Guy Sioui Durand (Tsie8ei 8aho8en en wendat): Sociologue engagé

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Flora Lassalle et Caroline Monet | Dossier Autochtones

Le sociologue Guy Sioui Durand m’avait donné rendez-vous dans le parc Cartier-Brébeuf à Québec, jadis une terre iroquoienne. Il vit dans un condo limitrophe à celui-ci, une façon pour lui de «recoloniser» la terre de ses ancêtres.

De la même manière, il s’est emparé des outils de la sociologie pour expliquer sa propre culture et les arts autochtones. Portrait d’un écrivain et orateur Huron-Wendat sage, passionné et obstiné dont le travail a suivi l’évolution des arts autochtones contemporains.

Premiers pas dans les arts

«Je viens d’une réserve, donc j’ai vu beaucoup d’artisanat. Mes grands-parents travaillaient avec mes oncles, j’étais tout jeune. Il s’agissait alors d’artisanat commercial qu’ils revendaient. Je baignais déjà dans un univers artistique.»

Malgré l’omniprésence de l’artisanat dans la vie du garçon, Guy a 14 ans lorsqu’il assiste à un événement artistique pour la première fois. Il s’agit de l’Exposition universelle de 1967 Terre des Hommes, organisée à Montréal: «Dix artistes amérindiens contemporains sont invités à créer des grandes fresques qui ornent le pavillon indien. Il y a, entre autres, Norval Copper Thunderbird Morrisseau, mais aussi Jean-Marie Gros Louis de ma communauté, en tandem avec le Mohawk iroquois Tom Hill. Ils conçoivent ensemble l’arbre de paix sacré. Les œuvres d’art comportent toutes un message politique et moi, jeune ado à l’école secondaire, je ne comprends pas vraiment, mais je vois. C’est la première fois qu’on montre la réalité de ce qu’est la vie des Indiens au Canada dans les réserves, donc c’est un moment d’histoire majeur, et c’était aussi mon premier contact avec les arts.»

L’exposition prend place deux ans avant l’Indian Movement, la révolte des Indiens aux États-Unis. Pour Guy, ce regroupement d’artistes annonce déjà leur réengagement au sein de la société, leur volonté de faire de l’activisme et du militantisme par l’art.

La voie du pionnier

Guy Sioui Durand étudie en sciences humaines et se spécialise dans l’art. Soutenu par le célèbre sociologue Jean-Charles Falardeau, il réalise une thèse en sociologie. Les cours universitaires lui apprennent la maîtrise de ce qu’il appelle «les outils occidentaux pour comprendre et expliquer la société».

Grâce à cela, il offre une expertise des arts autochtones qu’il observe de l’intérieur. Son statut d’Amérindien lui permet en effet d’être au plus près de son sujet de recherche. Malgré une époque où le racisme envers les Autochtones est encore fort, Guy se forge une réputation grâce à la qualité de ses recherches et des expositions qu’il organise et à sa proximité avec les artistes.

«J’ai été le premier Wendat à donner un cours Histoire de l’art autochtone à l’Université Laval à la demande des étudiants. J’ai aussi été chargé de cours à l’Université du Québec à Chicoutimi, trois fois. Les étudiants m’ont connu par mes écrits, parce que je me suis lié à un centre d’artistes autogéré. Je suis avec mes amis l’un des fondateurs de la revue Inter art actuel, rattachée au centre en art actuel de Québec. J’ai donc eu comme complices les artistes.»

Il développe aussi une sociologie de l’art de terrain. Pour lui, parcourir les territoires pour voir les œuvres et en parler oralement est primordial. Son travail ne s’arrête pas aux frontières canadiennes. Il est aussi bien appelé en Asie et en Amérique du Sud qu’en Europe. Il devient un expert et un porte-parole des artistes autochtones. N’étant rattaché à aucune institution, il explore ce qu’il souhaite et parle en toute liberté.

