Flora Lassalle et Caroline Monet | Dossier Autochtones
«Mon peuple dormira pendant 100 ans, mais quand il se réveillera, ce seront les artistes qui lui rendront son esprit.» –Louis Riel, chef métis, 1885
Après une période de résistance et de survie durant laquelle il était – entre autres choses – interdit aux Autochtones de pratiquer leurs traditions, les artistes se réveillent. Leurs œuvres apparaissent pour la première fois dans les musées au milieu du 20ème siècle. L’expertise de Guy Sioui Durand nous a permis de mieux comprendre la diffusion singulière de leurs arts si distinctifs et étonnants.
Que sont les arts autochtones?
Les arts autochtones se caractérisent par la conscience des artistes de leur héritage et par leur volonté de le divulguer. Impossible de parler d’un art autochtone puisque les peuples sont multiples et différents les uns des autres. Cette grande diversité se reflète aussi dans leurs œuvres et pratiques. Ainsi, la sculpture inuit ne se retrouvera pas chez les Métis ou les Premières Nations. L’art autochtone est donc un terme générique qui englobe une multitude de créations.
Contrairement à l’art contemporain occidental, il n’existe pas de rupture entre l’artisanat et l’art contemporain chez les Autochtones : les savoir-faire sont intégrés dans les œuvres, éléments souvent symboliques qui peuvent être interprétés par ceux qui connaissent la culture, l’imaginaire et l’esthétique autochtones. Les rapports à l’esprit des animaux, à la nature, à l’artisanat et aux techniques ancestrales sont omniprésents dans les œuvres d’art autochtones.
Dans le domaine de la musique, il pourra s’agir de l’utilisation du tambour, reprenant les battements de cœur et les pulsations de la Terre Mère. Dans les arts plastiques et visuels, on note souvent la présence du cercle (symbole des quatre points cardinaux, des saisons, de la vie…), des plumes, de la broderie traditionnelle, des attrapeurs de rêves, etc.
Malgré cet ancrage dans leur culture, les artistes portent souvent des messages universels qui concernent notre manière de vivre ensemble, l’environnement, la représentation de l’histoire…
Diffusion en crise
L’été 1990 est marqué par la crise d’Oka, événement durant lequel le peuple mohawk, rejoint par d’autres communautés amérindiennes, se rebelle contre le maire d’Oka (au Québec) qui décide d’agrandir le terrain de golf de la ville sur leur cimetière ancestral. Durant cette période, de violents conflits armés opposent la Sûreté du Québec, puis l’armée canadienne à la Société des Guerriers Mohawks tant à Kanesatake que Kahnawake.
Savoir-vivre, savoir-faire, savoir être, l’exposition les Cent jours de l’art contemporain du CIAC (Centre International d’art contemporain) est en cours lorsque le conflit éclate. L’artiste Métis Domingo Cisneros qui y participe barricadera son installation en signe de solidarité.
Une grave fracture entre Autochtones et le reste de la population québécoise résulte de la crise d’Oka que le gouvernement fédéral tente tant bien que mal de panser en réalisant, entre autres, des événements autour des arts autochtones dans les musées. Ainsi eurent lieu des expositions telles que L’Oeil Amérindien. Regards sur l’animal au Musée de la civilisation à Québec, Solidarity: Art after Oka à la galerie SAW d’Ottawa en mai 1991, ou encore Art mohawk 92 au centre Strathearn de Montréal. Ces événements permirent aux artistes amérindiens ayant été marqués par la crise d’Oka de s’exprimer, de populariser leurs arts et d’être remarqués par le grand public en étant exposés dans des lieux reconnus.
Les arts autochtones sont davantage diffusés lors des crises et des conflits opposant les Autochtones et les autres Canadiens. Selon Guy Sioui Durand: «Quand il y a une crise, quand les gens ne comprennent pas, les artistes ont plein de travail parce que l’art explique le monde, il est pacifique.»
Circuits parallèles
Après 1992, la présence d’artistes autochtones dans les musées se fait plus rare. Certains travaillent sur des événements ponctuels mais la demande à leur égard devient exceptionnelle.
Encore aujourd’hui, il n’existe pas d’institutions pour diffuser uniquement les arts autochtones contemporains au Québec, c’est pourquoi les artistes et les passionnés se sont regroupés pour développer un circuit parallèle, basé sur le réseautage.
Guy explique: «C’est lorsque tu regroupes que tu observes la grandeur. Je l’ai constaté dans les centres d’artistes, les centres autogérés qui subventionnent les événements. On a vu apparaître quelques institutions dans les réserves, donc ça se construit, y a des choses qui se font, mais lentement.»
Les œuvres s’insèrent là où elles le peuvent: l’artiste Sonia Robertson organise des prestations dans le camping de Mashteuiatsh, on retrouve les œuvres cinématographiques de Rebecca Belmore dans l’exposition anthropologique du Musée McCord de Montréal Porter son identité, d’autres artistes s’exposent au Musée de la civilisation de Québec, dans la Maison de la Culture Frontenac…
Gerald MacMaster (artiste et conservateur cri) évoquait en 1992 «la lutte incessante qu’il faut livrer pour extraire l’art autochtone de l’arrière-boutique des institutions culturelles canadiennes.» Il semble que ce combat reste d’actualité.
Éléments rassembleurs
À présent, un nouveau problème touche le monde entier: la crise environnementale. Un souci majeur qui rapproche les individus. Les Autochtones sont directement concernés par ce mal et militent contre la pollution, la disparition des ressources, la pêche et la chasse intensives.
Guy Sioui Durand explique: «La protection de l’environnement est une vraie lutte pour nous. On défend le territoire parce que c’est notre premier mode de survie. C’est sur ce point que les jeunes s’intéressent aux Amérindiens.»
Aux problèmes environnementaux viennent s’ajouter ceux relatifs à la mondialisation, aux crises identitaires repérées partout dans le monde. Des luttes ont démarré pour la préservation des identités locales et contre le phénomène d’uniformisation culturelle. Après des décennies de lutte pour la survie de leur culture, les Autochtones connaissent bien ce combat. «C’est donc la crise environnementale et la crise de société qui portent cet intérêt majeur nécessaire et réel pour les Amérindiens et pour leurs arts», explique le sociologue.
Pourtant, certains Autochtones sont gênés par la manière dont on les intègre dans ces luttes. Guy exprime sa difficulté à ne pas être considéré, lors des rassemblements, autrement que comme le «bon sauvage»: «Partout on veut l’Indien en avant, on veut les Indiens inventés, les Indiens imaginaires, le bon sauvage qui défend la nature. On veut le tambour, le côté spirituel et sacré et c’est ça qui fait la renommée.»
Pour autant, la multiplicité des individus adhérant à ces combats permet aux artistes de se faire voir et entendre davantage et de lutter pour de nobles causes qui nous concernent tous.
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