D’Haïti à ici

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Par Colin McGregor

Dossier Famille

Soif d’en savoir plus sur ses racines – sur l’ombre brumeuse de sa mémoire de son grand-père, Daphné Cambronne a fait des recherches pour éclairer les chemins de son passé.

« Des chauffeurs de taxi connaissaient ma famille, les Cambronne, plus que moi » dit Daphné Cambronne, dont son film documentaire de neuf minutes Un chaos rempli de poésie a remporté le Prix regards d’ici pour court ou moyen métrage au prestigieu Festival international de cinéma Vues d’Afrique de 2022.

Étudiante dans le programme de communication humaine et d’organisation humaine à l’UQAM, cette jeune femme intrépide, issue d’une des plus grandes familles d’Haïti, a réalisé son documentaire en tant que projet scolaire lorsqu’elle était au Cégep de Saint-Laurent.

Le documentaire s’amorce par une photo de Daphné, bébé, perchée sur les genoux de son grand-père, Roger S. Cambronne. Daphné débute le documentaire : « Salut, grand-papa Roger, c’est ta petite fille. J’ai 19 ans maintenant. De toi, je n’ai gardé qu’un vague souvenir de ta grande et mince silhouette. Je t’ai vu si peu souvent et si peu connu. »

Elle m’explique lors d’une interview : « Je l’ai rencontré deux ou trois fois, il est parti en Haïti, puis il est revenu. Il était en prison, un ennemi du régime Duvalier père. »

Des membres de la famille Cambronne ont aidé le régime Duvalier (père et fils) pendant leur règne de terreur, où ils ont imposé une dictature de 1957 à 1986. Luckner Cambronne, connu comme « le vampire des caraïbes », a même dirigé la force paramilitaire détestée de Tonton Macoute. Ils ont semé la peur, étant les responsables de nombreuses disparitions.

De son côté, Roger était journaliste. Il s’est retrouvé de l’autre côté de la clôture politique et, à un moment donné, a cherché refuge au Canada.

« Beaucoup d’Haïtiens fuyant Duvalier sont allés au Canada et certains sont allés au Congo », explique Louise Gagné, une haute fonctionnaire avec le ministère de l’immigration québécoise, maintenant à la retraite. Elle a travaillé avec plusieurs personnes comme les Cambronne. « Ceux qui sont allés au Congo sont généralement revenus vers le Canada. »

En effet, alors que j’interviewais Daphné dans un café à Longueuil, Louise lui a remis une trousse remplie de documents sur le séjour de son grand-père au Québec – y compris des éléments de la propre écriture de Roger. Ces documents faisaient allusion à son implication comme coordonnateur de l’ACCORD, un organisme antiraciste qui travaillait auprès des réfugiés et d’autres immigrants pour favoriser la tolérance.

Daphné a clairement été émue par le cadeau. Dans le documentaire, il y a aussi des documents et des photos dans une boîte fournie par l’avocat de Roger, Maître Bolté. Les trois membres de la famille fouillent dans la boîte et regardent le contenu, qui soulève souvenirs et regrets.

Le mariage de Roger s’est rompu à cause de sa nature violente et contrôlante. Nous apprenons que Roger avait tellement honte de son comportement qu’il s’est tenu à l’écart de sa famille, à l’exception de visites occasionnelles. « C’est difficile parce que je ne l’ai pas vraiment connu », explique le père. « Je l’ai connu comme ça sporadiquement et pouf ! Il a disparu… Il est toujours apparu un peu comme une comète. »

« Les racines sont importantes », observe le père de Daphné, un homme lui-même polyvalent – clown, acteur et professeur de physique au Cégep. « Il y a une expression qui est répandue dans son milieu. Pour se sentir fort et solide, ça prend des racines. Quelles sont ces racines ? C’est la mémoire, c’est le passé. »

C’était rare de voir son père s’ouvrir comme ça, confie Daphné. « Mon père ne voulait pas parler de mon grand-père. Pendant des années, j’ai demandé. Puis il est mort. Quand j’ai fait le documentaire, il n’avait pas le choix que de sauter dans le bateau. Il faut qu’il s’ouvre. »

Il n’a pas parlé avant le documentaire, dit Daphné, « parce qu’il voulait que je me fasse ma propre idée ». Daphné a consulté plusieurs membres de sa famille, ainsi que des membres de la communauté haïtienne de Montréal, comme la leader communautaire France Voltaire.

À la fin, Daphné dit à son grand-papa : « le documentaire m’a permis d’entrouvrir une porte et d’en apprendre un peu sur toi et m’a surtout donné envie de poursuivre ma recherche sur mes origines haïtiennes. »

Pour regarder le court-métrage Un chaos rempli de poésie:


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Version anglaise : https://tse2015.ca/2023/01/24/young-filmmaker-roots-haiti/

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