Ludivine (prénom fictif) tient à parler de drogues. Si elle en a consommé occasionnellement, elle a surtout été percutée de plein fouet par la consommation passée de son père. Aujourd’hui, Ludivine est adulte, mais sa famille et elle paient encore les conséquences de cette ancienne dépendance. «La drogue a des répercussions sur la vie des personnes longtemps après l’arrêt de la consommation», explique Ludivine. Elle a subi celle de son père.
Un texte de Delphine Caubet – Dossier Toxicomanie
Alors qu’il n’avait que 25 ans et pas encore d’enfants, le père de Ludivine a été un consommateur d’héroïne pendant 3 ans. Tous les jours. À cette époque, il fréquentait déjà sa mère et celle-ci le laissait faire, sans pour autant y toucher. Avant la naissance de ses enfants, le père de Ludivine arrêta l’héroïne pour fonder sa famille. Mais après la naissance de son fils, il troqua une dépendance pour une autre, ce fut le début de la consommation d’alcool.
Dépendances en série
«Il disait à ma mère que la consommation d’héroïne lui faisait du bien. Mon père est un homme angoissé…
Quand il a commencé à boire après la naissance de mon frère, je pense que c’était dû à la peur de perdre un tel bonheur», déclare la jeune femme.
Pendant plus d’une décennie, le père de Ludivine boira en cachette sans que ses enfants ne s’en aperçoivent.
Alors qu’elle a 14 ans, il sort du placard et l’annonce à toute la famille: il est alcoolique et va aller en cure de désintoxication. Pour la petite Ludivine qui voyait encore son père comme un surhomme, c’est un choc terrible. Alors qu’elle a du mal à saisir et comprendre toute l’ampleur de la situation, son père lui demande expressément de n’en parler à personne. Elle a déjà de la difficulté à mettre des mots sur la situation, et voici que par honte, il cherche à lui mettre un bâillon.
Rechute
Pendant quelques années, le père de Ludivine sera sobre de toute dépendance, exception faite de la cigarette. Exception importante puisque celle-ci va engendrer un cancer de la gorge.
«Les conséquences de sa consommation d’héroïne ne sont venues que plus tard, raconte Ludivine. Il a troqué une dépendance pour une autre. Quand il a eu son cancer à la gorge, il a recommencé à boire.»
Ludivine avait alors 17 ans.
Cette période a été destructrice pour ce père et pour ses enfants qui le voyaient dans un tel piteux état. Alors qu’il n’a quasiment plus de voix après son opération, il recommence à boire, prend ses médicaments, le tout le ventre vide. «Il devait d’abord être nourri par sonde, mais quand il a fallu qu’il remange, la rééducation a été difficile. La nourriture venait dans ses poumons et non son estomac. Il a frôlé la mort plusieurs fois à cause de cela. Son estomac a fini par se contracter. Il ne pouvait pas manger beaucoup, et souvent il remplaçait la nourriture par l’alcool.»
Depuis qu’elle est jeune, Ludivine ramasse parfois son père par terre, ivre, pour le coucher. «C’est très difficile d’en discuter le lendemain, car il ne se souvient de rien. Quand j’arrive à lui en parler, il se sent coupable et du coup il boit davantage. C’est un cercle vicieux», explique-t-elle.
Impacts
Cette dépendance, ce besoin d’alléger ses angoisses, a eu des impacts physiques sur le père de Ludivine. «Il est comme ces rockstars qui consomment… ils ont à peine 27 ans et en paraissent le double. Aujourd’hui, avec mon père, c’est pareil. Depuis 6 ou 7 ans, il semble touché d’une régression cérébrale. Il répète souvent les mêmes choses, il est devenu misanthrope. Il a l’air très vieux, même ma grand-mère de 85 ans est plus apte à interagir.»
Aujourd’hui Ludivine a la mi-vingtaine et son père continue de boire. Avec lucidité, elle parle de 5 longues années où elle ne l’a pas côtoyé sans qu’il soit ivre. Bien sûr, elle avait grandi et ne revenait que sporadiquement dans le noyau familial.
Ludivine a plusieurs frères et sœurs et tous ont vécu les évènements de façon différente. Grâce à sa mère, Ludivine a appris à exprimer ses émotions: «Même si ce n’est pas politiquement correct de dire que la dépendance de mon père me fait du mal, ma mère m’a aidée à le dire.» Le résultat se voit, Ludivine est une jeune femme équilibrée avec une grande lucidité sur ses comportements.
Avant de connaitre toute l’histoire de son père, elle avait essayé plusieurs drogues, mais en femme sportive, elle n’en supportait pas les impacts sur son corps. Les lendemains, un sentiment de culpabilité l’envahissait tandis qu’elle se sentait mal pendant plusieurs jours.
Avec réflexion, elle parle de ses expériences: «Sur le moment tu te sens bien, ce qui est le but, mais c’est fake. J’ai déjà été à une soirée où après avoir consommé j’ai parlé à au moins 50 personnes. Le lendemain, j’ai retrouvé une feuille sur laquelle ils m’avaient tous écrit leurs contacts pour se revoir. Sauf que pendant cette soirée, ils n’avaient pas parlé avec la vraie moi… j’avais le sentiment d’avoir trahi ma personnalité.»
Prendre position
Depuis ses expériences d’adolescente, Ludivine ne consomme plus de drogue et elle avoue qu’il est difficile de se positionner sur le sujet. D’un côté, elle ne veut pas juger, mais d’un autre côté, Ludivine ne peut s’empêcher de penser que l’ouverture d’esprit de sa mère a peut-être nui à sa famille…
Mais surtout, si Ludivine a accepté de parler, c’est pour mettre les choses au clair: «L’alcoolisme est une maladie. C’est aussi incontrôlable qu’un cancer. Culpabiliser la personne ne fera qu’empirer la situation.» Elle ne l’a que trop vu avec des proches qui n’ont jamais compris l’état de son père.
[…] La consommation, un poids sur les enfants […]