En 2015, prenant position contre la normalisation des rapports entre les humains et les machines, les universitaires Kathleen Richardson et Erik Brilling créent la campagne Against Sex Robots. Ils postulent que les robots encouragent l’objectification des femmes et des enfants, de même que le non-respect du consentement.
En 2018, c’est au tour de l’organisation religieuse Elijah Rising, qui lutte contre le trafic sexuel, de lancer une pétition sur Internet visant un établissement de Houston qui offre des relations avec des poupées et des robots. Prédiction unanime : il découlera de cette pratique une augmentation de l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants.
Selon leurs détracteurs, les poupées et les robots seraient principalement vus comme des objets passifs, ce qui permettrait de passer outre la notion de consentement. Ce genre d’argumentaire revient régulièrement lorsqu’il s’agit pour un groupe de pression ou un autre de forcer la fermeture de maisons de poupées sexuelles, ce qui se produit dans plusieurs cas.
Discrétion privilégiée
Alors qu’au Japon, ces services sont implantés depuis le début des années 2000, ils sont conspués ailleurs, même s’ils tendent de plus en plus à s’installer en Europe, et plus récemment en Amérique du Nord.
En 2018, la Belgique a vu une importante augmentation du nombre d’établissements qui proposaient des services sexuels à l’aide de poupées en silicone, dont la Sex Doll House. À l’époque, le site Internet de l’entreprise proposait six poupées, qui « attendaient leurs clients dans la tenue et position désirées par ceux-ci. » Depuis la célébration de son premier anniversaire, elle se fait discrète pour assurer sa survie.
En France, des élus du parti communiste ont demandé la fermeture d’un établissement semblable à Paris, car il s’agissait selon eux de l’évocation du viol d’une victime passive. La mairie a plutôt considéré que cette activité ne relevait pas du proxénétisme. Xdolls a tout de même déménagé quelques mois après son ouverture.

C’est également en 2018 qu’Aura Dolls a voulu lancer ses activités, d’abord dans un centre commercial ontarien, proclamant être le premier bordel du genre en Amérique du Nord. Quelques mois plus tard, et après quelques polémiques, la maison Aura Dolls ouvrait ses portes avec la volonté de se faire discrète et d’éviter les remous. Le lieu demeure néanmoins « temporairement fermé à cause de la Covid-19 ».
Réduction des méfaits
À Vancouver, Aura S Dolls prétend pouvoir réduire la violence en louant ses poupées 250$ la nuit. « Le manque de sexe peut entrainer des agressions, la dépression, le cancer, le diabète et même le suicide. La science avance plusieurs raisons d’avoir une relation sexuelle, ce soir : ça augmente la longévité, préserve les mariages, aide à combattre le rhume et la grippe, réduit le stress, améliore le sommeil et la mémoire » peut-on lire sur son site Internet.
L’entreprise prétend aussi que, contrairement aux travailleuses du sexe, les poupées ne donnent pas de remords ou d’infections transmises sexuellement à leurs partenaires. « La prostitution et le trafic sexuel sont illégaux. C’est une industrie criminelle violente qui implique des proxénètes, proches des gangs, des drogues et de la violence de rue. Ça comporte aussi le risque de se faire voler », argumente-t-elle.
Sans législation précise, l’entretien des poupées, et donc la sécurité des utilisateurs, peut laisser à désirer. Dans une entrevue à Vice, Jenna Owsianik, spécialiste en technologie sexuelle, rappelle que les maisons closes de poupées sexuelles peuvent être malpropres et permettre des pratiques non hygiéniques. « C’est très important qu’elles soient régulièrement nettoyées, avec le matériel approprié. » Des sites offrant la location de poupées détaillent leur méthode de nettoyage afin de rassurer les clients.
Menace aux prostituées?
Si les poupées et les robots deviennent plus populaires, les travailleuses du sexe ne craignent cependant pas que la demande pour leurs services diminue. « Je trouve ça triste que des féministes nous comparent aux poupées. Je ne me sens pas remplaçable, confie Jasmine, qui a commencé dans l’industrie comme masseuse érotique et qui est maintenant prostituée indépendante. Je sais faire la différence entre un dildo et un vrai pénis. Les hommes qui veulent une expérience avec une escorte ne se tourneront pas vers un bordel de poupées. »
Le chercheur John Danaher, en entrevue à Vice, donne en partie raison à Jasmine. « Il y a de nombreux avantages aux robots sexuels. Dans plusieurs pays, la prostitution et les activités qui y sont reliées, comme la publicité et la tenue de maisons closes, sont illégales. Les robots sexuels comportent donc moins de risques. Mais ils ne remplaceront pas les prostituées. Si nous leur donnons le choix, la majorité des humains vont préférer avoir une relation sexuelle avec un humain plutôt qu’un robot. »

M. Danaher considère aussi que l’industrie du sexe résistera au temps. « Où irons-nous quand la majorité des professions seront occupées par les robots? Nous irons dans les industries où existe une préférence pour le labeur humain, où il y a peu de qualification requise, et qui sont avantageusement rémunérées. Je prédis que la prostitution satisfera à ces conditions. »
Jasmine se désole du sensationnalisme autour des maisons de poupées sexuelles. « C’est cool de critiquer ça, mais pendant ce temps-là, personne ne porte attention aux conditions de travail des vraies travailleuses du sexe. Au lieu de penser à des objets qui ne ressentent rien, j’aimerais qu’on me demande ce qu’il est possible de faire pour rendre mon travail plus sécuritaire. »
Un souci pédagogique
En ce qui concerne les accusations de campagnes comme Against Sex Robots, qui prétendent que l’utilisation de poupées et de robots sexuels amène les hommes à devenir plus violents et à nier la notion de consentement, certaines études semblent les réfuter.
Dans l’article Sex care robots, d’Eduard Fosch-Villaronga et d’Adam Poulsen, publié dans Paladyn, en 2020, les auteurs s’intéressent à l’utilisation éducative de ces supports technologiques. Ils rappellent que certaines personnes possédant des capacités intellectuelles réduites ne comprennent pas le concept du consentement et des abus, « [ce qui suggère le] besoin profond d’une meilleure éducation sexuelle pour les personnes ayant un handicap intellectuel, afin qu’elles connaissent et exercent leurs droits, tout en se protégeant. »
Fosch-Villaronga et Poulsen soulignent aussi que le robot Samantha doit être touché gentiment afin d’être activé. Si elle est manipulée de façon agressive, elle se ferme automatiquement. Il n’y aurait donc pas, selon eux, d’arguments valables contre la sexualité entre humains et robots; il faudrait plutôt y voir une possibilité d’enseignement et d’empathie, même si cela provient de machines.