Par Colin McGregor | Dossier Protection du consommateur
Les drogues sont coupées et mélangées les unes aux autres. Comment savoir si les drogues que vous consommez contiennent un mélange mortel ?
Il est près de minuit samedi et une camionnette noire se gare devant une exposition d’art et de cinéma, dans le cadre du Festival international du film sur l’art, sur le campus de l’UQAM au centre-ville de Montréal. Des gens jeunes, chics et artistiques, entrent dans le bâtiment, passant devant une fourgonnette noire avec le nom « GRIP » blasonné sur ses deux côtés. Sur un côté est inscrit :
« Si tu choisis de consommer
Choisis aussi de t’informer »
Une brise froide traverse la nuit alors que trois membres du personnel du GRIP, jeunes, enthousiastes et bien informés, installent une machine à 40 000 $ conçue pour analyser les composantes des drogues et pour voir si elles ont été « coupées ». La mission : sauver des vies.
Le GRIP – Groupe de recherche et d’intervention psychosociale – existe depuis 25 ans, mais ils n’ont leur spectromètre Bruker Alpha 2, une machine plus petite qu’une imprimante, que depuis un an. Il y a des spectromètres beaucoup plus chers et élaborés que le modèle « basique » qu’utilise le GRIP en cette nuit frisquette.
L’équipe voyage à plusieurs événements, annonçant où ils seront à l’avance sur leur site Web, pour rendre la consommation de drogue plus sûre pour ceux qui le feront de toute façon. Le but : la réduction des méfaits.
Kathryn Balind est une agente de recherche et développement pour le GRIP, et elle est de la partie ce soir-là. Elle m’explique comment fonctionne le spectromètre : « Cela peut prendre 15 minutes pour tester une substance, ou une heure si la personne veut s’asseoir et parler, s’il n’y a personne qui attend. » L’intervention étant l’un de leurs objectifs, ils aiment s’asseoir et parler avec les gens pour les informer de leurs choix et apprendre des autres.

La machine a besoin d’une quantité infime de drogue, que les consommateurs récupèrent après l’analyse.
La police
Le GRIP a une entente à l’amiable avec la police. Ils n’attendent pas à l’extérieur de la camionnette pour arrêter les gens. La police comprend que GRIP est là pour aider.
Ils font partie d’une « communauté de partage », me dit Balind. Ils échangent avec des organismes de consultation en toxicomanie de la région de Montréal, ainsi qu’avec des organismes nationaux et internationaux, afin d’obtenir les meilleures méthodes d’analyse. Les problèmes de surdose de fentanyl tuent beaucoup plus de personnes en Colombie-Britannique que partout ailleurs au Canada, alors Balind me dit que les organisations de la côte ouest « font la lumière sur nos angles morts ». Le BCCSU, le British Columbia Centre on Substance Use, est une énorme source d’information pour Balind et son équipe.
Avec sa maîtrise en chimie, c’est elle qui forme les autres membres du personnel du GRIP ainsi que les intervenants à travers Montréal sur l’utilisation de la machine. « Elle est super accessible, facile à transporter et à utiliser même pour les personnes qui n’ont pas de formation en chimie », déclare Balind à propos de son spectromètre.
Même pour obtenir le spectromètre, il faut un long processus d’accréditation par Santé Canada que ce soit pour GRIP ou les autres organismes qui l’utilisent pour analyser les substances.

Il y en a moins d’une douzaine dans toute la province de Québec. Le GRIP en a deux, qu’ils ont nommés comme les jumelles Olsen : Mary-Kate et Ashley. Ce samedi soir, ils sortent avec Mary-Kate.
Pour identifier les machines, chacune d’entre elles a été personnalisée d’un autocollant du visage de Mary-Kate et Ashley, les enfants-vedettes de la télésérie des années 1990, La fête à la maison (Full House en anglais). Une intervenante m’a dit avec humour “on dirait que nos procédures sont observées par les jumelles elles-mêmes”.
Les intervenants sont également connectés à Internet pour collecter des données et rechercher des résultats qu’ils ne comprennent pas. Hormis cela, ils n’ont pas besoin d’Internet pour faire fonctionner la machine.
La coupe
La pureté des drogues est un gros problème dans la rue. La « polyconsommation » de substances – la consommation de deux ou plus de substances en même temps – est responsable de la plupart des décès dus au surdosage.
