Le résultat des dernières élections américaines a su donner une leçon au monde entier, et ce, à bien des égards. Cette consécration controversée sera peut-être tristement célèbre pour avoir été l’image de la piètre performance des États-Unis quant à la question de l’égalité des sexes sur la scène politique. Mais qu’en est-il du Canada?
Un texte de Justine Aubry | Dossier Politique
Connaissez-vous Vigdis Finnbogadottir? Bien que ce nom semble difficile à retenir, nous devrions tous nous rappeler cette politicienne comme ayant été la première femme au monde élue au suffrage universel à la tête d’un État constitutionnel, la République d’Islande. Loin d’être millionnaire, célèbre ou appuyée par une ribambelle de politiciens, elle était plutôt directrice de théâtre et mère célibataire lors de son élection, au mois d’août 1980.
Au cours des dernières décennies, plusieurs autres femmes ont suivi la voie de cette pionnière, revendiquant une place au pouvoir jusque-là habituellement réservée aux hommes. Angela Merkel en Allemagne, Michelle Bachelet au Chili, Helen Clark en Nouvelle-Zélande ou encore Ellen Johnson Sirleaf au Libéria. Ces battantes élues dirigeantes ont toutes peu à peu frayé le chemin vers l’égalité des sexes sur la scène politique. Malheureusement, en cet historique mois de novembre 2016, les États-Unis ont prouvé qu’ils n’étaient pas prêts à entreprendre une telle démarche. Le peuple a parlé: sera préféré à la candidate démocrate à la présidence, un homme d’affaires misogyne aux mains baladeuses. Évidemment, les aléas de ces élections furent nombreux et complexes, la situation ne se résumant pas à ce seul constat. Pourtant, il n’en demeure pas moins que cette décision électorale risque malheureusement d’appuyer le retard déjà amorcé par l’Amérique du Nord au niveau de l’égalité des sexes.
Égalité illusoire
Selon le rapport sur l’équité entre les sexes publié par le Forum économique mondial en octobre 2016, les disparités les plus évidentes se retrouveraient au niveau de l’émancipation sur la scène politique. Les États-Unis n’échappent pas à la règle, occupant la 45e place. Le Canada est au 35e rang sur un échantillon de 144 pays, selon le Global Gender Gap Index. Cette étude internationale vise à brosser un portrait global de l’écart entre les hommes et les femmes, notamment aux niveaux politique, économique et académique.
Directrice scientifique à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques ainsi que chercheuse à l’Observatoire sur les États-Unis de l’UQAM, Élisabeth Vallet croit que les femmes ont encore du chemin à faire pour prendre complètement la place qui leur revient. «À la veille des élections présidentielles de 2016, le souhait d’un «chemin plus facile à parcourir», formulé par Hillary Clinton en juin 2008, n’a toujours pas été exaucé», soulevait-elle dans un texte paru en 2016.
Malheureusement, cette réalité est aujourd’hui avérée. Dans l’essai La féminisation de la politique aux États-Unis, la chercheuse précise que «la présomption de “non-présidentiabilité” de la femme est un élément récurrent de la vie politique américaine» et que les mots «leader» et «femme» ne vont pas de pair pour beaucoup de gens… un constat plus que désolant. Élisabeth Vallet déclare aussi que «la recherche montre de manière récurrente qu’une femme va devoir mobiliser plus de fonds qu’un candidat masculin dans les mêmes circonstances pour gagner». Favorite des donateurs, Mme Clinton n’aura pas réussi à remporter les élections…
Au Canada et même au Québec, la situation n’est guère plus encourageante, et ce même si Sophie Grégoire, la femme du premier ministre Justin Trudeau, fait du droit des femmes un combat prioritaire. En effet, le pays du huard n’occupe que la 49e place au niveau de l’émancipation politique de la gente féminine et ne compte aucune première ministre à son actif. Selon l’organisation À voix égales, qui milite pour les droits des femmes en milieu politique, le Canada compterait «moins de femmes parlementaires que la plupart des pays européens et que de nombreux pays moins développés comme la Mauritanie, l’Ouganda, le Rwanda, l’Afghanistan ou l’Irak». Les États-Unis doivent quant à eux se contenter d’une 73e place et ne semblent pas sur le point de se rapprocher du podium. Ces résultats peu reluisants montrent que la partie est encore loin d’être gagnée.
Trônant au premier rang du Global Gender Gap Index depuis huit ans, la République d’Islande demeure quant à elle un valeureux exemple à suivre, étant championne à tous les niveaux analysés. Cet État insulaire gagne haut la main la course à l’émancipation politique des femmes, celles-ci étant aux commandes du pays depuis le plus longtemps et en plus grand nombre que partout ailleurs sur le globe! À quand l’arrivée d’une Vigdis Finnbogadottir nord-américaine?
Femmes de pouvoir
Être une femme de pouvoir, c’est être perçue différemment des hommes à la même fonction.
Dans une étude réalisée par Catherine Lemarier-Saulnier de l’Université Laval et de Mireille Lalancette de l’Université de Québec à Trois-Rivières en 2012, les deux professeures ont constaté qu’en situation de crise, une femme (Pauline Marois dans leur exemple) était perçue comme une «Dame de béton»:
«Mais n’est-ce pas aussi le cas pour Jean Charest, chef du Parti libéral du Québec et Premier Ministre de la province depuis 2003? Pourquoi alors les difficultés de Mme Marois lui ont-elle valu le surnom de «Dame de béton»? À quoi elles rappellent que la conquête du pouvoir est rarement perçue comme féminine. Les premières leaders qui s’y sont attaquées ont été considérées inhabituelles et marginales.
«Les femmes de pouvoir doivent toujours naviguer en eaux troubles lorsqu’il est question de montrer qu’elles sont compétentes, et ce tout en respectant les stéréotypes de genre. Elles doivent notamment composer une image qui respecte les attentes nationales et culturelles de leur pays.»
En somme, en 2017, les femmes de pouvoir, à situation analogue, sont toujours perçues différemment des hommes.
En complément à Reflet de Société
Crédit vidéo : Aude GG.