Saviez-vous qu’il était possible de dessiner, d’écrire et de composer malgré une vision diminuée ? C’est l’histoire de Bruno Robitaille. Auteur et rappeur, Bruno a toujours aimé écrire. Cette passion l’a conduit à s’accrocher, malgré les épreuves qui ont jalonné son parcours. Il utilise ses vers pour transmettre sa vision de la société, de façon légère et décalée.
Un texte publié dans le Dossier Hip-Hop
Bruno Robitaille est né aveugle. Sa mère s’en est rendu compte très tôt. Contrairement à la plupart des nouveau-nés, Bruno ne tendait pas la main devant de nouvelles choses. De deux mois à 7 ans, il a été opéré une cinquantaine de fois. Durant ces années, sa vision a souvent régressé puis, s’est stabilisée. Au final, avec la technologie de l’époque, les médecins sont parvenus à lui sauver l’œil gauche. Bruno a pu récupérer 60 pour cent du fonctionnement de cet œil.
Face à son destin
Même s’il n’est pas issu d’un milieu très aisé, comme ses parents ont su prioriser son alimentation, il n’a jamais souffert de la faim. Sa mère était toujours présente et son père travaillait pour faire vivre la famille. Bruno a donc pu avoir une enfance constituée de rêves et d’imaginaire. Il est né en 1985 à Pointes-aux-trembles, où il habite toujours. Il aime ce quartier paisible dépourvu des inconvénients de la grande ville. Et malgré sa position un peu excentrée, l’endroit dispose de beaucoup de ressources.
Bruno a beaucoup de facilité tout au long du primaire, où il se découvre une passion pour le dessin. En 1998, cependant, il échoue son secondaire 1 à cause de la crise du verglas qui l’empêche d’aller à l’école pendant presque deux mois. Aucune mesure n’est prise par la direction pour aider les élèves à rattraper les cours manqués. C’est pendant cette période qu’il découvre l’alcool, la drogue et les filles. L’été qui suit, il part en vacances avec sa famille mais à leur retour, leur maison a été incendiée. Même si cet événement ne l’affecte pas directement, la vue de ses parents, tristes à cause d’un incendie criminel, provoque sa colère. «À ce moment-là, je suis devenu quelqu’un d’autre, explique-t-il. J’étais gentil, attentionné et j’aimais les humains. J’étais à l’écoute des autres mais quand j’ai su que ma mère était triste, j’ai changé. Ma mère a toujours fait ce qu’il fallait faire, elle est droite, elle fait les choses comme il faut qu’elles soient faites. C’est une bonne personne et elle n’a pas mérité ça.»
Il échoue son secondaire et est suspendu de la commission scolaire pour violence verbale. Bruno rejoint alors une école spécialisée en troubles du comportement où il finira par obtenir son diplôme de secondaire 5. Il l’aura fait pour sa mère, parce qu’elle voulait qu’il se rende jusque-là. Il décide ensuite d’arrêter définitivement l’école. Même s’il perçoit son diplôme comme un simple papier, il a conscience de l’importance qu’il revêt pour sa mère et de la fierté qu’elle en tire.
Braver l’impossible
Bruno commence à écrire en 1999, lorsqu’il découvre le rap. Son premier livre, sorti en 2013, regroupe des textes qu’il a écrits plus jeune. Il pensait que personne ne les lirait jamais. Arrivé au Café Graffiti, il a la possibilité de les immortaliser. «Je veux que mes textes vivent, plutôt que de mourir dans ma table de chevet», affirme-t-il.
Aujourd’hui, sa bibliographie est constituée de 7 livres, publiés aux Éditions TNT. Parmi ceux-ci, se trouvent deux bandes-dessinées. « J’aime le dessin depuis 1990 », rappelle Bruno. À cause de sa vision réduite, il a dû s’adapter pour pouvoir dessiner. Il matérialise ses idées sur de grandes feuilles blanches. Les feutres qu’il utilise doivent absolument être noirs tout comme la table sur laquelle il dessine. Les bandes-dessinées lui prennent plus de temps que ses autres livres, puisqu’il essaie d’y mettre beaucoup de détails.
Aucun de ses ouvrages n’aborde le même sujet. Un artiste doit pouvoir se renouveler tout en conservant son propre style. Telle est la perception qu’il a de son œuvre. Son huitième livre sera d’ailleurs totalement différent, puisqu’il va y présenter sa vie. Il n’avait jamais eu le courage de s’ouvrir auparavant. Désormais, il se sent prêt.
Exploiter les possibles
Le poète n’est pas seulement auteur et dessinateur. Il aime le rap depuis longtemps. À l’âge de 14 ans, il découvre qu’il est possible de rapper en québécois sans prendre l’accent français. C’est le groupe Sans Pression qui a initié ce mouvement, suivi par beaucoup d’autres rappeurs québécois. Jusque-là, Bruno croyait ne pas aimer la musique. Or, ce style lui plaît. Peu de temps après avoir connu le Café Graffiti, il se rend au studio d’un ami, où il essaie de rapper. Un peu hésitant au début, il adorera finalement l’expérience. «Il n’y a rien que j’aime plus que ça aujourd’hui.» Pour se faire connaître, il commence par sortir en accès gratuit ses albums d’une dizaine de chansons. En 2019, il sort son premier véritable album solo, intitulé 2021. Il le vend en format numérique.
Il a pour projet de sortir un autre album, qui contiendra d’ailleurs sa 80e chanson. Il aime la diversité, autant par écrit que dans sa musique. Tout comme pour ses livres, il a voulu que ses 80 chansons soient différentes. Bruno se réjouit de naviguer dans ces deux mondes que sont l’écriture et la musique et qui lui permettent de se diversifier.
Les médecins lui ont annoncé que sa vision régresserait au cours de sa vie. Il a déjà été aveugle une semaine et sait que si cela se reproduit, il ne pourra plus faire ce qu’il aime. «C’est tout ce que j’ai, murmure-t-il. Tout ce que je sais faire dans la vie, c’est écrire, dessiner et puis faire de la musique. J’ai besoin de mes yeux pour ça.» Il dispose aujourd’hui d’une acuité visuelle de 50 pour cent dans l’œil gauche et distingue seulement les ombres et les lumières de l’autre. Auteur, compositeur et dessinateur, Bruno a su passer outre son handicap. Il continue aujourd’hui ses projets, et s’adapte afin de ne pas être freiné par sa vue atrophiée.
[…] Publié sur le site interet de Reflet de Société le 28 février 2020 […]