Intervention jeunesse en Gaspésie
Criminalité, problèmes de consommation, troubles de comportements… Les grandes villes ne sont pas les seules aux prises avec une jeunesse troublée. En Gaspésie, les mêmes symptômes grugent les adolescents. La grandeur du territoire et le manque de ressources compliquent les efforts d’intervention.
Dominic Desmarais | Dossiers Famille, Gaspésie
Luc Savage se dévoue pour la cause des jeunes. Intervenant au Centre jeunesse de Gaspé, il occupe aussi la fonction de conseiller municipal. Dans les deux cas, Luc a une préoccupation majeure: le bien-être de ses jeunes. L’avenir de sa région.
En contact tous les jours avec des jeunes, ce qu’il entend lui arrache le cœur. Ils me disent: «Dès que j’ai la possibilité, je sacre mon camp d’ici.» Conseiller du quartier le plus pauvre de Gaspé, Luc comprend. Ses jeunes ont peu d’infrastructures pour se divertir. «En réaction, ils ont vandalisé le peu qu’on avait. La réaction de la ville: on ferme tout. Pourtant, ils ne demandent que quelques paniers de basketball, une patinoire, un terrain de balle, un skate park.»
Délinquants ou victimes?
Alors que certains voient ces jeunes comme des délinquants, Luc les regarde comme des victimes. L’intervenant n’est jamais loin. Les jeunes dont il s’occupe, au centre jeunesse, ont des problèmes multiples. Jeunes de familles reconstituées ou détruites qui manquent d’affection, problèmes de santé mentale, délinquance. «Les problèmes sont beaucoup plus complexes aujourd’hui. L’intervention aussi. Le centre jeunesse a dû apporter des changements. Ce qui s’applique bien en délinquance s’applique mal en santé mentale, affirme l’intervenant. Avant, c’était très rare, un jeune médicamenté. Aujourd’hui, c’est le contraire. C’est rare celui qui ne l’est pas.»
Pendant cinq ans, Luc a gardé dans sa famille des jeunes qui n’étaient pas prêts à vivre en famille d’accueil. Un service de première ligne pour jeunes écorchés. Comme celui qui a piqué une crise lorsque Luc s’amusait avec sa petite fille. «Le jeune est rentré dans sa chambre en frappant partout. Il m’a expliqué, après, que ça l’avait dérangé, parce que jamais on ne s’était amusé avec lui, dans sa famille…»
Cette expérience lui fait comprendre qu’il faut voir plus loin que l’acte délinquant lui-même. «Ça m’a permis de saisir que nos mesures en centre d’accueil ne sont pas réalistes. On s’attend à des comportements exemplaires. Dans un sens, c’est normal d’être rebelle à l’adolescence. On se cherche, on développe son identité. Le jeune qui a été battu, abusé, il peut être en situation de crise, explique-t-il. Ce que les gens ne comprennent pas, c’est que, côté affectif, ils sont âgés de sept ans. Ça fausse leur capacité décisionnelle. On reçoit des jeunes qui se laissent aller complètement», dit-il, en faisant référence à l’automutilation que pratiquent certains.
Famille absente
Luc est désemparé. Il travaille avec des jeunes qui retombent dans les mêmes problèmes en sortant du centre. «Faut pas se conter d’histoires. Bien des familles ont démissionné. Chaque fois que le jeune se sent de trop, rejeté, on l’accueille au centre. On travaille avec lui. Mais il retourne dans son milieu. Et, tout est à refaire. Sans parler de négligence parentale, on a un fort pourcentage de jeunes qui viennent de familles où il n’y a aucun encadrement. C’est le rôle du parent de l’encadrer. On fait de la rééducation. J’ai des parents qui accordent beaucoup d’importance à des niaiseries. Des disputes sur le temps passé au téléphone. Aucun intérêt pour ce qui est important pour le jeune. Peut-être parce que ça demande plus de préparation…»
Mylène Montmagny, directrice de l’Accueil Blanche-Goulet, un centre d’hébergement pour personnes en difficulté, reçoit son lot de jeunes. Plusieurs sont passés par le centre jeunesse. Des jeunes avec de lourds problèmes familiaux. «On aurait besoin de plus de logements supervisés pour les jeunes qui sortent des centres jeunesse. Ils ont de la difficulté avec leurs parents. Alors, ils vont vivre dans la rue, parce qu’il n’y a pas de logements supervisés», souligne la dame, d’un ton sans appel. Pour elle, le centre jeunesse ne remplit pas son mandat. «Le problème, c’est que les jeunes n’ont pas de suivi quand ils sortent. Pendant qu’ils sont au centre, le contact est brisé avec la famille.»
Un suivi insuffisant
Pour Luc, la superficie du territoire gaspésien est un gros obstacle. «On réfère le suivi à nos succursales. Le jeune vient de passer six mois en centre d’accueil. Son milieu a changé. L’éducateur ou l’intervenant fait le suivi. Mais en raison de la superficie de la région, il est difficile de faire le suivi», constate-t-il à regret. Luc ne blâme personne.
À la place, il cherche des solutions constructives. Des projets rassembleurs permettant aux jeunes de s’épanouir, pas de dépérir. Comme celui de l’école Antoine-Roy, qui a monté le spectacle Je reviens chez nous! Il est présenté un peu partout en Gaspésie. Les jeunes font tout. Ils jouent, fabriquent les costumes et les décors, s’occupent du son et de l’éclairage, organisent la tournée.
Le projet a rassemblé 45 jeunes et remporté le premier prix Essor au Québec, en novembre. Des jeunes qui n’avaient pas d’activités, parce qu’ils ne sont pas sportifs. Ils voulaient une activité stimulante. Luc sombre dans la rêverie. Il verrait bien ses jeunes du centre jeunesse participer à un projet qui les motiverait. Un peu de baume sur leur âme écorchée.
De l’aide au Cégep de Gaspé
Le Cégep de Gaspé s’est doté d’une intervenante. Après les suicides de trois étudiants dans les deux dernières années, dont un aux résidences de l’institution, l’embauche de July Synott n’est pas un luxe. Le cégep, en cette ère de compression, a trouvé un compromis. Il assure le salaire de l’intervenante pour deux jours semaine. Le CLSC de Gaspé défraie les deux autres jours de sa semaine.
July a beaucoup de boulot devant elle. Depuis son embauche, en novembre dernier, elle a pu mesurer les problèmes des étudiants. «Ils sont nombreux. Santé mentale, stress, angoisse, harcèlement, violence conjugale, troubles de comportement. De plus en plus, il y a des troubles de déficit d’attention. J’ai un service de psychologue au CLSC. Mais il y a six mois d’attente… Je tiens la poulie pendant ce temps. J’ai n’ai pas le temps de chômer!» La jeune femme, qui a fait sept rencontres individuelles et une de groupe dans sa matinée, préfère en rire qu’en pleurer. L’an prochain, elle aura deux stagiaires pour lui prêter main forte.
July remarque que la consommation, au cégep, a pris un nouveau visage dans les dernières années. «Avant, il y avait la clique pot, la clique drogue dure. Maintenant, c’est plus la drogue de performance. On a beaucoup de travaux, on ne consomme pas pour s’amuser, mais pour étudier plus longtemps. Pour beaucoup, c’est le premier éloignement de la famille. Gérer le budget, concilier travail-études, la bouffe, le stress relié à tout ça, les problèmes d’identification. C’est la transition entre je suis encore un enfant, je deviens un adulte.»