« Si je raconte mon histoire, c’est parce que je veux expliquer aux Canadiens ce que nous vivons, et aussi parce que je veux redonner espoir à tous ces réfugiés qui ne croient plus en la vie. »
Un texte de Anne Reitzer – Dossier Immigration
C’est en commençant par ces mots qu’Ahmed me raconte son histoire, qui commence en Syrie, d’où il s’exile en Turquie, en Grèce et en Belgique, pour finalement atterrir à Montréal.
Ahmed a 18 ans lorsque la révolution syrienne éclate en 2011. A cette époque, il est en train de terminer ses études secondaires scientifiques : « J’avais opté pour cette branche, car en Syrie, tu n’as le choix qu’entre la littérature ou la science et je voulais faire de l’informatique dans mon pays. »
Lorsque commencent les manifestations pour dénoncer le régime de Bachar Al Assad, Ahmed prend part aux cortèges : « Au début, on ne réclamait que la liberté et la justice. On ne savait pas l’ampleur que tout ça allait prendre. » En effet, le dictateur ne l’entend pas de cette oreille et ordonne à la police de faire cesser rapidement ces rassemblements.
Au fil du temps, les manifestations deviennent plus nombreuses et les policiers ne peuvent plus identifier les manifestants. Ils se mettent alors à tirer dans la foule : « Puisque des personnes sont assassinées, les gens commencent à se procurer des armes. Petit à petit, il y plus d’armes en circulation et les citoyens répondent à la violence par la violence. » Le régime de Bachar Al-Assad finit par s’essouffler alors que les revendications des citoyens se font entendre à l’échelle mondiale. Malgré cela, le régime appelle Ahmed au service militaire, obligatoire pour tous les hommes en Syrie. « À partir de 18 ans, tu dois le faire, mais si tu étudies, tu peux le reporter. Comme il s’agissait d’une situation d’urgence, on ne me donnait pas le choix de le faire. »
Lorsqu’Ahmed reçoit sa convocation à rejoindre l’armée, il décide d’en parler à sa famille. Tous se mettent d’accord sur le fait qu’Ahmed doit quitter le pays : « Je n’avais pas le choix de fuir. Si je restais en Syrie, soit j’allais dans l’armée, soit je me faisais capturer par les djihadistes ».
Le jeune homme quitte donc son pays en février 2012, seul, à l’âge de 19 ans. « Abandonner ma famille a été terrible. Aujourd’hui, ça fait cinq ans que je n’ai pas vu mes parents. »
Péripéties européennes
Ahmed prend un bus pour se rendre dans une ville frontalière avec la Turquie. De là, il atteint Istanbul où il rencontre un passeur qui lui permettra de rallier la Grèce. « L’Europe était vue comme un eldorado pour nous » confie le jeune homme.
Après avoir été transporté avec une trentaine de personnes dans une camionnette et avoir marché pendant des heures, Ahmed arrive enfin en Grèce. La crise économique qui touche de plein fouet le pays lui fait comprendre qu’il ne peut pas rester là. « Le pays connaissait une crise tellement profonde que même si j’avais fait une demande d’asile, on n’aurait pas pu traiter mon dossier. Il fallait que j’aille ailleurs. »
C’est alors qu’Ahmed décide d’aller en Belgique. « J’y avais un cousin, je me suis dit que ça serait plus facile pour moi de m’intégrer. Quand je suis arrivé là-bas, j’ai tout de suite fait ma demande d’asile. Malheureusement, on me l’a refusée au bout d’un an. »
Ahmed décide néanmoins de ne pas baisser les bras. Avec son cousin, ils louent un petit studio à Bruxelles et il commence à travailler au noir pour avoir une source de revenus et envoyer un peu d’argent à ses parents toujours en Syrie. Mais l’une des plus grandes difficultés est la barrière de la langue. « En Syrie je n’avais aucune base de français… Comme je voulais m’intégrer, je n’avais pas le choix; je devais suivre des cours dans une école privée. De 7 h du matin jusqu’à 17 h, je travaillais dans un entrepôt à charger et décharger du matériel de chantier. Je me rendais ensuite à mes cours de français de 18 h à 20 h. J’ai fait ça pendant quatre mois. »
