Plusieurs citoyens québécois s’identifient comme membres de la Meute sur les réseaux sociaux. Ils rejoignent cette bannière, car ils craignent que «la montée de l’islam radical dans le monde vienne perturber la quiétude et la sécurité canadienne». Ils s’organisent sur Facebook depuis un peu plus de 2 ans pour devenir un groupe de pression politique influent.
Un texte de Mélina Soucy – Dossier Intimidation
La Meute est décrite comme un groupe xénophobe d’extrême droite par les médias et les politiciens. Régis Labeaume, le maire de la ville de Québec, a même traité le groupe de milice toxique et dangereuse. Pour vérifier la véracité de ces allégations et enquêter sur une histoire de cyberintimidation en lien avec ce groupe, j’ai rejoint le groupe Facebook secret de la Meute (c’est-à-dire qu’on ne peut pas le trouver sur Facebook sans qu’un membre ne nous ajoute) et ce, en m’identifiant comme journaliste.
«Souhaitons la bienvenue à Mélina Soucy dans le clan 06 ». On m’accueille comme tous les autres, avec ce statut Facebook, rapidement commenté par les autres membres, à coup d’émoticônes représentant des têtes de loups.
Cyberintimidation
Le blogue TPL Moms donne la parole aux mères et encourage la diversité culturelle. Lors du scandale de la prière des musulmans au Parc Safari en juillet 2017, le blog s’est prononcé pour la défense de cette communauté. «J’ai lancé le sujet, puis une rédactrice a fait un texte qui reflète très bien nos valeurs d’ouverture», explique Josiane Stratis, rédactrice en chef du blogue.
L’article parut le 5 juillet n’a attisé les commentaires désobligeants que le lendemain de sa publication. «Je m’entraîne le jeudi midi, raconte madame Stratis. Entre le moment où je suis partie du bureau et celui où je suis revenue, ma sœur avait bloqué 40 commentaires. Ça a duré 5 jours.»
Selon la rédactrice en chef de TPL Moms, la majorité des commentaires avaient été rédigés par des membres de la Meute. «C’est facile d’identifier les gens de la Meute. Ils ont souvent le symbole de leur groupe sur leur photo de profil ou leur page Facebook personnelle. Ce sont également eux qui venaient écrire 25 commentaires par heure. Leurs discours commençaient souvent par un argument ouvert d’esprit qu’ils saupoudraient d’éléments racistes.»
Vérification des faits
Le logo de la Meute étant absent des photos montrées sur la capture d’écran. J’ai donc moi-même vérifié que chacun des individus s’y trouvant étaient bel et bien membre du groupe. C’était le cas.
Josiane Stratis m’avait également informé d’un possible appel à la cyberintimidation de la part de Sylvain Brouillette, chef des communications et membre dirigeant de la Meute. J’ai retrouvé cette incitation à commenter l’article de TPL Moms sur le groupe secret. Monsieur Brouillette avait toutefois modifié son nom pour Facebook, empruntant le pseudonyme de Sylvain Maikan.
Je l’ai ensuite contacté pour avoir son opinion. «J’incitais les gens à ouvrir un débat, défend-t-il. Les gens vivent dans un monde complètement irréaliste. Ils vivent dans une bulle. Ils sont complètement inconscients des dommages que l’islam radical a fait ailleurs dans le monde. Il y a des sociétés qui étaient très enviables il y a quelques décennies qui sont devenues des enfers. À un moment donnée, c’est beau être ouvert et accueillant, mais c’est important de le faire de la bonne façon.»
Sylvain affirme aussi que les commentaires laissés par les membres de la Meute ne sont pas xénophobes et n’ont pour but que d’ouvrir le débat. Donc, quand un de leur membre dit que l’islam «vient de l’an 6000 et n’a pas évolué depuis», ce n’est pas un commentaire discriminatoire. Quand il incite les gens à «réfléchir un peu, car un dieu aurait-il exigé d’enfermer la femme dans un costume avec des trous pour les yeux?», ce n’est pas raciste. «C’est une question de point vue», m’a répondu Sylvain Brouillette.
Comment reconnaître l’extrême droite?
Une fois ma petite enquête terminée, j’ai demandé à un spécialiste si la Meute était un groupe d’extrême droite. Herman Deparice-Okomba, directeur du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence, a appuyé ce qualificatif.
«La plupart des groupes d’extrême droite ont toujours eu des discours ambigus, explique-t-il. La Meute n’a jamais eu de discours clairement xénophobes ou homophobes par exemple. Elle ne va jamais le dire clairement, car elle a peur d’être poursuivie, de se faire taxer de raciste. Il faut aller au-delà de cela. Il faut apporter une analyse plus large.»
Le spécialiste en radicalisation donne en exemple le débat autour de la création d’un cimetière musulman à Saint-Apollinaire en juillet 2017. «La Meute lutte contre l’islam radical, souligne M. Deparice-Okomba. Il n’y a pas de lien avec le cimetière musulman et l’islam radical. Ils en créent quand même un. Ils ont un discours public qui est officieux, qui diffère de leur discours privé. C’est pour se faire une image respectable auprès de l’opinion publique.»
Je suis donc partie à la recherche de commentaires qui diffèreraient de leur discours public, discours qui disait seulement que la Meute avait eu un problème avec «l’exercice de la démocratie lors des consultations publiques concernant le cimetière». J’en ai trouvé, bien qu’ils ne s’agissent que de quelques individus, ces commentaires peuvent encourager le racisme et attiser la haine. Ce sont des commentaires en réaction au statut Facebook de Sylvain Brouillette, statut annonçant la victoire du non face à la création du cimetière.
Certains commentaires en dessous de cette publication étaient ouvertement haineux ou racistes. En voici quelques uns:
Bien que le groupe ne se considère pas raciste, il attire parfois des gens qui tiennent des propos racistes, comme le prouvent ces captures d’écran. «Ces gens se font mettre dehors du groupe Facebook à l’instant où les administrateurs s’en rendent compte», précise Sylvain Brouillette. Encore une fois, les personnes qui ont écrit les commentaires ci-haut ne sont pas exclues du groupe, au moment où je rédige cet article, plusieurs mois après leur écriture. On voit même Sylvain Brouillette (Maikan) dire qu’«on manquerait de corde» pour pendre le conseil d’administration de la ville de Saint-Apollinaire s’ils venaient à contrer la décision du référendum.
J’ai demandé au chef des communications pourquoi le groupe attirait quand même des personnes racistes malgré sa volonté de filtrer ce type de membre. «C’est en partie à cause de l’image que les médias nous donne que des racistes joignent le groupe», m’a-t-il répondu.
Herman Deparice-Okomba n’est pas du même avis. Selon lui, la Meute est responsable des propos tenus par ses membres. «C’est une pépinière de discours intolérables. Ils disent qu’ils les écartent, mais s’ils les écartent comment ces gens peuvent arriver dans leur groupe? Il y a quelque chose qui les attire».
Monsieur Deparice-Okomba mets en garde la population contre «les discours généralistes de la Meute qui laissent place à l’interprétation. «C’est tellement flou et vaste que les gens doivent eux-mêmes tirer leurs conclusions. C’est là que ça devient dangereux.»
Découvrez le processus de radicalisation d’un individu :
Note aux lecteurs – Pour des questions de mise en page et de fluidité du texte, nous avons choisi de reproduire certains commentaires Facebook et de corriger leur orthographe, mais sans en changer le contenu.