Souvent niés, les besoins sexuels chez les personnes handicapées entraînent beaucoup de frustrations. L’assistance sexuelle, qui met en relation une accompagnante et un patient, pourrait permettre à des individus consentants de connaître une intimité et des échanges affectifs qui leur seraient difficilement accessibles autrement. Un projet controversé ici, mais toléré ou légal dans d’autres pays.
Un texte de Mélodie Nelson – Dossier Sexualité
« Le fait de ne pas parler de la sexualité des personnes handicapées suppose que nous soyons tous asexués. Pourtant, les personnes handicapées ont aussi des fantasmes », affirme France Rochon, une administratrice de la Coop ASSIST, coopérative fondée par des personnes présentant un handicap, et destinée à cette clientèle.
Quand il est question de sexualité et de handicaps, les préjugés sont tenaces. En créant le groupe de partage Sexploration et Handicap, France a voulu proposer aux personnes handicapées d’échanger sur le sujet et leur permettre de réaliser que malgré les contraintes liées à leur état, elles pouvaient vivre leur sexualité, « à leur rythme. »
Formation
Des collectifs comme l’Association Pour la Promotion de l’Accompagnement Sexuel (l’APPAS), créée en France en 2013, proposent des formations d’assistant sexuel, et facilitent également la rencontre entre accompagnants et personnes handicapées. Ces dernières auront à défrayer les services obtenus.
Selon les lois françaises actuelles, comparables à celles qui prévalent chez nous, cette organisation de rencontres relève du proxénétisme et de l’exploitation sexuelle. Au Canada, la loi C-36 interdit le fait d’encourager une personne à offrir ou à rendre des services sexuels contre rémunération. Payer quiconque pour participer à de telles activités est également criminel.
Dans d’autres pays, l’accompagnement sexuel est légalisé. En Californie, une personne éprouvant des difficultés d’ordre sexuel peut se voir prescrire par un sexologue un rendez-vous avec un « sex surrogates » (partenaire de substitution). Aux Pays-Bas, les prestations dites de soins sexuels sont remboursables. Depuis 1982, la Fondation pour les Relations Alternatives propose des services d’accompagnement sexuel dans l’État néerlandais, mais fournit aussi des informations liées à la santé et à l’éducation dans le domaine. Au Danemark, des personnes handicapées reçoivent une compensation financière pour leur permettre d’avoir recours à des services sexuels.
Complicité
Cybèle Lespérance, une hôtesse québécoise résidant maintenant en France, a suivi la formation de l’APPAS. Tout comme France Rochon, elle trouve fallacieuse l’idée que les personnes handicapées n’ont pas de désir ou n’éprouvent pas le besoin de recevoir de l’affection. « C’est de l’angélisme, de l’infantilisation. Les gens ne s’imaginent pas la diversité des situations qui n’ont rien de différent des fantasmes de la population en général. »
Selon l’accompagnante sexuelle, les personnes atteintes d’un handicap mental à la suite d’un accident sont de loin les plus compliquées. « Il y a parfois des problèmes de communication, parce qu’une zone de leur cerveau, en lien avec le langage, peut avoir été touchée ». C’est pourquoi elle a développé des moyens verbaux et non verbaux permettant de valider constamment le consentement de ses clients.
Pour Cybèle, la différence avec le travail du sexe plus traditionnel est la coopération et la complicité de membres de la famille ou du personnel infirmier. Quand ceux-ci la contactent, elle les informe des lois en vigueur – illégalité de la pratique – avant d’accepter le mandat. « Ce sont parfois les directeurs d’établissements de soins qui me téléphonent », explique Cybèle, qui mentionne être sur la « fiche de paie de deux associations de tutelle. »
Besoins refoulés
Depuis sa naissance, Anice* est atteint d’un type de dystrophie musculaire. Résidant dans un centre supervisé en région, au Québec, l’homme avait déjà cherché sur Google « assistante sexuelle » sans trop de succès. En mars 2020, dans le contexte de la pandémie, il a souffert de désirs non résolus. « J’ai manqué de retenue avec le staff. J’ai eu un comportement harcelant », s’excuse celui qui a commencé depuis une thérapie.
Le Québécois a finalement rencontré la travailleuse du sexe Sonia von Sacher sur les réseaux sociaux. Après le déconfinement, en juin 2020, il a pu recommencer à voir celle avec qui il avait bâti d’abord une relation amicale. « Parfois, nous n’avons même pas d’échanges sexuels. Elle vient me voir en amie, sans me demander d’argent. »
« Anice m’a ouvert les yeux face aux défis que son handicap entraine dans sa vie sexuelle. Ça m’a touchée et j’ai décidé de me spécialiser pour une clientèle handicapée, souligne Sonia von Sacher. Les personnes handicapées nous arrivent souvent avec le bagage de toute une vie de lacunes et de frustrations sexuelles. Sans équipe de soutien, sans formation spécifique et sans titre de travail officiel, nous sommes limitées dans ce que nous pouvons offrir comme aide. »
Sexualité taboue
Pour Cybèle, il est important de ne pas prétendre que la sexualité est un droit. « Il faut plutôt parler d’un droit à la liberté sexuelle, un droit à la vie privée. L’assistance sexuelle peut être l’ultime occasion de rencontre sexuelle pour certaines personnes, mais ce ne serait pas la solution adaptée à tous les besoins. »
Au-delà des services tarifés, une meilleure inclusion des handicapés dans la société est à préconiser. « Les cabinets des gynécologues sont souvent inaccessibles en fauteuil. Et quand on peut y entrer, c’est la table qui est trop haute, les étriers impraticables. Et puis, les soignants qui ne vont pas trop s’embêter à nous examiner, de toute façon, pour ce qu’on a d’activités sexuelles…Peut-être qu’il y a un vrai travail à entreprendre ici pour réhabiliter notre sexualité », suggère Céline dans un billet de blogue.
Atteinte d’amyotrophie spinale, la blogueuse souhaite un changement radical dans la perception du corps et du désir des personnes handicapées. « C’est vrai, certaines personnes handicapées, des hommes, des femmes, connaissent un manque de contact charnel, une solitude, un manque de confiance en soi, parce qu’elles n’ont jamais eu d’expérience sexuelle, ou que ça fait longtemps. Elles aimeraient faire appel à un professionnel. Pour jouir aussi. »
Projet exploratoire
Au Québec, l’accessibilité aux soins de santé sexuelle pour les personnes handicapées fait rarement les manchettes. Les services québécois de santé ignorent encore leurs besoins en matière de sexualité. Depuis 2019, un projet gouvernemental s’intéresse néanmoins à l’accompagnement comme « service émergeant pour les personnes en situation de limitations fonctionnelles graves de type physique ». L’étude souhaite comparer la Suisse et le Québec, en prenant en compte les conditions sociales, politiques, et professionnelles de l’assistance sexuelle, tout en cherchant à cerner aussi son acceptabilité en société.
*À noter que le nom d’Anice a été changé pour préserver son anonymat.
Pour en savoir plus :
APPAS (Interdit aux mineurs)
Guide des programmes d’aide pour les personnes handicapées et leur famille
Action Canada pour la santé et les droits sexuels
[…] Publié sur le site internet de Reflet de Société le 2 novembre 2020 […]