Je t’aime mon enfant

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Un texte de Diane Vignola

Dossier LGBTQ+

— Chéri, et si on avait un autre enfant ?

Quel beau projet pour un couple de concevoir la vie en soi. Ça n’a pris que quelques mois, et nous découvrions la merveilleuse nouvelle. Les nausées ne me lâchent pas, mais ça en vaut la peine.

La première visite chez le médecin se déroule bien et nous avons la confirmation que je suis bien enceinte. Notre petite crevette a bientôt six semaines.

Un mois plus tard et c’est la deuxième visite chez le médecin. Il nous fait entendre ton merveilleux cœur qui bat la chamade. Nous sommes tellement heureux.

Les mois passent et trois heures du matin, je me réveille en sursaut.

— Chéri, mes eaux viennent de crever.

Les contractions commencent. On se rend à l’hôpital et s’amorce un travail intense pour rencontrer notre bébé. Après sept heures et quelques poussées, nous accueillons notre fille. Bébé Michelle est maintenant avec nous et nous avons tellement d’amour pour ce petit être. C’est la plus belle histoire d’amour qu’on vit avec quelqu’un qu’on ne connaît pas encore tout à fait.

Michelle est une fillette adorable qui grandit à vue d’œil et la voir se développer nous émerveille chaque jour. Malgré son petit caractère, elle est un être humain charmant et qui aime aider les autres. Ses beaux cheveux châtains légèrement bouclés, ses yeux verts comme les miens. Elle charme avec son sourire.

Les années passent, et nous voilà rendus à l’adolescence. Ses seins qui commencent à se développer, accompagnés de quelques boutons d’acné au visage, et les poils qui poussent.

En même temps, ma fille change. Mon beau bébé sourire, ma fillette de bonne humeur, maintenant mon ado n’est plus la même. La luminosité de son regard change. Elle se referme de plus en plus. C’est vrai que l’adolescence n’est pas facile, mais mon cœur de mère se dit qu’il se passe quelque chose.

Je vais rejoindre Michelle dans sa chambre.

— Ma belle, comment vas-tu ? 

Michelle me répond simplement :

Mom, ça va. 

Je ne la crois pas. On a toujours discuté ensemble. Là, je ne la reconnais plus.

— Michelle, tu peux tout me dire. Je t’aime, et si je peux t’aider, tu peux me parler.

Elle ne dit rien de plus que juste :

— Ça va, mom

Je l’interpelle un peu plus tard.

— Michelle, viens, le souper est prêt.

Elle ne me répond pas. Mais qu’est-ce qui se passe ?

— Michellllllllle, nonnnnn…

Ma fille est nue dans sa chambre, sur son lit. Le regard si vide. Elle a une lame de rasoir dans les mains. Elle s’est tailladé les poignets, les avant-bras et maintenant elle s’en prend à ses seins. Je lui enlève la lame de ses mains et je m’empresse de prendre le drap de son lit pour la recouvrir. Elle s’est coupée assez profond pour saigner mais pas assez pour que les veines et artères ne soient touchées.

Affolés, mon conjoint et moi partons sur le coup, droit vers l’hôpital. Michelle est prise immédiatement en charge.

Quand le médecin traitant vient à notre rencontre, je lui dis :

— Ma fille ne va pas bien. Elle vit une sorte de mal-être depuis que son adolescence a commencé, depuis que son corps change.

Pourquoi s’est-elle mutilée comme ça ? Heureusement, nous sommes tombés sur l’hôpital qu’il fallait. Un psychologue la rencontre, et ma fille sent que quelqu’un comprend ce qu’elle vit. Quelqu’un qui va l’aider à comprendre ce mal-être si intense, car ma fille n’est pas bien dans ce corps qui change, qui prend des formes, dans ce corps qui se féminise.

Michelle n’a jamais aimé les robes, elle qui, enfant, adorait faire du vélo, jouer au soccer ou grimper aux arbres. Ça ne veut pas dire qu’elle soit différente pour autant, car moi-même, j’adorais les camions et les blocs LEGO.

Une psychologue nous reçoit. En entrant, on voit Michelle allongée. Les larmes ne cessent de couler. Et là, commence une discussion sur le mal-être de ma fille.

— Madame, Monsieur, nous avons discuté, Michelle et moi. Votre fille va avoir besoin de votre soutien. Elle a accepté que je vous parle. Elle vit une grande détresse. Ce qui peut sembler à une tentative de suicide est un cri du cœur sur ce qui se passe entre son corps et sa tête. Michelle semble avoir ce qu’on appelle une dysphorie de genre. En gros, née avec un genre assigné qui ne correspond pas avec celui qu’elle ressent. Ce qui a déclenché sa grande détresse, c’est la réalisation que son enveloppe physique ne correspond pas avec le genre auquel elle s’identifie. Elle m’a dit ne pas vouloir de seins, de hanches comme les femmes. Elle s’est coupée avec la lame pour effacer sa souffrance intérieure, mais cette souffrance était encore plus grande que ce qu’elle pouvait ressentir avec chaque coup de lame. Elle va avoir besoin de vous.

Mon mari me regarde et on pleure tous les deux. On fait quoi pour l’aider ? Mon mari dit alors une phrase qui me démontre à quel point je suis fière de lui et de tout son amour.

— Tout ce que je veux, c’est d’avoir mon enfant en vie. Peu importe ce qui se passera, peu importe ce dont elle a besoin, je veux mon enfant en vie.

Les mois passent, les consultations avec une intervenante spécialisée, les médecins et le psychiatre nous font redécouvrir notre enfant, notre enfant qui se transforme tel un papillon. Notre enfant est vivant. Durant ces étapes, partager la vérité avec ses amis la hantait.

— Mais mom, je fais quoi si je perds tous mes amis ? Comment je fais….

Mon enfant a gardé la plupart de ses amis proches avec une compréhension qui l’a stupéfaite. Il devient de plus en plus James-Samuel.

Mom, j’ai toujours adoré ce prénom. Je suis prêt à le porter officiellement maintenant.

— Mon fils, mon enfant. On a beaucoup de démarches, de rencontres, de décisions, de moments qui seront difficiles, mais je te soutiendrai.

Les hormones font leurs effets. Les poils au menton lui font du bien. Mais même si ses seins ne sont pas si gros, ils demeurent trop gros pour lui. Donc, l’autre étape qu’il désire: la mastectomie.

Mon fils est de nouveau radieux. Des étincelles sont réapparues dans ses yeux depuis qu’il comprend pourquoi il avait si mal en dedans.

Mom, merci de m’accepter comme je suis, merci de m’aider. Je suis chanceux de vous avoir parce que, j’en ai entendu parler et j’en connais, plusieurs sont retrouvé dans la rue, se sont suicidé ou se sont retrouvé seul parce que leurs parents ne voulaient plus d’eux ou d’elles.

La décision de l’ultime étape, la chirurgie des organes génitaux n’est pas prise. Mais la vie, la science et la compréhension de cet état d’être nous ont permis d’avoir en quelque sorte, une nouvelle maternité et paternité et d’accueillir notre fils James-Samuel. Notre enfant est vivant, et je ne changerais rien de lui. Il est unique à mes yeux et il est mon fils, un homme qui a des ambitions et qui laissera sa trace. Un nouveau et grand départ vers une nouvelle vie.


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