« Tu veux devenir journaliste, mon gars ? », m’a demandé feu mon père, ancien chroniqueur juridique du regretté Montréal Star, quand je lui ai annoncé, à un très jeune âge, mon intention de suivre son chemin. « Pour écrire, m’a-t-il conseillé, il faut tout d’abord souffrir. »
Un texte de Colin McGregor – Dossier Chronique d’un prisonnier
J’ai souffert; je suis issu d’une famille monoparentale qui a lutté contre la dépression et le manque d’estime de soi armée du pire médicament qu’il y ait sur Terre, l’alcool. Pour couronner le tout, j’ai été reconnu coupable du plus grave des crimes du Code criminel, crime pour lequel il n’y a aucune réparation possible.
Avant de réamorcer mon parcours professionnel de journaliste, il a fallu que j’apprenne, entre autres, à m’aimer à nouveau. Après quelques années d’arrêt parsemées d’angoisses et de résistances psychologiques de toutes sortes, j’ y ai repris goût. La passion de l’écriture est dans mon sang, c’est d’ailleurs un métier familial que plusieurs McGregor pratiquent toujours.
Reprendre le chemin de mon ancienne vie comme si rien ne s’était passé s’avérerait impossible. Dévoiler des scandales, des escroqueries, pénétrer les coulisses de la corruption avaient été auparavant mes sujets de prédilection. J’allais devoir faire une croix là-dessus.
Tous les crimes proviennent d’un état d’égoïsme profond. On se croit plus important que les autres. Nos intérêts, notre succès, notre état d’esprit, notre bonheur, nos plaisirs, on les place au-dessus de tout. On vole, on viole, on agresse, on tue sans se mettre dans la peau des victimes.
Pour guérir, il faut tout d’abord connaître sa maladie. Donc pour se réhabiliter, il faut « guérir » de l’égoïsme. Le journalisme redonne à autrui son importance. Il incite à voir le monde avec les yeux des autres, et à tourner son regard dans la même direction qu’une personne, une famille, une collectivité, un monde.
Ça a recommencé doucement — le Montreal Anglican, mensuel du diocèse anglican de Montréal, m’a demandé de brefs textes critiques de 700 mots sur des livres traitant de sujets lourds et compliqués comme la foi et le génome humain, ou la marginalisation des femmes au sein de la sainte Église catholique. J’ai ainsi rédigé plus de 35 articles.
J’ai participé à des concours littéraires (j’ai décroché le titre de dramaturge de l’année à la radio, dans les Cantons-de-l’Est, en 2012). Puis, j’ai écrit pour plusieurs publications et surtout, pour l’organisme Journal de la rue, qui chapeaute les magazines Reflet de société et The Social Eyes, des publications engagées et ouvertes pour lesquelles un autre détenu, J.-P. Bellemare, écrivait déjà. C’est lui qui me recommande. Devant mon hésitation, il me suggère : « essaie quelque chose, tout le monde sait ce que t’as fait dans la vie et tu n’as rien perdu de ta vivacité d’esprit. »
Malgré mes réticences, je soumets un écrit sur l’isolement en milieu de détention. L’article est accepté et apprécié.
Ensuite, j’ai obtenu le soutien de Raymond Viger, vétéran éditeur et activiste, et de ses journalistes, hommes et femmes créatifs formés aux grandes écoles de journalisme, chacun et chacune pourvus d’une tête dure située au-dessus d’un cœur plein de sensibilité.
Un texte suit, puis un autre. S’ajoute la reconnaissance des lecteurs. Des lettres écrites par des ados et surtout, d’anciens patients psychiatrisés qui m’apprécient, un sentiment que je n’aurais jamais cru ressentir à nouveau dans ma vie. Grâce à leurs encouragements et à leurs dessins affichés sur le mur de l’atelier de rembourrage où je travaillais le jour, j’ai persévéré.
Par-dessus tout, je gardais à cœur la mission de notre organisme : placer le citoyen au cœur de notre action; jeter un regard différent, critique et empreint de compassion sur les grands enjeux de société… pour aider des marginalisés à se réinsérer dans la vie en favorisant leur autonomie, ce qui était aussi mon but. Traduire des textes, réviser des articles, des poèmes et des livres entiers, ça se pouvait…
Mais comment générer de l’intérieur des murs du matériel qui intéresserait les jeunes lecteurs, les activistes et le grand public?
