Par Colin McGregor | Dossier LGBTQ+
Le monde du hockey professionnel masculin, à son plus haut niveau, n’a qu’un joueur ouvertement LGBTQ+ gai dans tout l’Amérique du Nord. Il s’agit de Luke Prokop, qui évolue dans l’organisation des Predators de Nashville chez les mineurs. Ni au Canada ni aux États-Unis, y-a-t-il d’autres joueurs assez téméraire pour déclarer leur vraie sexualité, même dans les rangs des juniors? Est-ce que c’est la masculinité toxique du milieu qui est la cause?
Brock McGillis, 40 ans, a été l’un des premiers joueurs de hockey professionnels au Canada à déclarer son homosexualité. Une sortie de placard après la fin de sa carrière, à l’âge de 33 ans. Depuis, il essaie de sensibiliser les gens à ce que signifie non seulement être gaie, mais aussi être autrement différent dans le monde du sport.

Brock a grandi à Sudbury, une ville bilingue du Nord de l’Ontario, et a fréquenté l’école en français jusqu’en secondaire 2. Il sillonne l’Amérique du Nord en tant que conférencier pour parler aux équipes de hockey mineur d’âge scolaire et à d’autres pour transmettre son message d’inclusion dans le sport et dans la vie.
Brock utilise sa vie comme étude de cas pour humaniser son expérience de quelqu’un de différent de la norme. Il partage des exemples dans lesquelles des gens se lèvent pour devenir des acteurs de changement. Brock a un style de parole décontracté et délibéré, réfléchissant à chaque mot avant de le prononcer sur un ton calme.
Il a subi quelques insultes et abus pendant sa carrière comme hockeyeur même s’il cachait toujours son secret LGBTQ+. On pense au cas de Bobby Orr, le grand défenseur des années 60 et 70 dans la LNH. Pendant son séjour au hockey mineur en Ontario, il était souvent la cible des insultes et agressions des autres hockeyeurs. Même provenant des membres de sa propre équipe, parce qu’il était, tranquille, poli et lisait des livres entre les périodes.
Dans les équipes sportives masculines, il existe une pression pour se conformer à un certain type de personnalité. Brock faisait cela lorsqu’il jouait au hockey, pour masquer sa confusion sexuelle. « Mes luttes étaient plutôt internes », se souvient-il. « Je suis devenu le stéréotype d’un pro du hockey pour survivre. Je pensais que si je pouvais adhérer aux normes, ils ne découvriront pas que j’étais gaie. »
Brock explique : « Si vous devenez un joueur de hockey professionnel, cela devient votre identité. Le hockey est mon amour, ma passion, c’est comme ça que les gens me connaissent. Si je suis gaie, je perdrai tout ça. J’ai complètement supprimé cette idée, je suis devenu arrogant, un bro de hockey, j’ai fait la fête, j’ai agi comme si j’étais un cadeau pour le monde. J’ai honte d’admettre que j’étais un coureur de jupons. Tout ça me faisait vraiment sentir comme de la merde. J’ai énormément lutté parce que je n’étais pas moi-même. »
Il ajoute : « Si tu es cette personne tranquille et que tu ne te conformes pas totalement, et dans le cas de Bobby Orr, ce serait en lisant des livres, autant être gai. Tu es maintenant le fag. » (fag = mot péjoratif en anglais pour un gai)
La conformité
« Que ce soit dans le sport ou dans la société, c’est quelque chose que nous faisons tous, nous nous conformons aux normes du milieu, » observe-t-il.
