…que je suis devenu comme ma mère, une personne battue.
Un texte de Jean Pierre Bellemare – Dossier Chronique d’un prisonnier
Mon père, qui était alcoolique et violent avec ma mère, fut le pire exemple d’homme pour le tout petit que j’étais. En vieillissant, j’ai toujours eu cette angoisse de lui ressembler. Devenir un père colérique qui sous l’emprise de l’alcool martyriserait son épouse.
C’est pourquoi, à titre préventif, je me suis investi très tôt dans les Alcooliques Anonymes et les Narcotiques Anonymes. Durant quelques décennies j’ai fréquenté et je fréquente encore aujourd’hui ces groupes qui m’ont permis de me reconnaître à travers eux et de comprendre mes problèmes. Nous avons tous des moments où le désir de sombrer est plus fort que celui de nager. Se laisser aller à la dérive nous apparaît alors comme la seule sortie possible, qu’on utilise l’alcool ou la drogue en désespoir de cause.
Pour ma part, je me lève le matin avec un miroir et je me couche avec. C’est un exercice parfois humiliant et souvent blessant, mais ainsi je vois mes difficultés plus rapidement. Cela me permet d’essayer de les corriger le plus vite possible avant qu’elles ne deviennent trop importantes pour mon égo. Ma grande peur de ressembler à mon père est ce qui a contribué inconsciemment à me faire devenir comme ma mère, une personne soumise et victime de tous.
Je suis devenu comme elle, en me regardant constamment et en me reprochant ce que j’avais bien pu faire pour que cela aille mal. Si les choses ne marchaient pas bien c’était uniquement par ma faute, à cause de mon manque de jugement et de perspicacité. Curieusement, mon attitude fut condescendante et méprisante vis-à-vis d’un policier qui se faisait battre par sa conjointe. Et cet autre homme, un joueur de hockey, dont les amis avaient porté plainte à sa place pour violence conjugale. Des cas médiatisés. Puis ce fut mon tour, pris dans le même engrenage. Je ne savais absolument pas quoi faire. Moi que les psychologues et criminologues décrivaient comme violent.
Cette femme que j’aimais se transformait en lionne et ses griffes n’avaient de pareils que ses mots encore plus déchirants. Force est d’admettre que si un tueur voulait me faire la peau, je pouvais négocier avec lui. Dans le pire des cas, avec une batte de baseball.
Mais lorsqu’il est question d’une femme qui nous attaque, celle qu’on aime de surcroit, à cause d’un problème de contrôle, on est dépassé. J’étais en train de me transformer en un de ces hommes qui repoussent leurs limites au maximum, au lieu de faire appel aux policiers.
Dans une société comme la nôtre, avec un historique de violence conjugale, tu y penses à deux fois avant de porter plainte contre ta conjointe. Qui plus est, je ne crois pas en l’efficacité de l’appareil judiciaire, je le connais trop bien. C’est pourquoi je dois nécessairement me séparer d’elle. Non point que je ne l’aime plus, mais ce n’est qu’une question de temps avant que je n’aie envie de me défendre. Et vue l’objectivité des forces de police et des tribunaux et surtout avec un dossier criminel, mettons que mon chien est mort. Tout ce qui me reste à faire est de prier pour qu’elle puisse un jour trouver la paix.
Pour tous ces hommes qui minimisent, ridiculisent ou ignorent ces violences, n’attendez pas. Les drames passionnels n’arrivent pas qu’aux autres. Il faut reconnaître la gravité du problème le plus vite possible. Autrement, ce qui vous guette est une arrestation, une perte de réputation, de dignité ou de liberté pour avoir voulu vous défendre à un moment de saturation.
Lorsqu’une femme frappe, c’est une gifle. Quand un homme frappe, c’est un coup criminellement punissable par la loi. Les avocats sauront vous saigner en vous faisant découvrir les entrailles de l’appareil judiciaire, chose que je vous déconseille fortement.
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