Préjudices envers les personnes judiciarisées 

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Deux poids, une mesure

Par Colin McGregor | Dossier Milieu carcéral et Criminalité      

Une lumière projetée sur scène. À tour de rôle, des artistes présentent leur numéro, passant de l’art visuel comme la peinture, la sculpture, à des performances de musique, de poésie. C’est un spectacle diversifié pour tous les sens. Le Cabaret de la Seconde Chance est un mélange d’artistes professionnels reconnus, d’intervenants et de personnes de talent ayant eu, à un moment ou un autre, des démêlés avec la justice.

Lorsque les gens sortent de prison après avoir purgé leur peine, ils sont souvent stigmatisés comme étant fous, mauvais et dangereux à connaître. Mais il y a des gens qui s’efforcent d’aider à reconnecter la personne avec la société.

Une fois par an à Montréal, ils montent un spectacle. David Henry, directeur général de l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec, ainsi que vice-président de l’Ordre professionnel des criminologues du Québec, est l’organisateur du Cabaret de la Seconde Chance. Il représente 74 organisations qui travaillent avec des personnes judiciarisées.

Le Cabaret, selon M. Henry, est « un symbole de réintégration. C’est une manière de redonner à la communauté et ça permet de tisser des liens. L’art relie les gens. » 

Parmi ses moments préférés en neuf ans au Cabaret, une chanson chantée ensemble par un agresseur et une victime. « C’était extraordinaire comme symbole – un emblème de possibilités. Malgré ce qui s’est passé, on peut vivre ensemble ! »

Avant le spectacle, dans le foyer du théâtre, il y avait une exposition d’art visuel dont les artistes étaient des détenus et ex-détenus.

« On reçoit énormément de textes. On les a imprimés sur le programme cette année. Auparavant, les personnes judiciarisées les lisaient devant le public ». 

Préjudices envers les personnes judiciarisées 
Le groupe Des Roger, Cabaret de la Seconde Chance. Crédit photo: Francis Dufour

Pic de criminalité

Selon le Centre canadien de la statistique juridique, le taux de criminalité a augmenté de 1962 pour atteindre un pic en 1991. Depuis, la courbe diminue. Malgré cela, selon M. Henry, le nombre des incarcérations augmente.

M. Henry dit que 26 % des incarcérés fédéraux purgent une peine d’emprisonnement à perpétuité. Sous le gouvernement Harper, en 2011, les lois durcissent les condamnations et restreignent les possibilités pour la libération conditionnelle. Ces mesures ont un effet sur le nombre de prisonniers.

Selon l’association canadienne de justice pénale : « Les condamnés à perpétuité présentent un faible risque de récidive et devraient se voir offrir l’occasion de contribuer à la société plutôt que de languir en prison, que de devenir institutionnalisés et complètement dépendants ». 

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Cabaret de la seconde chance, Ariane Laniel. Crédit photo: Francis Dufour

Démolir les préjugés

Le Cabaret de la Seconde Chance, selon M. Henry, donne l’occasion de « shaker les préjugés. On espère juste que le monde soit touché par l’être humain. De le mettre en avant ». 

« Les gens se font une image d’un délinquant de quelqu’un d’extrêmement sauvage, d’irrécupérable. Mais ce n’est pas un animal, c’est un être humain qui réfléchit comme toi ou moi ». 

La 9e édition a eu lieu en 2023. Le public était plus restreint que ceux des années précédentes. « On a de la misère depuis la pandémie d’avoir accès aux prisons. C’est un projet qui est difficile à pérenniser à long terme ». 

« Les nouvelles personnes qui assistent sont surprises du spectacle, de la qualité des numéros artistiques. J’entends souvent que c’est un événement qui dégage de l’humanité ».

C’est très important que ça soit un spectacle professionnel. Le renommé théâtre Gesù a servi comme lieu pour la plupart des Cabarets de la seconde chance.

Artis Judiciali

Un théâtre de Québec reçoit une exposition de peintures, poèmes et sculptures, tous créés par des personnes ayant un casier judiciaire. L’accueil des visiteurs a été chaleureux et positif.

En 2023, pour la cinquième année consécutive, Alter Justice – un organisme de défense des droits des personnes judiciarisées – et L’Aumônerie communautaire de Québec collaborent pour organiser Artis Judiciali. C’est une exposition d’art d’une durée d’un mois présentée au Théâtre Périscope, au cœur de la vieille capitale.

L’art peut s’avérer un médium salvateur, estiment les organisateurs. « L’art c’est une façon d’exprimer les émotions », dit Daniel Poulin-Gallant, criminologue et directeur général chez Alter Justice. « Des émotions peuvent être positives ou négatives, elles peuvent être plus ou moins difficiles à vivre. Les disciplines artistiques permettent d’exprimer nos sentiments pas toujours faciles avec des mots, de faire la paix, avec des passages de vie plus difficiles ».

