Après #AgressionsNonDénoncées et #MeToo, une nouvelle vague de dénonciations d’inconduites sexuelles a pris d’assaut les réseaux sociaux en juillet, entraînant dans son sillage les carrières de plusieurs personnalités publiques.
Un texte de Anne-Frederique Hebert-Dolbec – Dossier Santé mentale
Loin de faire l’unanimité, ce « tribunal populaire » est jugé inadmissible par près de 60 % des Québécois, qui préféreraient voir les victimes emprunter le chemin de la justice, selon un sondage de la firme Léger. Moins de la moitié d’entre eux affirment faire d’emblée confiance aux gens qui dénoncent en ligne, en particulier lorsqu’ils visent une célébrité. Mais pourquoi a-t-on tant de difficulté à croire les victimes?
Des préjugés tenaces
« Ta jupe était trop courte ». « Tu avais consommé de l’alcool ». « Pourquoi as-tu attendu aussi longtemps avant de rapporter les faits? » Les préjugés envers les victimes d’agressions sexuelles sont tenaces.
Pourtant, de nombreuses études en criminologie ont déterminé que la grande majorité d’entre elles disent la vérité. « Un flou persiste dans seulement 2 à 10 % des cas », souligne Rachel Chagnon, professeure à l’UQAM et membre de l’Institut de recherches et d’études féministes.
Loin d’être rationnel, ce scepticisme persistant ne tombe toutefois pas du ciel. Il prend sa source dans une réaction psychologique normale : le biais cognitif.
« Chaque jour, on doit traiter une tonne d’informations, explique Émilie Gagnon-Saint-Pierre, doctorante en psychologie et chercheuse au Laboratoire des processus de raisonnement. Comme on n’est pas toujours en mesure de faire une analyse poussée avant de prendre une décision ou de tirer une conclusion, on utilise des raccourcis. Ces raccourcis sont utiles, puisqu’ils nous aident à fonctionner, mais ils peuvent aussi mener à des erreurs. »
L’hypothèse du monde juste
Pour nous rassurer à la perspective que nous-mêmes ou l’un de nos proches puissions être victimes d’une agression sexuelle, nous avons tendance à analyser davantage le comportement de la victime que celui de l’agresseur. Aurait-elle fait quelque chose pour mériter ce qui lui est arrivé? Cette réaction se nomme l’hypothèse du monde juste telle que théorisée par le psychologue social Melvin J. Lerner.
« On a tous besoin de croire que le monde est sécuritaire et juste. Lorsqu’on entend une histoire d’agression sexuelle, si on accepte d’emblée que rien dans le comportement de la victime ne puisse expliquer le résultat, il faut continuer à vivre en sachant que ça peut nous arriver. Toutes sortes de mécanismes de défense se mettent alors en place pour justifier l’acte », poursuit Mme Gagnon St-Pierre.
Ces idées préconçues sont renforcées par les médias populaires, qui banalisent souvent certains comportements associés à la culture du viol, en plus de créer dans notre inconscient un scénario très peu réaliste de ce que constitue une vraie agression sexuelle.
« Les films et la télévision nous laissent penser qu’elles sont souvent perpétrées par un inconnu qui attaque une jeune femme dans une ruelle sombre, alors que c’est très rarement le cas dans la réalité », soutient Suzanne Zaccour, doctorante en droit à l’Université d’Oxford et autrice de La fabrique du viol.
Les victimes – tous comme les agresseurs – sont également stéréotypées dans la plupart des œuvres de fiction. Alors que les premières sont belles, jeunes et réactives, les seconds sont laids, rejetés, incapables de trouver l’amour.
« Moi, je ne me serais pas laissé faire »
Ce ne sont pas seulement la tenue et le comportement des victimes qui sont passés au peigne fin. Leurs réactions à la suite des actes dénoncés font elles aussi très souvent l’objet de critiques. Pourquoi, au fond, ne s’est-elle pas débattue? Pourquoi n’a-t-elle pas dénoncé sur le champ l’agresseur à la police?
Dans une étude intitulée « Real Versus Imagined Gender Harassment », des universitaires ont été convoquées à un entretien d’embauche au cours duquel trois questions à connotation sexuelle leur ont été posées. Certaines étudiantes devaient se prêter réellement au jeu de l’entrevue, alors que d’autres devaient simplement imaginer le scénario.
Parmi ces dernières, plus des deux tiers ont affirmé que si elles se trouvaient confrontées à ce type de harcèlement, elles riposteraient d’une manière ou d’une autre en signalant au recruteur que sa question était déplacée, en s’abstenant de répondre ou en quittant les lieux.
Or, dans la simulation, plus de la moitié des participantes ont poursuivi comme si rien d’anormal ne venait de se produire. Aucune d’entre elles n’a refusé de répondre, mis fin à la rencontre, ni rapporté l’incident.
« Lorsqu’on connaît la conclusion d’un événement, on a tendance à surestimer notre capacité à le prédire, souligne Mme Gagnon-St-Pierre. Ce biais rétrospectif nous amène à blâmer la victime, sans penser que sur le coup, elle ne disposait pas de toutes les informations pour juger que la situation était dangereuse, et encore moins des outils pour se défendre. »
Jusqu’aux tribunaux
Ces biais sont tellement ancrés en nous, qu’ils se faufilent bien souvent jusqu’aux instances judiciaires.
La dernière Enquête sociale générale sur la victimisation réalisée par Statistique Canada en 2014 démontre que sur 633 000 agressions sexuelles déclarées au pays, à peine 1 814 ont mené à une accusation.
Ce gouffre persistant s’explique notamment par la difficulté pour les juges d’établir la crédibilité de la victime et de prononcer un verdict de culpabilité hors de tout doute raisonnable.
« Dans son livre Putting Trials on Trial : Sexual Assault and the Failure of the Legal Profession, l’avocate Elaine Craig fait une analyse exhaustive du vocabulaire employé dans les décisions judiciaires et lors de multiples observations en salles de tribunal pour démontrer qu’il semble y avoir, dans certains cas, des prédispositions sociales qui vont influencer un juge à croire ou non la victime », indique Mme Chagnon.
Des failles importantes
Ainsi, les femmes issues de minorités visibles, ainsi que celles qui entretiennent un lien présent ou passé avec la prostitution, ont beaucoup moins de chances de voir leurs accusations se conclure par une condamnation. « On a tendance à moins les croire lorsqu’elles disent ne pas avoir consenti, ou avoir changé d’idée », enchaîne-t-elle.
Les jeunes femmes, ainsi que celles ayant consommé de l’alcool lors des événements, seraient moins crues, tout comme celles ayant mis plus de 48 heures à dénoncer les faits. « Au Canada, on possède l’une des lois les plus complètes qui existent dans le monde occidental sur le plan de la violence sexuelle. Les enjeux se trouvent donc dans les façons de faire, dans la culture organisationnelle et dans celle des professionnels du droit. Aussi exhaustive et féministe soit-elle, la loi ne peut changer les mentalités, » conclut l’avocate, qui affirme toutefois faire grandement confiance en notre système de justice.
Ces failles rendent essentiels les mouvements de dénonciations publiques auxquels nous avons assisté ces dernières années, selon Suzanne Zaccour. « Dès lors que l’on comprend que le viol fait partie d’une culture qui doit être changée de fond en comble, il devient principalement une question politique, et non plus exclusivement juridique. Toutes ces femmes qui ont le courage de prendre la parole contribuent à cette prise de conscience et au sentiment d’urgence qui nous permettront peu à peu de changer les choses. »
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