Ingrid Falaise | Dossier Suicide
Dimanche. 12 juin 2007. Au loin, j’entends le supplice de la goutte d’eau qui tombe pile chrono, à chaque seconde, dans le creux du lavabo de la salle de bain. Pling. Pling. Pling. Je n’ai pas la force de me lever de ce lit, mon refuge depuis vendredi. Pourtant c’est l’été, le soleil brille tard, les oiseaux se lèvent tôt et je suis finalement en vacances.
Ce sont plutôt des vacances de mon existence que j’aimerais m’offrir, mais ça, c’est impossible. À moins de me taillader les poignets ou d’ingurgiter la boîte de médicaments traînant dans le cabinet…
J’y ai songé, je l’avoue. Cette idée mettrait fin au hamster pathétique qui court en boucle dans ma tête remplie d’idées sombres. Mais pour ce faire je dois me lever, prendre une décision, et j’en suis incapable. Je suis en sécurité derrière les rideaux tirés. Je n’ai pas à affronter mon visage dans le reflet du miroir qui me renverra assurément des mots d’horreur sur ma personne. Je me déteste. Je suis lâche, bonne à rien, inutile. À fleur de peau, je pleure, recroquevillée sur mon oreiller mouillé. Qui suis-je? Où vais-je? Comment survivre à cet état incompréhensible une journée de plus? Je n’en sais rien. J’erre les yeux mi-clos dans mes pensées, prisonnière du fardeau qu’est ma vie.
C’était moi, il y a neuf ans.
Aujourd’hui je sais qu’on nomme ce lieu maudit «dépression». Cet endroit qui nous semble une éternelle noirceur. Ce pays ténébreux exempt de lumière où les secondes défilent avec une lenteur accablante. Où l’ombre de nous-même survit sans savoir pourquoi. Où demain n’est que calvaire à nos yeux.
À cette époque, je ne savais pas qu’aujourd’hui je serais mariée, heureuse, épanouie et que je remercierais le ciel d’être en vie. La dépression m’avait engloutie dans son labyrinthe sans fin. Le mal à l’âme m’avait kidnappé un matin sans crier gare. Mon pyjama était devenu mon uniforme et ma tignasse décoiffée ornait ma tête, telle une couronne déchue sans fierté, misérable. Je craignais la fin des vacances et ne pouvait imaginer l’idée de croiser des gens à nouveau et de poser un sourire faux sur mon visage éteint.
La dépression avait forgé sa route jusqu’à moi, tranquillement, sournoisement. Elle avait resserré son étau jusqu’à ce que j’étouffe et que j’éclate en mille morceaux. Les signes précurseurs étaient bel et bien présents. Baisse d’énergie, maux de tête. La fatigue excessive ou l’angoisse m’entretenant dans l’insomnie. Mais ces alertes de l’épuisement, je ne les avais pas écoutées. J’avais plutôt enfoui mon passé, mes blessures, loin derrière et, à force de ne vouloir revisiter l’écorchée que j’étais, je n’ai pas pris soin de cicatriser les plaies de la bonne façon. Un simple pansement ne tient pas bien longtemps.
La dépression a duré. Elle a hypothéqué mes vacances, ma santé, mon travail et certaines amitiés, lesquelles devaient sans doute prendre le large de toute façon. Rien n’arrive pour rien selon les sages.
Et un jour, ne supportant plus le masque et le vide, j’ai acquiescé à ma voix intérieure qui me soufflait de consulter. Personne ne pouvait le faire à ma place. C’était à moi de prendre le combiné et de composer le numéro griffonné sur un papier qu’une main tendue m’avait refilé. Madame Dépression ne voulait plus quitter le logis qu’était ma peau. Ça ne passait pas. Madame s’accroche, demeure, persiste et s’incruste.
Aujourd’hui, des centaines de femmes et d’hommes m’écrivent personnellement via les réseaux sociaux. Victimes de leur passé, de leur silence. La question qui revient le plus souvent est: comment fait-on pour guérir?
Je ne suis ni thérapeute, ni psychologue, mais une chose dont je suis certaine, et que j’ai apprise au cours de ma thérapie, est que de briser le silence demeure la première étape de la guérison. La deuxième escale de l’épopée vers le rétablissement est de trouver l’aide professionnelle qui nous convient afin de se sortir de cette zone tumultueuse.
J’avais peur. Si peur de revisiter le passé et de faire face à mes traumatismes. Pourtant cette crainte ne devrait pas exister. Car dire oui au rétablissement, à la consultation, c’était m’armer d’un guide qui m’a accompagné vers la liberté et la guérison. Je me suis libérée de ces nombreux boulets qui me gardaient prisonnière dans les couloirs sombres. J’ai défait les liens qui me retenaient dans la peine et la souffrance. J’ai choisi que le passé n’avait pas à définir qui je suis.
Madame Dépression est revenue de temps à autre pleurer dans le coin de mon oreille. Des déprimes passagères, oui, car les baguettes magiques appartiennent aux contes de fées. Ma thérapeute je la vois pour des tune up car, comme sur une voiture, il est primordial de faire des check up, et ce, bien plus souvent qu’à l’automne et au printemps. Je le vaux bien… Madame Dépression ne me visite plus depuis quelques années et mon sourire est présent avec honneur et dignité.
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Ingrid Falaise est une actrice québécoise de 35 ans. Le Monstre est un récit autobiographique sur les années où elle vécut de la violence conjugale. Écrit 16 années après les faits, ce livre retrace les 2 années qu’elle passa sous le joug de son ancien amoureux, un pervers narcissique.
Depuis Ingrid Falaise a repris sa carrière d’actrice et est devenue porte-parole de l’organisme SOS Violence conjugale.
Ressources sur le suicide
- Québec: 1-866-APPELLE (277-3553). Les CLSC peuvent aussi vous aider.
- Canada: Service de prévention du suicide du Canada 833-456-4566
- France Infosuicide 01 45 39 40 00 SOS Suicide: 0 825 120 364 SOS Amitié: 0 820 066 056
- Belgique: Centre de prévention du suicide 0800 32 123.
- Suisse: Stop Suicide
- Portugal: (+351) 225 50 60 70
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