi, j’hiberne, vous vous trompez. Ma mère se couche parfois en pensant qu’il pourrait être mort. On dirait qu’il dort toute la journée. On ne sait pas trop quand il « game », suit ses cours, ou mange! Des fois, avec ses cheveux gras, on se demande même quand il prend sa douche! 

Le souper est commencé. Nous parlons de covid encore une fois, et pendant trop longtemps. Nous discutons des nouvelles relatives au vaccin, des politiques des États-Unis et de nos vies répétitives. Malgré ces sujets ennuyants et convenus, nous réussissons à nous obstiner, car nous défendons des points de vue différents sur la pandémie. Une fois la bouteille finie, sans savoir pourquoi, le ton monte. C’est évident que, en bon québécois, on se tape vraiment sur les nerfs. Je quitte à nouveau la table brusquement, en colère, et crie:

  • « J’ai hâte de crisser mon camp d’icitte! »

Je mets mes bottes intempestivement et sors prendre une bouffée d’oxygène. Il est 19h30 et je ne dispose que d’une demi-heure avant le couvre-feu. La nostalgie m’envahit au souvenir des moments heureux de mon enfance, dans ce quartier, avec mes amies. Ça m’attriste de penser que j’ai vécu entre quatre murs ma première année d’adulte. Un temps écoulé qui ne reviendra jamais. Finalement, la magie des rues désertes et l’air frais finissent par me redonner un certain calme intérieur. Je me sens seule au monde, mais néanmoins connectée à un futur plein de possibilités. 

En rentrant chez moi, malheureusement, la sérénité obtenue en marchant s’envole instantanément. Je regagne mon lit enveloppant. YouTube me distrait quelques heures. Il est une heure du matin. J’ai faim. Trois cornichons, deux morceaux de fromage et un verre de lait plus tard, retour à l’horizontale. Souffrant d’insomnie, j’écoute mon livre audio ; ça fonctionne : finalement, je m’endors vers 3 heures. 

Bang, bang, bang! À 7 heures, le voisin me réveille en cassant la glace dans son entrée. Super! Ça commence bien une autre merveilleuse journée monotone et cyclique dans mon étrange existence. Au moins, personne n’est malade autour de moi et malgré ses 78 ans, mon voisin bruyant pète le feu!

Atteindre 18 ans… en pleine pandémie!

Vivre ses derniers jours en solitaire (Par Tony Saliba)

Le 13 mars, l’urgence sanitaire est déclarée au Québec. Ce jour-là, je travaille dans une pharmacie. À mon arrivée, déjà, une bonne portion de la nourriture que le magasin offrait a disparu, comme emportée par un coup de vent. Dans mon champ de vision, il y a des enfants qui pleurent et des parents anxieux. En temps normal, tout a l’air tellement organisé dans notre société, avec la routine, les règles, les lois, mais dès que se manifeste une vraie raison de paniquer – la Covid-19 –, qui concerne tout le monde, c’est chacun pour soi. 

Le lendemain, je me rends au Centre hospitalier de l’Université de Montréal, où j’ai un autre boulot avec un neuropsychologue qui étudie le comportement des patients en phase terminale. C’est là que je rencontre Vanessa, étudiante du collège Vanier enthousiaste et appliquée, pleine de promesses.

Elle a fait une chute. Vanessa s’est réveillée au 19e étage de l’hôpital; elle transpire et est complètement déroutée par son environnement. En me regardant avec de grands yeux, elle me demande : « mais qu’est-ce qui s’est passé? » Je ne dis rien au début, puisque je n’en ai pas le droit, n’étant qu’un assistant. Le neuropsychologue vient la voir. Il lui apprend qu’elle souffre d’un type de cancer qui s’appelle glioblastome multiforme ou glioblastome. C’est un cancer virulent du cerveau, qui, en moins d’un an, entraîne la mort de ceux qu’il afflige. 

Après avoir entendu de longs pleurs, qui hantent encore mon esprit, je quitte la chambre. Je croise un homme gris de peur, au visage couvert de larmes coulant à l’infini; il entre dans la même chambre dont je sors à peine. C’est son père.

Au début, ses parents étaient là chaque jour. Se rendre voir leur fille à l’hôpital avait vite fait partie de leur routine. Quelques semaines plus tard, je ne les ai plus vus, à cause des heures de visites très limitées imposées par la propagation du virus dans la province. Vanessa s’est retrouvée complètement seule, sans aucun visage familier pour la réconforter. Elle suivait ses cours en ligne, elle étudiait dans son lit, malgré tout; elle parlait au téléphone, elle riait aux blagues entendues à la télévision, comme si elle n’était pas au courant de sa situation. 

Chaque fois que j’entrais dans sa chambre, je lui demandais : « Comment te sens-tu? » Elle me répondait toujours la même chose : « bien. » Toujours bien. Elle était contente de participer, en classe, même si c’était en ligne. Moi qui m’emmerde à rester devant un ordinateur pendant des heures, cela me bouleversait de la voir, elle, heureuse de communiquer même à l’écran, imperturbable.

Après quelques mois, en passant devant sa chambre, je la vois pleurer. J’entre. Elle me dit, avant même que j’aie le temps de m’assoir: « C’est pas juste. Pourquoi n’ai-je pas le droit d’avoir mes parents dans la chambre, pendant la nuit? Pourquoi est-ce pendant une satanée pandémie que je dois souffrir comme ça? Je ne peux pas sortir de mon lit, je ne peux pas voir mes amis, je ne peux pas vivre une vie normale, je n’ai même pas une santé normale! » Elle criait ces phrases-là à répétition. Moi, avec mon masque, ma visière, mes lunettes protectrices, mes gants et ma veste d’hôpital, je la regarde et lui dis que les choses sont plus sérieuses maintenant en ce qui a trait au virus et aux nouvelles règles de l’hôpital. Elle me répond : « Les nouvelles règles me font souffrir. Les seules personnes que je vois sont le personnel médical. Je ne veux pas mourir toute seule! Voir mes parents pendant quelques heures, ce n’est pas assez pour moi, je les veux à mes côtés. »

La dernière fois que j’ai parlé à Vanessa, c’était en novembre. J’espère que ses parents ont pu l’accompagner jusqu’à la fin. 

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