Par Colin McGregor | Dossier Hip-hop
Il est 1996. Un jeune ado de 16 ans est confortablement installé dans le salon de ses parents, donnant sur le parc La Fontaine. Il écoute un documentaire sur le groupe de gangsta rap NWA, sur les ondes de la station publique des États-Unis, PBS. « Le son des musiques de Dr. Dre, » il nous confie, « m’est entré directement dans l’âme. » L’énergie, l’esprit de rébellion, le commentaire social, l’esprit d’activisme…
Ce même ado, passionné de philosophie, est Jérémie McEwen, aujourd’hui professeur au Collège Montmorency à Laval. Où il combine ses deux amours intellectuels pour enseigner un cours sur la philosophie du hip-hop.
Son livre, Philosophie du hip-hop : Des origines à Lauryn Hill (Éditions XYZ), regorge des noms des artistes de la rue ainsi que des philosophes. McEwen donne la vie à des idées qui datent de plusieurs siècles, et nous montre comment on pourrait les lier à des œuvres contemporaines et jeunes.
L’art c’est la réflexion d’une société : l’authenticité des rappeurs et des graffeurs qui songent à refléter « la dure réalité autour d’eux, » McEwen nous explique.
Quatre axes
Depuis les années 1970, le hip-hop, selon Webster, artiste hip-hop québécois qui écrit la préface du livre, s’est articulé autour des quatre grands axes fondateurs : le rap, le breakdance, le DJing et le graffiti. Toutefois, l’esprit hip-hop existe bien depuis longtemps.
« L’essence de ce qui constitue aujourd’hui la culture hip-hop est présente depuis les débuts de l’activité artistique humaine ; c’est le désir de s’exprimer, de revendiquer, de se prouver, d’exister à travers la créativité, qu’elle soit parole, peinture ou mouvement du corps. »
Jérémie McEwen nous rappelle que les grottes de Lascaux, en France, déborde des graffitis rupestres vieux de 17 000 ans; et que les murs de Pompéi, ville romaine détruite par une éruption volcanique il y a 2 000 ans, sont plein de tags et d’écrits parfois politiques, parfois religieux, parfois insultants, et parfois juste des noms. Car, comme le tagueur new-yorkais CAY 161 nous rappelle, « Le nom est la foi du graffiti. »
On apprend que l’équivalent du premier rappeur Kool Herc en philo c’était possiblement le physicien grec Thalès de Millet, qui a vécu il y a 2600 ans. Il cherchait un élément à l’origine de la nature. « En termes hip-hop, » McEwen argumente, « savoir d’où tu viens pour savoir où tu vas est d’une importance capitale. »
On apprend que l’autonomie d’un DJ qui tourne ses disques dans la rue avec son propre système de son est reflétée par les œuvres du philosophe allemand Emmanuel Kant (1724-1804), qui écrivait de l’importance de la liberté de choix.
Comme ça, McEwen marie les tendances hip-hop, ainsi que les artistes, avec des philosophes, pour les comparer : le breakdance avec Nietzsche, l’allemand qui pensait à l’importance de l’immédiat; Grandmaster Flash avec Voltaire, qui aussi observait son monde avec un œil réaliste; NWA avec Thomas Hobbes, qui prêchait une vision « le chien mange le chien » du monde; Biggie Smalls avec Épicure, qui aimait la bonne vie… Quelle belle façon de s’introduire à un sujet, la philo, qui est obligatoire au Cégep!
Quant au graffiti, McEwen observe que « les toiles viennent au deuxième rang par rapport aux murs dans l’histoire de l’art. Les murs peuvent être vus par tout, portant l’espoir des créateurs que leurs œuvres puissent devenir, par la force des choses, de l’art public. Le graffiti, en tant que forme d’art, n’est donc pas éphémère du tout. »
Des wagons de New York
Les premiers graffeurs de New York, les années 70, affichaient leurs noms aux wagons du métro dans leurs quartiers populaires pour que leurs tags soient vus dans des sections plus richissimes. Donc, l’art était visible partout – la vraie démocratisation du hip-hop. « Le graffiti représente le premier effort du hip-hop pour exister au-delà des quartier défavorisés, et pour ainsi avoir une influence sur la suite du monde, » selon McEwen. Les graffeurs sont les écrivains du hip-hop, car il y a un destinataire à leur écriture : « l’homme » (The Man, c’est-à-dire le patron ou le gouvernement). C’est un art qui ouvre la porte de l’art aux masses.
Le livre, qui se lit très bien et n’est pas bourré de jargon philosophique qui découragerait la lecture. Comme les fidèles de Reflet de Société connaîtront déjà, nous sommes associés avec le Café Graffiti, un chef-lieu pendant trois décennies de la culture hip-hop québécoise.
McEwen ponctue son œuvre par des entrevues avec quatre artistes du milieu qui œuvre sur le terrain à Montréal, comprenant notre Monk.e, un graffeur du Café depuis longtemps. Un de ses créations hip-hop, Samouraï d’automne, est toujours visible sur un mur à côté du Bistro le Tambour du Ste-Cath, 4264 Ste-Catherine est, dans Hochelaga-Maisonneuve, un restaurant aussi affilié avec le Café Graffiti.
Donc, le hip-hop, qui est en même temps la poésie et l’art de la rue, est partout…
Philosophie du hip-hop : Des origines à Lauryn Hill Par Jérémie McEwen, Éditions XYZ
Crédit photo: Scott Beale
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