La recherche au féminin en génie

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Par Juliette Straet, étudiante à l’Université de Montréal 

Dossier Éducation

Malgré les progrès politiques et juridiques visant à garantir un accès égal aux diplômes universitaires, la parité entre les genres dans le domaine de l’ingénierie est encore loin d’être acquise. En 2021, les femmes représentaient seulement 20 % des inscriptions en génie au Québec.1 Cette disparité de genre en génie est particulièrement étonnante si l’on considère que les femmes sont aujourd’hui majoritaires dans le milieu universitaire.

Le domaine de la recherche académique en génie n’échappe pas à cette tendance. Des études récentes ont montré que les femmes sont moins nombreuses que les hommes mais également qu’elles reçoivent moins de financement, publient moins et sont moins citées que leurs collègues masculins.2 Cette situation soulève des questions sur les obstacles auxquels les femmes font face dans ce domaine. 

Représentation et stéréotypes genrés

Certaines causes comme le manque de représentativité concernent le milieu de l’ingénierie en général et affectent l’orientation des femmes dès le plus jeune âge.3 L’absence de modèles féminins ainsi que les normes sociales et les stéréotypes genrés peuvent nuire à l’attraction et la progression des femmes dans les carrières scientifiques. 

Certaines idées fausses persistent : par exemple, l’idée que les femmes possèdent moins d’attributs menant au succès dans les carrières scientifiques et d’ingénierie. Bien que cette croyance en un manque de capacité innée des femmes pour l’ingénierie ait été démentie par de nombreuses études, cette construction sociale des genres continue d’exercer une influence.4

Les obstacles d’une culture académique axée sur la performance

Il y a, dans le monde de la recherche académique, une culture de la compétitivité accrue. Celle-ci se caractérise par des exigences de performance élevées, quantifiées et normées. Les chercheurs doivent publier beaucoup, souvent et dans des revues scientifiques reconnues. Ces exigences demandent un engagement dans la carrière. Il faut être prêt à travailler de longues heures mais aussi à répondre à une demande de mobilité internationale qui favorise le réseautage et le rayonnement de la recherche. La mobilité internationale est essentielle pour l’obtention de financement, une condition cruciale pour une carrière en recherche.  

Cette culture complique l’équilibre entre vie familiale et professionnel. Or, les femmes assument généralement plus de responsabilités familiales que les hommes. « Dans un contexte où les femmes souhaitent également avoir des enfants et parce qu’elles assument encore la plus grande partie du travail de soins, la nécessité de choisir entre la carrière et la maternité persiste », explique Sophie Brière, professeure titulaire à l’Université Laval et spécialiste de la progression des femmes dans des métiers et professions traditionnellement masculins.5 De plus, les processus d’accession à certaines promotions sont exigeants et limitent les possibilités de pauses de carrière, pour un congé de maternité par exemple.6 

Les femmes sont également désavantagées face aux critères d’excellence des chercheurs. En effet, ces critères de rayonnement dans le milieu universitaire sont encore majoritairement quantitatifs. Les chercheurs sont évalués sur leur nombre de publications, de citations et sur les facteurs d’impact des revues dans lesquelles ils publient. Cette « excellence standardisée » pose problème. D’une part, elle ne permet pas de mesurer directement la qualité d’une recherche. D’autre part, elle constitue un obstacle à la progression des femmes dans les carrières de recherche, notamment car elles publient moins que les hommes.7 Différents facteur expliquent cette différence de productivité tels que la maternité, le rang professoral ou une plus grande multidisciplinarité.8

L’impact de la crise sanitaire 

La crise sanitaire a exacerbé les défis auxquels font face les chercheuses en génie. Une étude récente a montré une diminution importante des recherches publiées par les femmes.9 Cette diminution s’est particulièrement fait ressentir chez les jeunes chercheuses, mettant ainsi en péril les femmes de la relève en recherche. Les responsabilités familiales accentuées par le confinement ont contribué à cette baisse de productivité. Cette situation met en lumière les défaillances du système académique et souligne l’urgence d’adapter les politiques académiques pour mieux prendre en compte les réalités vécues par les chercheuses.

Des solutions insuffisantes

Face à ces enjeux, des solutions émergent progressivement. Des mesures de conciliation travail-famille et des programmes d’équité, de diversité et d’inclusion sont mis en place dans les universités. Des réflexions ont également été entamée sur l’élaboration d’un processus d’évaluation de la recherche plus inclusif, équitable et transparent. En 2016, le Québec a rejoint le projet SAGA de l’UNESCO qui vise à réduire les inégalités entre les femmes et les hommes dans les domaines des sciences, des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques. Cependant, ces mesures sont partielles et ne permettent pas de résoudre l’ensemble des problèmes. Un changement culturel est indispensable pour éliminer les barrières auxquelles font face les femmes en recherche en génie.

Notes de bas de page:

(1)  Chaire pour les femmes en sciences et en génie. (2022). Rapport statistique – Inscription des femmes en sciences et en génie au collégial et à l’université au Québec entre 2005 et 2021. CFSG. https://cfsg.espaceweb.usherbrooke.ca/rapport-statistique/.

(2)  Beaudry, C., Larivière, V., & Solar-Pelletier, L. (2016). Impact scientifique des femmes au Québec. Acfas Magazine. https://www.acfas.ca/publications/magazine/2016/10/impact-scientifique-femmes-au-quebec.

(3) Larivière; V. (2014, 18 mars). Femmes et sciences : les premières données mondiales valident l’inégalité. Acfas Magazine. https://www.acfas.ca/publications/magazine/2014/03/femmes-sciences-premieres-donnees-mondiales-valident-inegalite

(4) Eugène, F. (2019, 8 février). Femmes en recherche au Québec : où en sommes-nous ?. Acfas Magazine. https://www.acfas.ca/publications/magazine/2019/02/femmes-recherche-au-quebec.

(5) Brière, S. (2019). Op cit.

(6) CAC. (2012). Renforcer la capacité de recherche du Canada : La dimension du genre. CAC. https://www.rapports-cac.ca/reports/renforcer-la-capacite-de-recherche-du-canada-la-dimension-de-genre/.

(7) Ceci, S. J., Ginther, D. K., Kahn, S., & Williams, W. M. (2014). Women in Academic Science: A Changing Landscape. Psychological Science in the Public Interest15(3), 75-141. https://doi.org/10.1177/1529100614541236.

(8) Beaudry, C., Larivière, V., & Solar-Pelletier, L. (2016). Op cit. ; Astegiano J, Sebastian- Gonzalez E, & Castanho CT. (2019). Unravelling the gender productivity gap in science: a meta- analytical review. R. Soc. open sci. http://dx.doi.org/10.1098/rsos.181566.

(9) Brulotte, K. (2020, 15 mai). Les femmes en sciences pourraient perdre du terrain. Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1703035/femmes-sciences-recul-pandemie-universite-publication.

Illustration : Loane Chapelle


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