Comment se sentent les enfants malades ?

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Des petits sages en chimio, un guerrier en dialyse, un chevalier avec une armure de papier et une princesse au souffle fragile se partagent l’écran dans Et les Mistrals gagnants. Ce documentaire français, réalisé par Anne-Dauphine Julliand, présente sous un jour plus lumineux la vie d’enfants âgés entre 5 et 9 ans. Ces enfants sont atteints de maladies graves, démontrant que malgré tout, ils demeurent des enfants.

Un texte de Mélina Soucy – Dossier Santé

«Les enfants malades aiment la vie de la même façon que les autres, croit la réalisatrice et journaliste française. Je voulais capturer cette sagesse que les enfants ont.»

Dans le film, on assiste effectivement à des bribes de philosophie de ses jeunes. «Quand on est malade, ça n’empêche pas d’être heureux, raconte Tugdual, un jeune garçon atteint d’un cancer. Quand un ami meurt, on est triste, après on est heureux, rien n’empêche d’être heureux.»

Message d’espoir

Selon Anne-Dauphine Julliand, les enfants vivent l’instant présent et ne pensent pas au futur. «On oublie trop souvent que c’est tout de suite que ça se passe», confie la réalisatrice qui a elle-même perdu deux enfants aux mains d’une maladie grave. Théâtre, soccer, jardinage, activités de style «rêves d’enfants» et école (parfois en milieu hospitalier), rien n’arrête les cinq protagonistes du film.

Le film est tourné à hauteur d’enfants et ne donne la parole qu’à ces derniers pour bien rendre leur authenticité. «Il faut que tu filmes le bain, car sinon tu ne filmes pas ma vie et ça ne sert à rien de faire un film», a demandé Charles à Anne-Dauphine. La journaliste a réalisé le souhait de l’enfant souffrant d’une épidermolyse bulleuse, maladie génétique rare qui rend sa peau aussi fragile que les ailes d’un papillon, en capturant cet instant d’intimité avec pudeur et justesse.

«Je sais que c’est difficile pour vous, concède Imad à ses parents, enfant de 6 ans souffrant d’une insuffisance rénale. Pour moi, par contre c’est facile.» Bien que la parole ne soit pas aux parents, on les aperçoit tout au long du documentaire en train de veiller sur leur progéniture. «Un parent ne doit pas se sentir coupable de l’état de son petit, car la seule chose qu’il promet à ses enfants lorsqu’ils naissent c’est de les aimer, énonce Anne-Dauphine. On ne peut pas leur assurer une santé à toute épreuve, mais on peut leur promettre qu’on les rendra heureux.»

Après 110 heures de tournage, la journaliste en est venue à tirer plusieurs conclusions sur la perception que les enfants ont d’eux-mêmes. «Les enfants ne se définissent pas par leur maladie, observe-t-elle. Ils n’ont pas peur de mourir.» D’après elle, les jeunes avaient peur de choses dont les enfants ont normalement peur. Par exemple, Imad avait peur d’entrer en 1re année.

Peur de mourir

«Les enfants ne sont pas des adultes en miniature, affirme Nago Humbert, chef de l’unité des soins palliatifs pédiatriques du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine (Montréal). Ils ont des peurs. La plupart d’entre eux souffrent de maladies incurables. Qu’ils soient âgés de quelques jours ou de 18 ans, ils ont tous des angoisses.»

Nago Humbert est également professeur de médecine à l’Université de Montréal et côtoie les enfants en fin de vie du CHU Sainte-Justine depuis maintenant un quart de siècle. Durant ses années de pratique, le professeur n’a eu affaire que rarement à des phrases pleines de sagesse et d’espoir de la part d’enfants. «Ce n’est pas impossible que les jeunes aient un discours positif comme dans le film, mais ce ne sont pas la majorité, nuance-t-il. Une ado m’a déjà demandé comment on faisait pour mourir quand on n’y arrivait pas».

Le spécialiste ajoute que ces enfants n’ont pas le choix de développer une maturité que ni vous ni moi ne connaîtrons jamais, car elle est liée à la souffrance. «Imaginez à l’âge de 12 ans, peu après l’annonce de votre cancer vous faire dire, que nous allons devoir prendre de votre sperme pour les possibles enfants que vous aurez, donne-t-il en exemple. Tout ça, car la chimiothérapie peut rendre stérile.» Les plus jeunes ont plus tendance à avoir une pensée magique. «Il est vrai que les 6 ans et moins vivent au jour le jour, consent le professeur. On peut même mesurer leur douleur avec leur envie de jouer. S’il n’en a plus envie, c’est inquiétant.» Selon le spécialiste, avant 6-7 ans la peur de la mort n’est pas présente, car ça ne peut pas leur arriver à eux.

Pour ce qui est de la perception de leurs corps, les enfants ont surtout peur d’être seuls ou mis à l’écart par leur différence. «Ils voient leur différence, par leur handicap ou leur traitement physique, ils savent qu’ils sont malades», fait valoir Nago Humbert.

Plus difficile pour les ados

Dans une société où le corps et la performance sont mis sur un piédestal, il est très difficile pour les ados de passer au travers de la maladie. «Ce n’est pas le décès le plus dur, mais bien la maladie et les traitements qui transforment le corps», explique le professeur Humbert.

En généralisant, le spécialiste peut séparer la vision de la maladie des ados en 2 catégories. Il y a ceux qui se replient sur eux-mêmes, ont honte de leur apparence physique, ne veulent pas se voir sans cheveux, vivent leur maladie comme une injustice et sont plutôt dépressifs. De l’autre côté, il y a ceux qui voient leur maladie comme un tremplin vers la mort et vivent leur vie à 250 km/h, en testant leurs limites avec des sports extrêmes par exemple.

Pour illustrer cette deuxième catégorie, le professeur se rappelle de l’histoire d’un de ses patients qui a été immortalisée par les Cowboys fringuant en 2008 dans leur chanson La tête haute. «Un jour, Laurent m’a appelé et m’a dit : “Nago je crache du sang, je fais quoi?”, se rappelle l’expert en pédiatrie. Je lui ai dit de rentrer à l’hôpital au plus vite. Il m’a répondu qu’il ne pouvait pas vraiment, car il était à Hawaii et faisait de la plongée sous-marine.»

Laurent avait 19 ans lorsqu’il a succombé à son cancer. «Laurent trompait la mort, raconte Nago Humbert. Il ne faisait jamais ressentir aux gens qu’il allait mal, car il continuait à faire ses activités. On oubliait qu’il était malade.»

Plongeur aux poumons fragiles, Laurent a en commun ce que les cinq protagonistes et tous les enfants de Saint-Justine partagent: une résilience colossale.

En complément à Reflet de Société +

Comment parler de la mort à ces enfants ? Écoutez cet extrait de l’émission La Maison des Marternelles avec l’invitée Hélène Romano, psychothérapeute.

La maladie est autant un défi pour l’enfant qui la vit que pour son entourage. Afin de mieux outiller les familles, la Société canadienne du cancer a rédigé un guide à leur attention.

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