L’autisme est un handicap ingrat

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Par Agathe Saurais | Dossier Santé mentale

Le syndrome d’Asperger, désignant les autistes n’ayant pas de défaillance d’apprentissage, est également appelé « le syndrome invisible ». Pour s’adapter, l’autiste a régulièrement recours à des stratégies d’adaptation, dont le masking. Si ces stratégies lui permettent d’évoluer au sein du monde neurotypique (NT), elles cachent également sa différence et par la même sa nature profonde. 

On parle beaucoup de l’autisme comme d’un handicap social, et bien qu’en effet la personne atteinte du syndrome de l’autisme ait une neurologie qui rend plus difficile le processus de socialisation, cette facette tend à effacer les autres. Les difficultés sociales étant, à mon sens, un symptôme et non une cause. La réalité est que l’autisme, c’est tout d’abord un système perceptif différent. 

En tant que personne autiste, j’ai souvent eu à accepter que mes besoins ne soient pas respectés par autrui, tout simplement parce qu’ils ne sont pas « normaux ». Ou alors, ils le sont trop. Le vice est là, quand une personne qui a un TSA va exprimer une souffrance, relative au bruit par exemple, le neurotypique va entendre cette souffrance et la comparer à ce qu’il connaît. Concernant le bruit, il va l’assimiler à une expérience vécue. Il va croire comprendre, et donc, il ne va plus vraiment écouter les appels à l’aide. 

Si on approfondit ce point, pour la personne autiste, le bruit peut devenir insupportable pour plusieurs raisons, d’abord parce qu’elle a une hypersensibilité auditive, mais aussi parce que cette sensibilité est amenée à varier selon son énergie. Si elle est trop fatiguée, le bruit s’apparente alors à un flot d’informations que le cerveau ne peut plus traiter, créant un sentiment de panique et de douleur. Ce n’est pas seulement le niveau sonore, c’est aussi la multitude des sources, l’origine des bruits… Le cerveau autistique traite tous les sons de manière indifférente, qu’ils s’apparentent ou non à de la parole.

La dissociation des sons n’est pas automatique, ce qui engendre une fatigue, voire de l’épuisement. Ainsi, pour tenir une conversation normale qui ne demande aucun effort pour un NT, la personne autiste elle s’investit, se concentre et en paye généralement les conséquences.

Tout va ainsi, le premier vecteur de l’ingratitude, c’est l’invisibilité du syndrome. On ne voit pas les efforts faits, et on condamne fortement les erreurs. En outre, cette invisibilité force les autistes à faire un choix cornélien : s’adapter, et donc dissimuler l’autisme et ses difficultés, ou vivre en paix, mais hors de la société. 

C’est le seul handicap où plus on s’adapte, moins on est compris, félicités ou remerciés et où on est plus fortement punis. Enfin, elle rend souvent impossible l’obtention d’une aide adaptée dans les moments difficiles. 

Le second vecteur est l’isolement qui en résulte. L’autisme est un handicap qui isole. Il existe dans la pensée populaire une idée selon laquelle les autistes seraient des gens qui n’aiment pas la vie sociale. Si c’est vrai pour certains d’entre nous, qui sont heureux dans leur univers avec leurs intérêts particuliers, ce n’est absolument pas une vérité générale. Au contraire, beaucoup souffrent de la solitude et souhaiteraient avoir plus de relations. 

Les risques

Ceci est renforcé par l’apparition de comorbidités. La fatigue extrême que peut ressentir un autiste ainsi que la difficulté qu’il a à s’intégrer dans son environnement peut générer un cercle vicieux « autistique ».

Beaucoup d’entre nous ont connu ces moments où tout va de mal en pis, où les crises (meltdown et shutdown) se multiplient, avec pour conséquence une éviction sociale : source de stress et facteur de dépression. Bien souvent, cela accentue la « dissociation corps / esprit », on ne ressent plus la faim, on ne ressent plus le sommeil, on ne ressent plus rien. Pour autant, le besoin de s’alimenter et de dormir existe toujours : il est même plus nécessaire que jamais. La fatigue s’amplifie, et le système nerveux, sous-alimenté, est de plus en plus fragile. C’est comme si l’autisme s’amplifiait pour devenir une caricature.