« La chose la plus profonde que j’ai comprise, » Brock nous confie, « c’est que la normalité n’existe pas. La normale est fausse, c’est une illusion. Dans chaque pièce dans laquelle vous vous trouvez, il y a des personnes avec des couleurs de cheveux, des yeux, des couleurs de peau, des formes et des tailles de corps différentes. Nous sommes tous différents. Nous tous, sommes tous une bande de bizarroïdes. Et plus tôt vous accepterez votre bizarrerie, moins vous aurez de chances de juger quelqu’un d’autre pour la sienne. »
« Moins nous nous conformons, plus nous nous apportons pleinement partout où nous allons, moins nous serons susceptibles de juger les autres qui sont eux-mêmes. Et franchement, plus nous serons heureux. »
Son objectif est de « rassembler les gens pour qu’ils deviennent des acteurs du changement », dit-il. « Je pense que les gens sont bons par nature. Parfois, nous ne faisons pas toujours de grandes choses. Je ne pense pas qu’ils veuillent blesser les gens. Ils ne se soucient peut-être pas de savoir s’ils se sentent bien, mais ils ne veulent pas qu’ils se sentent mal. Ils ne veulent pas en être la cause. »
Comment améliorer la situation? « Il s’agit de reconnaître votre langage, vos comportements, vos attitudes, puis de devenir un acteur du changement pour faire évoluer la culture pour tous les autres. Faire partie de la solution plutôt que du problème. Je veux créer des espaces ouverts et accueillants, que vous soyez LGBTQ+ ou non. »
Sortir du placard
« Je leur demande : dites-moi quelque chose que vous ne partagiez généralement pas à un coéquipier que vous appréciez. Vous vous dites frères, mais dans les salles de hockey pour hommes et garçons, vous ne parlez que de femmes, de jeux vidéo, de fête et de sport. Ce n’est pas une famille, ma famille en sait plus sur moi que ça. Nous les amenons à partager, à s’engager, et c’est cool de voir ce qui en ressort. Quand ils commencent à partager des choses qu’ils aiment, c’est fou. »
Il avoue que les athlètes féminins sont loin devant les garçons et les hommes en ce qui concerne l’acceptation et l’ouverture aux différences, particulièrement des joueuses LGBTQ+. Pourtant, les femmes adhèrent à certaines normes de la culture masculine, il constate – il n’y a que certains sujets qui sont abordés aux vestiaires du hockey féminin. Et dans les rangs des hockeyeurs professionnels en Europe, il y a quelques joueurs qui sont ouvertement gais.

Dans presque toutes les villes qu’il visite, Brock reçoit des joueurs qui lui disent qu’ils sont gais mais qu’ils ont peur de sortir du placard. « C’est un honneur d’être la personne en qui ils ont confiance », dit-il.
Récemment, un jeune de 14 ans s’est approché de Brock et lui a dit qu’il avait été victime d’antisémitisme de la part de ses coéquipiers pour la première fois. « Je l’ai inspiré à leur dire ce que cela lui faisait ressentir ». Il a pris l’entraîneur à part et a déclaré : « Il veut partager l’impact. Je reviens pour faciliter cela. Quand a lieu ton prochain entraînement ? » Brock a parlé à la maman, a découvert ce que le jeune joueur voulait partager et a tout mis en place. « C’était assez incroyable », se rappelle-t-il.
Brock constate qu’au fil des années, la situation s’est graduellement améliorée dans le hockey masculin. Mais il dit que le hockey junior majeur au Canada n’est toujours pas un endroit accueillant. Il s’est fait raconter des histoires comme lorsqu’un joueur était sur le point de faire son apparition dans la LHJMQ (Ligue de hockey junior des Maritimes Québec). « Les dirigeants de l’équipe lui a dit que si tu es gai et que tu fais ton coming-out, on te vire. » Cela arrive régulièrement, affirme Brock. « La plupart du temps, lorsque cela se produit, les joueurs abandonnent. »
Comment changer cette situation ? Brock élimine les préjugés petit à petit avec chaque groupe avec lequel il partage. « Nous devons nous engager, nous devons rire, nous devons passer un bon moment, il faut plaisanter. Parce qu’ils ne vont pas simplement fermer leurs portes, ils ne s’en soucieront pas. J’ai besoin qu’ils veuillent s’engager. Je pense qu’on peut s’amuser et rendre le monde un peu meilleur. »
Améliorer les choses pour les athlètes LGBTQ+ – un rire à la fois !
Photo de couverture : gracieuseté de Brock McGillis
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