Selon Santé Canada, on a enregistré un nombre total de 32 632 décès apparentés à une intoxication aux opioïdes entre janvier 2016 et juin 2022. Au plus fort de la pandémie, lorsque les surdoses étaient également à leur apogée, cela signifiait 20 décès par jour. La plupart des décès apparentés à une intoxication aux opioïdes concernent des hommes jeunes ou d’âge moyen.
Sur tous ces décès : 98 % étaient accidentels : 76 % impliquaient le fentanyl, 64 % impliquaient la cocaïne et 51 % impliquaient des méthamphétamines.
« La coupe » (le nom sur la rue pour le mélange des substances) peut avoir lieu à n’importe quelle étape de la chaîne de distribution. Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles les revendeurs coupent leurs drogues. Les revendeurs qui prétendent vendre un produit pur peuvent utiliser « la coupe » pour intensifier “la défonce” et augmenter la quantité afin que les clients achètent chez eux.
Une fois qu’ils sont accros, les revendeurs coupent avec des substances moins puissantes afin que les clients obtiennent moins d’effet d’une dose qu’auparavant, ce qui les oblige à acheter plus auprès des revendeurs pour obtenir le même effet.
La coupe est également utilisée pendant les périodes où moins de drogues sont disponibles auprès des fournisseurs, en raison de l’interception et de la saisie aux postes frontaliers ou une autre cause. Cela permet aux concessionnaires de continuer à vendre jusqu’à ce que leurs approvisionnements soient rétablis.
De nombreux agents diluants (par exemple, les sucres et les amidons) pour la drogue sont faciles à acheter, pharmacologiquement inactifs et comportent un risque minimal d’effets indésirables bien au-delà d’une irritation nasale mineure. Cependant, une variété de produits chimiques pharmacologiquement actifs sont utilisés comme agents de coupe en raison de leur ressemblance physique ou chimique avec la cocaïne, de leur faible coût ou de leurs effets physiologiques supplémentaires.
Une enseigne en A
Les gens du GRIP montent une enseigne en A en dehors de l’événement. Ça dit :
TESTE DE DROGUES – DRUG CHECKING
MATÉRIEL DE CONSO – SAFER DRUG SUPPLIES
NALOXONE
MATÉRIEL DE SANTÉ SEXUELLE – SAFER SEX SUPPLIES
FENTANYL TESTS
C’est une enseigne qui a vu beaucoup de festivals et de tels événements dans son temps.
Je me demande pourquoi il y a moins de décès par surdose au Québec qu’en Ontario ou en Colombie-Britannique. Balind me dit qu’il peut y avoir une sous-déclaration, car les hôpitaux du Québec n’ont pas la même qualité d’équipement de test que l’Ontario et la Colombie-Britannique. Même leur machine, Mary-Kate, a des angles morts : les substances inférieures à 5% ne sont pas enregistrées, ils complémentent donc les tests de la machine avec des bandelettes de test spécifiques pour le fentanyl et la benzodiazépine.
L’approvisionnement en médicaments au Québec y est pour quelque chose, me dit-elle, quant au fait que l’Ontario souffre plus de surdosages que nous : il y a moins de fournisseurs de fentanyl ici qu’en Ontario. Mais « Ce qui se passe en Ontario nous suit généralement plus tard », alors on peut s’attendre à plus de surdoses dans les mois et les années à venir, une prévision confirmée par une autre intervenante.
Un autochtone vient à la camionnette pour discuter. « On a vraiment besoin de ça dans les réserves, comme à Maniwaki », dit-il. « Le taux d’overdoses est très élevé là d’où je viens. » Ils discutent pendant plusieurs minutes des enjeux des communautés des Premières Nations, et le monsieur prend les coordonnées de GRIP. Puis il s’en va dans la nuit, sans avoir été testé.
Juste après, un grand couple pimpant d’une vingtaine d’années passe. Ils demandent à quoi sert la camionnette. Une fois qu’ils ont appris, ils disent qu’ils veulent que leurs drogues soient testées. Souriants, ils entrent dans la fourgonnette. Kathryn ferme les portes arrière. « La confidentialité, » elle m’explique.
La camionnette GRIP reste à l’extérieur de l’événement artistique jusqu’à 3 heures du matin, aidant tous ceux qui passent.
Illustration: Loane Chappelle
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