Tout cela peut finir en burn-out, et dans les pires cas, en suicide. Les études menées à ce jour montrent un taux très important d’idées suicidaires chez les personnes autistes et un risque nettement plus élevé de passer à l’acte. Ainsi, les personnes autistes se suicident 9 fois plus que la population générale. Pour les femmes, ce taux est particulièrement alarmant, il est 13 fois plus élevé que pour la population générale. En moyenne, les femmes autistes ont une capacité d’adaptation et une intelligence sociale plus importante que les hommes autistes. Elles sont au surplus l’objet d’une pression sociale plus importante. Dans ce contexte, on peut supposer que ces facteurs sont la cause d’un taux de suicide plus élevé chez les femmes autistes. 

En tant que femme autiste, je ne peux que témoigner de l’isolement, des jugements, de l’angoisse, du stress, des trésors d’énergie dépensés pour s’adapter. Les dépressions sont fréquentes, particulièrement avant le diagnostic. Par ailleurs, je ressens souvent le fait que l’autisme est plus facile à vivre pour un homme, les crises sont socialement moins rédhibitoires, la solitude aussi. Ils ont par ailleurs moins de pression sociale sur leur apparence, ou sur leur façon de se tenir.

Que peut-on faire ?

Pourtant, il suffit souvent de peu pour faire beaucoup. Un peu de compréhension, un peu moins de jugement. Parfois il suffit d’une phrase, d’un geste ou d’un bon réflexe pour éviter une crise et la souffrance qui en résulte.

Il y a des remarques à bannir, à l’instar de :  « tu n’as pas l’air autiste ». Non, nous n’avons souvent pas l’air autistes, car la vérité c’est que l’aide qui nous est apportée consiste à nous donner les clés pour nous dissimuler, pas pour nous faire une place dans le monde.

Ce que l’on peut faire, c’est tout d’abord s’abstenir de juger. Une femme qui s’énerve et qui peut paraître folle et hystérique, est peut-être une autiste en crise, en meltdown. Il est possible qu’elle souffre physiquement, d’un excès de bruit, d’un excès d’informations visuelles, d’une surchauffe cérébrale liée à une compensation intense. Cet enfant qui se roule par terre, et qui semble capricieux, ne supporte peut-être simplement pas son environnement sensoriel. 

Il y a des gestes simples, qui nous permettent d’être vus et qui nous évitent le pire. En cas de crise, demander si ça va plutôt que de réagir négativement. Baisser la musique. Proposer de sortir pour avoir un peu de silence. Faire attention aux lumières qui clignotent. Ne pas s’offusquer si on ne vous parle pas pendant des semaines : on est possiblement en hangover social. 

D’une manière générale, l’invisibilité est lourde à supporter, c’est pourquoi il nous faut au moins le soutien de nos pairs, de notre entourage ainsi que le respect des sociétés que nous habitons. 

Le shutdown et le meltdown

Il y a le shutdown (fermeture) et le meltdown (fusion), deux manifestations d’une sur stimulation sensorielle bien différentes.

Pendant un shutdown, on se sent épuisé, confus, perdu. On ne comprend plus ce qui est attendu de nous, nos efforts de concentration n’y font rien, et nos capacités de concentrations sont réduites. Tout semble difficile et incroyablement complexe : lire, parler, comprendre une instruction, chercher un objet dans un sac… Nos capacités de réflexion et de fonction exécutive prennent un tel coup dans l’aile que même des tâches très simples deviennent insurmontables et incompréhensibles.

La personne en meltdown peut se montrer violente physiquement ou verbalement, elle peut crier, se débattre, se faire du mal à elle-même, chercher à fuir. Elle peut pleurer de manière incontrôlable, s’en prendre à son environnement ou aux personnes qui l’entourent. Un meltdown est souvent très impressionnant pour ceux qui y assistent.

Source : bienetreautiste.com/blogs/infos/autisme-en-crise


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