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Communiquer autrement

Communiquer autrement

Un texte de Célie Dugand | Dossier Famille

Et si on se parlait avec plus de respect et d’empathie ? C’est ce que Mélanie Whitham pratique au quotidien, notamment avec son fils et son conjoint, en utilisant la communication non violente (CNV). Cette façon de s’exprimer lui apporte beaucoup.

La CNV a été développée dans les années 70 par le psychologue américain Marshall Rosenberg. Selon la psychoéducatrice Mélanie Bilodeau, cette pratique consiste à avoir une interaction positive, empathique et orientée vers l’autre, qui respecte ses besoins et ses émotions. Elle peut se mettre en pratique dans toutes les situations : en famille, en entreprise, entre amis…

Mme Whitham a découvert cette façon de communiquer il y a 21 ans par une de ses amies qui avait réalisé une formation sur le sujet. Elle s’est alors renseignée et ce concept l’a attirée, elle qui était intéressée par les approches éducatives non traditionnelles. Déçue par les écoles conventionnelles, elle a d’ailleurs fondé une école alternative, PEACE.

Aidée par différentes formations, cette enseignante a rapidement adopté cet outil. « J’ai commencé à pratiquer la CNV au sein de mon école. Ce n’est pas un principe que tu choisis de faire que dans ton métier, ça devient une facette de ta vie. Alors, je l’ai aussi mise en place avec moi-même ainsi que mon conjoint, et cela s’est fait naturellement avec mon fils quand je suis devenue maman », explique Mme Whitham.

En famille

La CNV est un pilier de l’éducation bienveillante, aussi appelée parentalité sécuritaire. Cette pratique consiste à élever son enfant sans utiliser de violence éducative, comme des punitions ou des fessées, mais plutôt à favoriser le dialogue pour le guider, au lieu d’essayer de le contrôler ou de le dominer.

Même si chaque famille a sa propre approche en communication non violente, Mme Bilodeau recommande de parler au « je » autant que possible, afin de ne pas faire de reproches à l’autre. Elle préconise également quatre étapes à suivre lorsque l’on s’exprime. Premièrement, il faut nommer la situation puis ses ressentis, en utilisant le spectre des émotions pour les plus jeunes (joie, colère) et celui des sentiments (honte, frustration) pour les plus âgés. Ensuite, il faut les relier à ses besoins, avant de formuler ses attentes à travers une demande concrète et négociable.

« Concrètement, cela pourrait donner ça : “aujourd’hui, tu es rentré tard, je me suis sentie dépassée, j’avais besoin de me reposer. Est-ce qu’on pourrait trouver un compromis ?” », illustre la psychoéducatrice.

Il n’y a toutefois pas de méthode miracle pour pratiquer la CNV. « C’est un cheminement, c’est le travail d’une vie d’apprendre comment moi je veux faire ça », affirme Mme Whitham.

Pour sa part, elle accorde une grande importance à l’expression des besoins. Elle a même créé des cartes besoins, des papiers où sont écrits différents mots faisant référence à des besoins, qu’elle laisse à disposition chez elle.

Ainsi, dans chaque situation avec son fils, elle lui offre de l’empathie et tente de le comprendre. « C’est ça le défi, aller trouver le besoin de l’autre », ajoute-elle. Ensuite, elle lui apprend qu’il est capable de réparer ses erreurs, en trouvant une solution avec lui. Une fois qu’il l’a fait, elle lui exprime sa gratitude.

Les punitions n’existent donc pas chez la famille Whitham. D’ailleurs, leur enfant ne sait pas de quoi il s’agit. « Quand il avait quatre ans, quelqu’un a employé le mot “punition” à côté de lui. Il est venu me voir pour me demander ce que cela voulait dire. C’est là que je me suis dit : “yes, j’ai réussi ma mission”, se souvient Mme Whitham, le sourire aux lèvres.

De plus, elle n’exige rien de son enfant. Elle ne lui a par exemple jamais dit d’être poli. Pourtant, il remercie souvent. « Comme il nous entend le dire, que ce soit entre nous, à lui ou aux autres, il le dit aussi. On est des exemples. Vous n’avez rien à enseigner, soyez-le vous-même », souligne Mme Whitham.

D’après Mme Bilodeau, cela s’explique par le fait que les enfants observent plus qu’ils n’écoutent et sont des éponges émotionnelles.

Mme Whitham a également décidé de ne plus employer de mots qu’elle considère comme des étiquettes, tels que « beau » ou « laid ». Selon elle, les étiquettes sont omniprésentes dans la société et bloquent la compassion. Cela lui a pris des années pour les enlever de son vocabulaire et les remplacer par d’autres mots. « Ça prend des années, de déconstruire le langage qu’on t’a appris et d’en développer un nouveau. Comme mon fils fait l’école à la maison, il ne connaît pas les étiquettes puisqu’il apprend le langage avec nous. Il n’aura donc pas besoin de les désapprendre », raconte Mme Whitham.

La CNV est un mode de vie pour la famille Whitham. Chaque soir, tous trois pratiquent la gratitude, en exprimant ce pour quoi ils ont été reconnaissants dans la journée.