Les années 80, ma vie antérieure : en déambulant dans le centre-ville montréalais, armé d’une caméra zoom, d’un carnet de journaliste, d’un stylo bic et d’un petit magnétophone, je pouvais, en une seule journée, combler les pages vierges de maints employeurs. Le quartier bordé par l’avenue Atwater et la rue St-Denis me fournissait tout ce qu’il fallait.
Je discutais avec des commerçants, des policiers, des amis de McGill, des travailleurs sociaux, n’importe qui, jusqu’à ce que mon carnet soit plein et la pellicule de ma caméra remplie d’images. J’avais assez d’informations pour pourvoir à une semaine de production journalistique.
Et il y avait le téléphone qui, chaque fois qu’il sonnait, apportait son lot d’idées : des gens insatisfaits de leurs conditions de travail qui voulaient dévoiler quelque chose de « juteux » pour se venger de leur patron; des citoyens outrés par telle ou telle politique ; la condition des femmes, des enfants, des itinérants; l’amour au temps du choléra moderne, le SIDA, nouveau fléau méconnu et craint.
Entre les murs d’une prison, c’est différent. Dans les pénitenciers de niveau sécuritaire moyen, il y a peu ou pas de façons de se nourrir d’une quelconque matière pour la transformer en texte. Il y a les visiteurs et les bénévoles, les abonnements à des magazines et l’accès à la radio et à la télé. C’est restreint et ça demeure du prémâché. Rien d’original. Isolé du monde, on focalise sur son grand soi-même, car il n’y a que le miroir collé sur le mur de sa cellule pour se consoler et se rappeler qu’on existe. Rien pour guérir l’égoïsme, ennemi du bon journaliste, car il s’ingère dans le sujet dont on traite et s’interpose entre le lecteur et le champ de vision dont on dispose.
Comment générer de la lumière au fond des ténèbres?
La mission première de Reflet de société, c’est la guérison sociétale. C’est aussi la mienne. Il faut rester positif. Par ailleurs, une prison est un rassemblement d’êtres humains qui se mesurent à de grands défis intérieurs et extérieurs. Des autochtones, des transgenres, des suicidaires; des histoires de drogue, la prostitution, la violence, la santé…plusieurs chemins mènent aux ténèbres… Sans blesser quiconque, sans briser la confidentialité, on trouve des moyens de raconter des histoires touchantes, sans rationaliser.
Enfin, je m’abreuve de médias – la National Public Radio et ICI Radio-Canada et quelques magazines- et puise dans mes expériences en tant que tuteur et enseignant à l’école carcérale et au sein de programmes d’alphabétisation. Beaucoup d’histoires inspirantes de succès, contre toute attente. Et il y a mes études en administration et en philo dont j’applique les enseignements tous les jours de ma vie en suspens.
Tout cela avec la ferme volonté de ne plus causer de peine à qui que ce soit, d’encourager les gens à éviter de commettre les erreurs que j’ai commises et de servir la communauté.
Envoyés par la poste, mes textes sont révisés par le comité de rédaction du Café graffiti, situé au cœur de Hochelaga-Maisonneuve, où se retrouve l’équipe du tonnerre qui dirige nos publications. Je continue ma thérapie par la plume. Du journalisme qui donne une direction à mes publications. Du journalisme fait autrement, surtout avec le soutien de plusieurs femmes puissantes, intelligentes et dignes, prêtes à prendre leur place dans le marché des bonnes idées issues des ténèbres, mon port d’attache.
[…] Publié sur le site internet de Reflet de Société le 27 septembre 2019 […]
[…] First seen in: Reflet de Société, Vol. 27, no. 2, printemps (spring) 2019, pages 26-27. […]
[…] First seen in: Reflet de Société, Vol. 27, no. 2, printemps (spring) 2019, pages 26-27. […]
[…] First seen in: Reflet de Société, Vol. 27, no. 2, printemps (spring) 2019, pages 26-27. […]
[…] First seen in: Reflet de Société, Vol. 27, no. 2, printemps (spring) 2019, pages 26-27. […]