La pornographie mainstream – faite par des hommes, pour des hommes – semble de plus en plus brutale envers les femmes. Les actrices sont-elles plus violentées que respectées? Font-elles un choix conscient d’exercer ce métier? Incursion dans les coulisses du divertissement pour adultes avec un couple « retraité » de l’industrie du sexe.
Nancy (alias Nalaa) et Jocelyn (alias PopSSycle) forment un couple depuis 13 ans. Maintenant dans la mi-quarantaine, ils ont fait connaissance à l’école primaire, à Val D’Or. Leurs chemins se recroisent des années plus tard lors d’une soirée de musique électronique. C’est le début d’une histoire d’amour pas comme les autres.
Ils travaillent pendant une décennie dans l’industrie du sexe, lui comme escorte pour femmes (massages sensuels) et elle, comme escorte pour hommes. Insatiable, le couple gagne sa vie avec le sexe le jour, fréquente les clubs échangistes le soir et s’éclate dans les raves la nuit. Jocelyn et Nancy explorent les possibilités infinies de leur libido en duo ou en gang bang, au gré de leurs envies.
À l’âge de 40 ans, Nancy est approchée par une boîte de production pour tourner son premier film porno professionnel. Une occasion en or pour l’escorte de se faire connaître à un plus vaste auditoire, ayant déjà à son actif une centaine de vidéos amatrices filmées par ses clients.
Son amoureux est aussi emballé qu’elle par cette occasion, mais une chose est claire : jamais ils ne tourneront de scènes ensemble. Ils ont beau être ouverts, préserver l’intimité de leur couple est non négociable.
C’est dans le film 4 Mousquetaires VS Milf-Lady que Nancy vit sa première expérience d’actrice porno, sous l’œil attentif de Jocelyn qui se décrit comme sa cheerleader. Il est aussi là pour conseiller les acteurs sur la façon « de prendre sa blonde » afin d’obtenir le plus d’intensité possible devant les caméras.
Consentement, vraiment?
Lors de la négociation d’un contrat, Nancy met des limites. Elle est inflexible sur certaines conditions précises : pas de chokage, pas de claques sur les fesses ou sur les seins, pas de crachats. Elle refuse certaines positions et n’accepte aucun baiser sur la bouche, un privilège réservé à son amoureux. Ses demandes semblent bien entendues par la production.
« Mais une fois le contrat signé et rendue sur le plateau de tournage, c’est autre chose, explique Nancy. Je n’avais aucun problème à faire un gang bang avec les gars, mais ce n’était pas assez. L’équipe essayait souvent de me ramener à ce que je ne voulais pas faire et ça me rendait mal à l’aise. »
La production n’est pas habituée à travailler avec une femme qui s’affirme et qui est appuyée par son conjoint sur le plateau. L’escorte devenue actrice tient son bout pour faire les choses autrement. « Moi, arrêter toutes les deux minutes alors qu’on est en pleine action, je trouve ça contreproductif. Ça tue l’intensité du moment. Je leur ai dit de me laisser aller et de filmer sans couper, de très proche. Ça a duré deux heures sans arrêt. Ils ont eu en masse de matériel pour faire leur film et je pense que les gars vont s’en rappeler longtemps, parce que je m’occupais d’eux même entre les prises (rires)! »
Repousser les limites
Le couple – qui consomme un grand volume de films XXX – déplore la tendance actuelle de l’industrie à présenter du contenu de plus en plus violent, où le plaisir mutuel et réel devient de plus en plus rare. Nancy sait rapidement en regardant une scène si la femme éprouve du plaisir ou non, et si c’est contre son gré. « Juste la façon dont le gars va s’y prendre avec la fille et selon la dimension de son pénis, je le vois tout de suite si c’est douloureux. Je ressens tout ce qui se passe. Je peux dire si elle compense sa douleur en se plaçant de telle ou telle manière ou si elle travaille pour le bon angle de la caméra. »
Que ce soit sur un plateau ou dans une chambre d’hôtel, la plupart des femmes sont là pour l’argent et non par choix. « C’est là où ça clashait pour moi. Dans les deux volets de mon travail, je voulais totalement être là pour le plaisir. » Mais Nancy et Jocelyn réalisent rapidement qu’ils ne sont pas faits pour l’industrie de la porno. Deux collaborations suffisent au couple pour comprendre qu’ils travaillent à contre-courant d’une culture qui impose ses normes, ses positions, ses costumes clichés et ses titres de films dégradants.
Juste avant de tirer sa révérence, Nancy fait des démarches pour jouer avec son acteur fétiche, en vain. Quand elle lit dans le journal qu’il a été arrêté pour violence conjugale, ses craintes se confirment. « J’ai réalisé que je faisais peur, parce que je ne suis pas une victime, soutient-elle. Une femme plus vulnérable et brisée demeure le casting idéal pour un film mettant en scène un mâle dominant et violent sexuellement. »
Jocelyn a décidé de retourner travailler dans les mines. Nancy, qui n’a jamais cessé d’être escorte, sent qu’elle a besoin de prendre ses distances de l’industrie du sexe. Sa clientèle est de plus en plus irrespectueuse et drainante, avec des demandes aussi tordues que de « jouer à l’inceste » durant leurs ébats. En 2019, après être rentrée chez elle en pleurant quelques fois de trop, elle décide de quitter ce métier qu’elle a tant aimé. « Je n’avais plus de fun. Au départ c’était 90% de plaisir et à la fin, pas plus qu’un maigre 10% », se rappelle-t-elle. La quadragénaire trouve aujourd’hui le bonheur en prenant soin de ses animaux à la maison ou en cuisinant ses petits plats végés.
L’œuf ou la poule?
Quand deux passionnés du sexe quittent l’industrie, c’est que les choses ne tournent pas rond. Mais Jocelyn et Nancy ne blâment pas l’industrie de la porno pour autant parce qu’elle reflète les demandes et les besoins de la population, croient-ils. « Le réel problème vient de la société et non de la pornographie. Ce qui est inquiétant, c’est que les gens demandent à voir de la violence psychologique ou physique. Et que la plupart du temps, le plaisir passe par la dévalorisation de l’autre. » Selon le couple, les pulsions sexuelles d’une bonne partie de la population sont bien exprimées dans la porno mainstream. « Les gens sont accros à tout ce qu’il y a de mauvais dans l’alimentation, le mode de vie, les relations interpersonnelles et bien sûr, le sexe. Les choses pourraient s’améliorer si l’offre était plus diversifiée, mais pour ça, il faudrait une ouverture et un intérêt des gens à changer ce qu’ils consomment. Et changer des patterns, c’est très difficile. »