Un indien de service

Les Autochtones ont été longtemps l’objet de la sociologie. Encore aujourd’hui, et Guy le regrette, la majorité des anthropologues et des historiens des arts sont occidentaux. «Nous, nous sommes un objet d’étude. Mais depuis la résurgence, il y a aussi la voix d’Amérindiens et c’est très nouveau qu’on nous donne la parole. On l’a prise dans certains milieux comme celui de l’art, mais on est invités dans de gros colloques comme “Indiens de service” du milieu francophone. On n’est pas là en tant que maîtres, ce sont souvent des blancs qui dirigent la discussion.»

Malgré ses diplômes, Guy n’a pas eu l’opportunité de devenir professeur d’Université: «Le système universitaire est simplement en faveur des allochtones, donc là-dessus il y a du chemin à faire, c’est un combat de terrain. C’est difficile d’être à la fois l’objet et le sujet d’étude. J’occupe cette position singulière. Aujourd’hui je suis vu comme un spécialiste par le peu qui ont fait ça et ma pensée, on en tient compte. Mais ce n’est pas grâce à un titre, ou à un poste. J’ai enseigné à l’université, mais je ne suis pas professeur.»

Cette condition le force parfois à se battre pour des droits primaires, comme celui d’être légitimement rémunéré pour des contributions dans les institutions savantes, par exemple. Ainsi revient-il sur l’un de ses derniers colloques.

«Pensant que nous sommes tous des professeurs salariés, ils ne paient pas. Ils te font venir comme l’Indien de service. Moi, comme bien d’autres hors institution, revendiquons un cachet. Pourquoi ? Par justice. Il y a peu de temps, je suis intervenu dans une université à Montréal. On nous proposait tous 100 pièces, mais moi j’ai dit “C’est 150, je viens de Québec. Tu paies au moins mon transport!” Une artiste s’est levée avec moi. À la fin, ils nous ont offert 500 pièces à chacun. Comme quoi! Ce n’est pas facile même quand tu connais les rouages. Mais quand tu n’en sais pas trop et que l’on t’invite, tu es content: c’est le cas pour la majorité des Indiens, mais aussi des artistes en général.»

Refuser la victimisation

Le sociologue constate la liberté de parole que l’on offre depuis peu aux Autochtones. Les Canadiens s’intéressent davantage à leur condition. Pour autant, il ne pense pas que ce soit de la bonne manière: «La société dominante actuellement est très conciliante, on s’intéresse beaucoup aux Amérindiens, mais à travers la victimisation, le malheur: vérité et réconciliation, les itinérants de la rue, les aides et tout ça.» Une démarche qui a le don de l’agacer. Lui ne veut pas être vu comme tel.

À l’image de ses descendants, il est combatif: «Moi je suis un affranchi, je suis le contraire de ça. C’est particulier et ce n’est pas une position dominante. Lorsque j’organise une exposition, je n’ai pas d’institution derrière moi, je n’ai pas d’équipe. On le fait par conviction. Je me sens jeune et vieux en même temps. J’ai plein d’énergie, j’ai une expertise que j’ai construite par moi-même. Dans le monde amérindien, je suis érudit, puis en plus je suis un Wendat, donc je suis vindicatif. La victimisation très peu pour moi. C’est ça que ça veut dire.»
Son objectif est ainsi de représenter les artistes amérindiens de la manière la plus juste. Conscient de l’impact de son travail, il est primordial pour lui que les Autochtones aient la possibilité de s’exprimer et que leurs voix soient entendues et considérées.

«Mon parcours, je l’ai fait en faisant de la route et en étant – des mots extrêmement importants – responsable et enthousiaste. Je suis dans le monde de la recherche, l’art actuel, l’art d’expérience aussi, donc avec le temps tu comprends que tu peux devenir un modèle ou une source de savoir, une référence, et ça devient important pour les tiens, pour ton monde et aussi dans le monde. Il y a toujours cette tentation, avec le temps, d’arrêter, mais il nous faut une relève, il faut qu’il y ait une suite.»

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