Les anglophones de la Côte-Nord, une minorité en détresse?

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Les anglophones sont eux aussi victimes de la fracture économique du Québec, selon une étude. Et l’écart de richesse varie selon les différentes régions. Cet écart est particulièrement accentué chez les anglophones de la Côte-Nord.

« Ce rapport remet en question le mythe selon lequel les Québécois d’expression anglaise forment une communauté riche et homogène », explique Nicholas Salter, directeur général de la Table ronde provinciale sur l’emploi (PERT), qui a rédigé le rapport. Celui-ci s’appuie sur les données du recensement fédéral de 2016 ainsi que sur les données plus récentes de l’Institut de la Statistique du Québec.

L’étude révèle que dans la majorité des régions administratives du Québec, les Québécois anglophones ont un taux de chômage plus élevé que les francophones. « C’est particulièrement vrai sur la Côte-Nord, où le taux de chômage des Québécois d’expression anglaise est de 25,5 % en comparaison avec 11,8% pour les francophones », selon ce rapport. Les meilleures régions pour un anglophone en recherche d’un emploi sont le Saguenay-Lac-Saint-Jean et le Bas-Saint-Laurent.

De plus, les Québécois d’expression anglaise ont un revenu médian après impôt inférieur à celui des francophones et de la population totale. Les exceptions sont le Saguenay-Lac-Saint-Jean, la Mauricie et la Chaudière-Appalaches.

Et les Québécois anglophones ont particulièrement de la difficulté à s’intégrer économiquement dans les régions axées sur les ressources et la fabrication, comme l’Estrie, l’Abitibi-Témiscamingue, le Nord-du-Québec, la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine et les Laurentides. Leur taux de chômage est de 8,9 %, en comparaison avec celui des francophones de 6,9 %.

Le PERT est un organisme provincial indépendant qui a pour mandat de récolter des informations par rapport aux problèmes d’emploi et d’employabilité auxquels fait face la communauté anglophone. Il a été créé par le Secrétariat provincial aux relations avec les Québécois d’expression anglaise (SRQEA) et les Services à l’Emploi Jeunesse (YES) en 2020.

Raisons des écarts

Les Québécois d’expression anglaise éprouvent souvent des difficultés d’adaptation et de transition dans les milieux de travail francophones et ont besoin d’un soutien supplémentaire pour faire la transition vers le marché du travail.

Pour ceux qui recherchent une formation en anglais, les programmes ne sont pas toujours accessibles et ne sont généralement pas destinés aux personnes qui cherchent à entrer ou à progresser sur le marché du travail ou dans des secteurs spécifiques du marché du travail. Le français est la langue de travail au Québec.

Mme Rachel Hunting, ancienne directrice générale de l’Association des ‘Townshippers’, un groupe qui représente des anglophones des Cantons-de-l’Est, a déjà indiqué que les demandeurs d’emploi bilingues et hautement éduqués sont souvent attirés par des emplois mieux rémunérés à l’extérieur du Québec. Ceux et celles qui restent dans la région sont des jeunes anglophones n’ayant pas une bonne connaissance de la langue française. Certains trouvent un emploi dans le secteur des services qui paye moins que les autres secteurs.

Travailleurs saisonniers

Le fait que la Côte-Nord possède le plus grand écart entre l’employabilité des anglophones et des francophones surprend Jody Lessard, directrice générale du North Shore Community Association (NSCA). C’est l’organisme à but non lucratif qui représente les anglophones de cette région – la deuxième région la plus grande en superficie de tout le Québec. « Des sections de ce rapport me laissent perplexe. C’est un mystère. Nous ne le comprenons pas. » avoue-t-elle.

Chad Walcott, directeur d’engagement et communications pour le PERT, explique que traditionnellement, les anglophones de la Côte-Nord sont plus disposés à faire du travail à temps partiel et du travail saisonnier que les francophones. « 67,2% des anglophones travaillent à temps partiel dans la Côte-Nord, » il cite. Les anglophones de cette région travaillent une moyenne de 33,9 semaines par année, par rapport aux francophones qui travaillent 40,6 semaines par an. Un travailleur saisonnier va demander du chômage tout en sachant qu’il reprendra son travail à la prochaine saison. Cela pourrait expliquer une partie de l’écart entre les francophones et les anglophones quant au taux de chômage.

