Par Colin McGregor
Dossier Éducation
Êtes-vous un étudiant qui en a marre de ses cours ? Imaginez que vous êtes dans une école où vous n’êtes jamais pénalisé pour un retard ou une absence; où vous aidez à préparer les repas et participez aux décisions administratives de votre école; où vous pouvez contribuer à votre programme et aux activités auxquelles vous participez – de la musique à la création d’un jeu vidéo.
Bienvenue dans une école autogérée. On en trouve en France mais pas au Québec. La France a eu du succès avec les quelques écoles autogérées. La plus connue est le Lycée autogéré de Paris (LAP) – fondé en 1982 pour proposer une alternative au système éducatif traditionnel. Gratuit, il accueille 240 élèves.
L’école n’est pas du tout gérée comme une école traditionnelle. Par exemple, la discipline est beaucoup plus relaxe, sinon inexistante. Comme l’explique Flore, professeure d’économie et de sciences sociales : « Il n’y a pas du tout de sanctions lors de retard ou d’absence. Justement c’est l’un de nos principes de base, la libre fréquentation. Donc l’élève peut fréquenter les enseignements qu’il souhaite. C’est une volonté de permettre à l’élève de se responsabiliser, de ne plus subir sa scolarité mais au contraire d’être maître de son programme et de choisir les enseignements qu’il souhaite. Comme les élèves ne sont pas obligés de venir en cours, on se demande comment rendre le cours attrayant. On cherche à le promouvoir en utilisant des mots-clés, des tas d’activités très ludiques… Ainsi, on fait beaucoup de jeux, par exemple, dans une salle avec un jeu d’évasion. »
Autodiscipline
Pourquoi les élèves n’abusent-ils pas de leurs privilèges et ne s’abstiennent-ils pas des classes tout le temps ? Selon Margot, une élève : « J’ai envie d’aller en cours, j’ai envie de m’impliquer dans le lycée, j’ai envie de venir, je m’entends avec mes professeurs. Quand j’ai refait ma seconde je l’ai réussie, tout simplement, alors qu’avant je l’avais ratée. »
De plus, selon Margot, les élèves participent à tout, même le ménage : « C’est un endroit particulier tout simplement… Les élèves vont tout faire ensemble, il n’y a pas vraiment d’administration, il n’y a pas de personnel de ménage, il n’y a pas de personnes qui nous font à manger. Ce sont les élèves et les professeurs ensemble qui vont tout faire. » Selon Théodore, élève, « Tu viens quand on cuisine et tu demandes comment on peut aider ? »
Comment sont prises les grandes décisions ? Margot : « Les décisions, c’est plus vu en petit groupe, on se réunit une fois par semaine pour les prendre. En fait, les prendre en grand groupe, serait trop compliqué. L’administration est gérée presque seulement par des élèves, mais il y a aussi une personne qui travaille ici en permanence parce que quand il y a tout le monde qui est en cours, on ne peut pas forcément gérer les appels, les inscriptions. »
Zoé, aussi une élève au LAP, explique : « La voix d’un élève et la voix d’un prof, elles sont égales. En fait, la voix d’une personne compte. »
Pascal, un professeur, observe que : « Quand on laisse les élèves s’occuper des choses aussi importantes que le budget du lycée, des tâches administratives qui ont des conséquences importantes, ils ont conscience des enjeux. »
Les projets
Le jeudi après-midi, il n’y a pas de cours. C’est la période des projets. Par exemple, le projet théâtre monte une pièce. Ils font aussi de la randonnée, ils vont dans des éco-fermes, des lieux autogérés aussi. Lors du projet vidéo, les élèves créent un jeu vidéo !
Mme Longerinas, professeure, résume la situation : « La vocation du Lycée, c’est d’aider chaque élève à construire un projet de vie personnel ou professionnel. »
Ce qu’on apprend dans le LAP est-ce utile dans le grand monde après l’école ? Certes, ce n’est pas pour tout le monde. Julie, une ancienne élève et une artiste-plasticienne : « J’avais l’impression que les autres m’apprenaient des choses. Dès le début, ils m’ont dit : c’est un échange, on va vous apprendre des choses, et vous aussi vous nous apprendrez des choses. On est tous différents mais l’école conventionnelle ne nous propose qu’un modèle d’éducation. Moi, j’avais besoin qu’on dise : on va faire autrement et ça va bien se passer. »
Et le Québec ?
Malheureusement, il n’y a pas d’école autogérée ici au Québec, ni au Canada. Il y a plusieurs raisons à cela. La professeure Lisa Starr, de la faculté d’éducation à l’Université McGill, rapporte : « Nous avons une occasion, après la COVID, de changer les horaires des classes et de penser à nouveau à la façon dont on imagine nos écoles. » Pourtant, elle cite deux raisons pour lesquelles on n’a pas d’écoles autogérées au Québec : la bureaucratie et les parents.
« La plupart des parents ont vécu l’école de manière très contrôlée, » explique Dre Starr. « Tout le monde pense savoir ce que sont les écoles en se basant sur leurs propres expériences. Mais ils l’ont vécue d’un point de vue très étroit. Les gens pensent que l’école n’a pas changé depuis 50 ans parce qu’ils voient des élèves assis en rangs. Parfois, en tant que parents, ils ont tendance à fonder leur opinion sur ce qu’ils entendent à côté du terrain de football… Ils n’en savent pas assez sur les systèmes scolaires alternatifs parce que le système scolaire traditionnel domine le discours. »
De plus, les écoles alternatives ont un problème d’image. Elles sont considérées comme des endroits où les enfants en difficulté ou les élèves de rattrapage sont envoyés, et Dre Starr dit que de nombreux parents reculent parce qu’ils doivent y participer activement. Certains ont peur d’envoyer leurs enfants dans de telles écoles qui pourraient les stigmatiser.
« L’éducation est sous le contrôle d’un ministère au Québec, » selon Dre Starr. « Les bureaucraties de chaque province aiment à croire qu’elles savent comment gérer des écoles, même si elles sont très similaires à travers le pays. » Les écoles autonomes sont publiques. « Mais elles ont tendance à se comporter comme des écoles privées ou indépendantes – elles devraient être rendues indépendantes de la bureaucratie provinciale. »
Dans les années 1960, les écoles indépendantes se sont multipliées à travers l’Amérique du Nord, mais la plupart ont fermé leurs portes à l’approche des années 1980, une époque plus conservatrice.
Il s’agit aussi de savoir « comment les écoles sont gérées. Comment les enseignants sont formés », explique Dre Starr. L’Université McGill a « le plus grand nombre d’enseignants en formation, mais nous n’avons pas l’expertise pour former les gens à travailler dans un environnement autonome. Il n’y a rien de mal à former les futurs enseignants à la planification des cours. Mais enseigner l’adaptabilité est beaucoup plus complexe », conclut-elle.
Autogérée ou alternative
Il ne faut pas confondre école autogérée et école alternative. Le Québec compte une grande expertise en matière d’école alternative mais n’a pas d’école autogérée.
Autres textes sur l’Éducation
- L’éducation à domicile devant la cour
- La maman d’Arborescence
- Centre d’apprentissage libre en forêt Arborescence
- Vingt jeunes dans une yourte