Il explique : « Une personne qui est plus en paix avec elle-même va avoir tendance à être en accord avec une communauté. Elle va être mieux reconnectée avec la société. Ça permet de réduire la tension interne. Elle va avoir moins tendance à consommer de la drogue ou de l’alcool, ce qui va peut-être empêcher un passage à l’acte criminel ».

« On reçoit des œuvres des participants à la grandeur du Québec », dit Justine Bélanger, elle-même criminologue et chargée de projet pour cette 5e édition. 

Parallèlement, toujours dans le cadre d’Artis Judiciali, un concours d’art et d’écriture est organisé, ouvert à toute personne purgeant une peine dans un pénitencier. On constate une belle participation de la part des prisons qui envoient des poèmes, des slams et des histoires – parfois « un peu particulières », dit M. Poulin-Gallant. Le concours et l’exposition comprennent aussi la sculpture, la musique, l’artisanat, et la pyrogravure. 

Image incomplète 

Une personne est beaucoup plus complexe que ses actes criminels, croit M. Poulin-Gallant. « Un casier judiciaire, c’est une photo des pires moments de la vie de quelqu’un. Ça peut être aussi un père, une mère de famille, un frère, une sœur, un collègue de travail, un artiste ou quelqu’un qui fait des compétitions de vélo. Le crime ne définit pas quelqu’un. Artis Judiciali veut déconstruire ce cliché. »

« La soirée de vernissage, dit Mme Bélanger, est un moment où les citoyens viennent voir les œuvres des ex-détenus et des détenus. Ces rencontres sont importantes pour briser les préjugés véhiculés par les médias. »

Les citoyens réalisent alors que les personnes judiciarisées ne se définissent pas seulement par leurs actes, qu’elles sont pleines de surprises, de sensibilité. « Ce n’est pas toujours facile d’aborder ce genre de sujet, c’est tabou. L’évènement est rassembleur, il y a un réel climat d’échange. C’est beaucoup plus facile de faire la découverte d’un autre dans un tel climat ». 

« L’événement suscite beaucoup de curiosité », dit M. Poulin-Gallant. « Je trouve ça très encourageant de voir qu’il y a des changements de paradigme au niveau des perceptions face aux personnes judiciarisées ».

Préjudices envers les personnes judiciarisées 
5e édition de l’expostion d’Artis Judiciali 2023. Crédit: Artis Judiciali

Réactions…

L’événement à Québec gagne en popularité d’année en année. 

« Je n’ai rencontré aucune réaction négative », raconte Mme Bélanger. « C’est très bien accueilli avec bienveillance.» Ce n’est pas un genre d’activité qu’on voit beaucoup. Les gens ne suivent pas les personnes sur les réseaux sociaux. Ils vont rencontrer un individu. C’est un contact humain apprécié autant par les partenaires que par les participants et les visiteurs ». 

« Les gens nous remercient pour la découverte d’un nouvel univers. On atteint notre mission de le faire connaître et déconstruire des mythes », nous dit M. Poulin-Gallant.

Quant au concours dans les prisons, il observe que « c’est intéressant de voir que ces gens veulent s’impliquer, concevoir leur esprit créatif comme un moyen de réhabilitation ».

Mme Bélanger décrit son implication bénévole : « entrer en contact avec des personnes judiciarisées m’a vraiment sensibilisée. Ça m’a appris beaucoup de choses. Ce qu’on apprend à l’école en criminologie versus ce qu’on apprend sur le terrain avec des personnes réelles, en discutant avec elles, m’a beaucoup changé. Je suis plus portée à aller vers les gens, à être intéressée par leurs histoires, au lieu de juger trop rapidement. C’est quelque chose que j’ai développé dans ce projet ».

L’humilité

Selon M. Poulin-Gallant, « au niveau personnel, travailler avec des personnes marginalisées, exclues de la société, apporte beaucoup d’humilité. Des fois on peut se plaindre, « ma vie n’est pas facile », mais il arrive qu’on se rende compte que ces gens ont un quotidien beaucoup plus difficile que nous. Puis on peut se dire qu’on a un parcours de vie similaire, qu’on aurait pu faire de la prison, mais que grâce à x ou y, cette situation ne s’est jamais pointée ».

Alter Justice est un organisme à but non lucratif qui offre des programmes d’intervention, d’information et de soutien aux personnes en instance judiciaire et en détention dans un établissement correctionnel québécois (peine de moins de deux ans). https://alterjustice.org/

Le programme Artis Judiciali est ouvert à ceux qui purgent ou ont purgé une sentence fédérale (deux ans ou plus) ou provinciale dans n’importe quelle des prisons du Québec, sur tous les paliers. artisjudiciali@alterjustice.org

Pour voir des Cabarets de la seconde chance : www.youtube.com/@asrsq1527


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