Cette tendance parmi les anglophones de la Côte-Nord, qui compose 5,7% de la population active, à faire du travail saisonnier et à temps partiel est aussi vrai dans la Gaspésie ainsi que sur les Îles de la Madeleine. « Ils vont travailler dans les mines et sur les bateaux de pêche quelques semaines, puis ils retournent chez eux, » explique Walcott. « Dans la MRC du Golfe de St-Laurent, avec la plus grande concentration des anglophones de la Côte-Nord, ils sont lourdement engagés dans la construction et la pêche. C’est culturel. »

Mme Lessard souligne que sa région comprend beaucoup d’industries majeures qui n’ont pas leur siège social au Québec. « Nous avons deux fonderies d’aluminium et d’autres industries lourdes dans notre région. Nous avons aussi deux grands ports. On pourrait penser que les gens ont tendance à travailler en anglais dans ces industries qui payent bien. D’ailleurs, la plupart des dirigeants de ces compagnies ne sont même pas au Québec et sont probablement eux-mêmes anglophones. » Elle s’étonne donc de savoir que les anglophones sont si peu employés.

Son organisme à but non lucratif a lancé une étude du marché de travail afin de comprendre pourquoi le chômage est aussi important parmi les anglophones de la Côte-Nord, en raison de la présence de deux villes importantes en termes d’activités économiques, Baie-Comeau et Sept-Îles.

Villages isolés

« Il y a quelques villages isolés où les habitants sont majoritairement anglophones », dit-elle. « De tout petits villages. Beaucoup de travailleurs saisonniers, et des anglophones qui ont tendance à quitter la province pour travailler, la plupart dans le secteur de construction. »

De plus, elle note un manque d’habileté en français écrit même parmi ceux qui parlent bien la langue, ce qui veut dire qu’ils ne peuvent pas occuper des postes qui exigent une bonne maîtrise du français écrit.

Et le plus important est qu’il existe « un manque de conscience des opportunités. Nous utilisons Service Canada car leur documentation est disponible en anglais… Les anglophones ne profitent pas de Services Québec ou d’Emploi Québec qui ne sont pas visibles parmi les Québécois anglophones. »

Madame Lessard aimerait voir la NSCA travailler afin de rendre les opportunités d’emploi et des services « plus visibles » pour les citoyens anglophones de sa région.

Elle constate qu’on « ne voit pas beaucoup d’anglophones occuper des positions dans la fonction publique fédérale ou provinciale ici ». Même constat dans le secteur de la santé, qui demande que tous ces travailleurs soient bilingues. « Nous pourrions peut-être augmenter nos formations en français », avance-t-elle. Les anglophones de sa région ont tendance à plutôt travailler « dans la vente au détail, la restauration et dans des hôtels. L’entrepreneuriat n’est pas quelque chose qu’on voit souvent ici… Dans les emplois bien rémunérés en général, on ne voit pas d’anglophones. Il faut se demander pourquoi. »

Un impact positif de la pandémie de la Covid-19 pour la Côte-Nord a été une augmentation du tourisme, « car nous étions encouragés à voyager au Québec. Avant, la destination la plus prisée était la Gaspésie. Tout le monde voulait y aller. Mais la Gaspésie a trop de touristes maintenant. On a vu beaucoup de touristes qui venaient plutôt ici pour faire de la pêche. Ça va générer de l’emploi. Davantage de postes bilingues dans les secteurs où il faut parler l’anglais, sont disponibles. »


Covid et emploi

La Covid a changé beaucoup de choses sur le plan d’emploi. Selon l’Institut de la statistique du Québec, le taux de chômage des deux plus grandes régions du Québec prises ensemble (La Côte-Nord et le Nord du Québec) est de 4,2% au mois de mai 2022 en comparaison à 7,6% 2020. Pour connaître l’écart entre les anglophones et les francophones, il faut attendre les statistiques du recensement de 2021, dit Chad Walcott du PERT.


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