Même si sa demande d’asile n’est pas acceptée, Ahmed obtient tout de même un visa temporaire lui permettant de faire une demande d’équivalence de diplôme et de s’inscrire à l’École supérieure d’informatique de Bruxelles. Là encore, il continue de travailler à l’entrepôt en adaptant ses horaires : « Au début c’était dur, car je devais apprendre le vocabulaire spécifique, mais j’ai adoré mes cours. »
Malgré tout Ahmed ne pourra pas aller jusqu’au bout de son diplôme même si la volonté y est : « Quand les cours ont commencé à s’intensifier, je ne pouvais plus continuer à travailler au noir. La plupart des Syriens autour de moi ne voulaient pas étudier, car ils savaient que c’était bien trop compliqué. Mais moi j’avais la vingtaine, je voulais me construire un avenir et j’ai toujours aimé apprendre… J’ai donc décidé de poursuivre mes études. »
En ayant son visa temporaire, Ahmed bénéficie d’une aide sociale de 800 euros (soit environ 1 100 $) mais son loyer coûte 600 euros, en plus des factures et de l’épicerie. Il décide d’arrêter d’étudier. « Je ne pouvais pas tenir le rythme. J’ai pensé à vivre en colocation, mais si je l’avais fait, l’État m’aurait retiré 300 euros. C’était dur pour moi : arrêter les études que j’aimais, qui me stimulaient et voir mes amis qui continuaient leurs activités, allaient au restaurant. Moi je ne pouvais pas; j’étais tellement frustré. »
À ces problèmes financiers s’ajoutent des soucis d’immigration. « Chaque année, je devais refaire une demande pour renouveler mon visa temporaire un mois avant que celui-ci n’expire. Mais le traitement du dossier pouvait prendre plus de deux mois, donc durant ce temps-là, tu es considéré comme illégal. Avec la Convention de Dublin, tu ne peux pas faire de demande simultanément dans un autre État de l’Union européenne. Donc tu es obligé d’attendre une réponse. »
La Belgique refuse la nouvelle demande d’Ahmed, il doit quitter l’Union européenne. « Il ne me restait plus que l’Asie, l’Afrique ou l’Amérique du Nord. J’ai décidé de me concentrer sur le Canada, on me disait que les gens étaient très gentils là-bas. »
Nouvelle tentative
Ahmed décide de prendre l’avion en direction de Montréal. Il s’achète un faux passeport. « Je suis juste parti avec mon faux passeport. Je n’avais même pas de valises… Mais, je me suis fait arrêter dans l’avion. Les douaniers belges ont été gentils avec moi et m’ont expliqué qu’ils comprenaient ma détresse, mais qu’ils ne pouvaient pas me laisser prendre l’avion. »
Il tente une seconde fois sa chance, avec le vrai passeport d’une autre personne. « Je n’étais même pas stressé… Étant donné que je n’avais nulle part où aller, je me disais que je ne perdais rien. Cette fois, ça a marché. Dès que je suis arrivé à l’aéroport, je suis tout de suite allé voir un douanier et je lui ai dit que je voulais faire une demande d’asile. Je vois encore son visage totalement halluciné me disant “comment tu as fait pour venir jusqu’ici…” »
Une fois sa demande faite, Ahmed est placé en détention pendant un mois. Le temps pour l’immigration de se renseigner sur le passé d’Ahmed et d’être sûr qu’il ne représente pas un danger pour le pays. « Je comprends tout à fait qu’ils veuillent savoir si je suis quelqu’un d’honnête. Même moi, je suis rassuré de voir qu’ils font attention aux personnes qui entrent sur leur territoire. Une fois qu’ils ont tout vérifié, ils m’ont permis de faire une demande d’asile. »
En l’espace de deux mois, Ahmed s’est trouvé une colocation qu’il partage avec deux Québécoises. « Elles sont adorables et s’intéressent à mon pays. Les gens sont très ouverts ici. »
Ahmed va maintenant pouvoir reprendre ses études en informatique à Concordia et compte bien continuer à s’épanouir. « Fuir mon pays, quitter ma famille et vivre autant d’années de galère m’a rendu débrouillard. Bien sûr, je souffre encore, mais j’ai retrouvé espoir… et je m’y accroche. »
[…] texte de Anne Reitzer publié sur Reflet de Société | Dossier […]