Impacts positifs

Selon Mme Whitham, cette approche permet à son enfant de grandir sereinement.

« L’empathie, c’est la plus grande protection. Il marche dans le monde avec confiance, intelligence, connexion et il s’y sent en sécurité. Il ne se met pas en danger, il fait attention à sa personne. Il est capable de demander des choses et de dire ce qu’il pense même à des adultes inconnus » détaille-t-elle.

D’après Mme Bilodeau, lorsqu’un enfant est accueilli dans ses émotions, cela entraîne de beaux impacts sur ses compétences socio-émotionnelles, mais aussi sur le plan cognitif. Des études ont d’ailleurs prouvé que, lorsqu’on encourage un enfant, son hippocampe, une structure cérébrale, augmente de volume. Ses neurones et ses synapses se développent également mieux.

« Pour qu’un cerveau fonctionne, il a besoin de grandir dans l’empathie. Le fait d’éduquer un enfant dans la peur, de façon constante et répétée, pendant plusieurs années, entraîne des impacts sur les structures de son cerveau, notamment sur l’hippocampe et l’amygdale cérébrale », précise la psychoéducatrice.

Comme le cerveau des enfants de deux à neuf ans est en plein développement, cela a des répercussions plus graves lorsqu’ils sont jeunes. Cet organe continue tout de même à se développer plus tard, mais de façon différente puisque c’est grâce à la plasticité cérébrale.

La CNV a également des impacts positifs sur toute la famille. « Ça ouvre le dialogue et nous incite à parler de notre vécu. On apprend à être plus ouverts et à l’écoute. Si tu es capable d’entendre le sentiment et le besoin derrière quelque chose, alors tu ne le prends pas personnellement », souligne Mme Whitham.

Cette méthode de communication lui permet également d’avoir des conversations difficiles. Grâce à son empathie qui s’est développée, elle a confiance et est capable de marcher vers le conflit, ce qui l’enrichit.

« Je me demande ce que ma vie serait si je n’avais pas découvert ça. C’est ancré dans ma personne, je marche sereinement, je me sens en sécurité, parce que je suis un être libre. Ça m’a apporté la liberté de créer ma vie comme je le souhaite, de façon intègre », confie avec émotion Mme Whitham.

Défis

Pourtant, pour elle, pratiquer la CNV avec son conjoint n’a pas toujours été facile. Cela a d’ailleurs été son plus grand défi. « Avec mon fils, je me donne le devoir d’être plus intègre car je l’éduque. Avec mon conjoint, j’ai toujours la pensée que c’est un adulte et qu’il devrait le savoir. J’ai eu beaucoup du mal à me détacher de ça. C’est là où la CNV me soutient, elle m’aide à accepter l’autre comme il est », détaille Mme Whitham.

Même si tout n’est pas toujours parfait, il est important de ne pas culpabiliser. Selon Mme Bilodeau, savoir gérer ses émotions est l’un des plus grands défis. Ainsi, lorsqu’on n’est pas capables d’exprimer ses émotions de façon adéquate, elle préconise de s’isoler, loin de la stimulation ambiante, dans un endroit où on n’entend rien, ou de mettre des écouteurs anti-bruit si ce n’est pas possible. Elle recommande également de prendre trois grandes respirations, avec de longues expirations, afin de libérer des endorphines.

Il est ensuite essentiel de revenir plus tard pour parler de la situation. L’enfant a besoin qu’on lui explique ce qui s’est passé, surtout que ce n’est pas très sécurisant de voir son parent partir de la sorte.

Mme Whitham, elle, a trouvé son moyen d’auto-régulation. « Quand j’ai mal réagi à une situation, je m’assois avec le vocabulaire des sentiments et des besoins et je m’offre de l’empathie. Je me sens comme pognée et l’auto-empathie me redonne mon pouvoir d’agir.  Ensuite, je partage ça avec mon conjoint, car j’ai envie qu’on apprenne », raconte-t-elle.

Mythes

D’après Mme Bilodeau, il y a beaucoup de mythes autour de la CNV et de la parentalité sécuritaire. Certains pensent qu’il s’agit de laxisme et que cela va en faire des enfants-rois. Selon la psychoéducatrice, cela s’explique par la méconnaissance autour du sujet.

« Dans les années 70-80 et même au début des années 90, c’était très coercitif. On ne parlait pas de ça. Les études scientifiques sont arrivées il y a seulement une quinzaine d’années, avec les neurosciences affectives et sociales. C’est normal qu’il y ait une méconnaissance puisque les gens ont vécu avec une pratique parentale autoritaire », analyse-t-elle.

Les choses sont en train d’évoluer, à petits pas. D’après Mme Bilodeau, le changement doit passer par l’éducation. La nouvelle génération d’enseignants semble plus ouverte et cela tend à évoluer positivement.

Pour faire avancer les choses à son échelle, Mme Whitham donne des formations sur cette façon de communiquer. Elle a même écrit un livre et créé un jeu de cartes illustré des sentiments et besoins. Pour elle, la CNV n’est pas quelque chose à exiger, mais à cultiver. Alors, êtes-vous prêt à semer cette graine pour faire fleurir un jardin d’empathie ?


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