Par Raymond Viger | Dossiers Politique et Environnement
Au départ, l’entreprise d’automobile créée par Henry Ford avait comme objectif de motoriser les populations rurales. Un objectif atteint dès 1920. Les manufacturiers automobiles se seraient-ils limités à cette finalité ? Sûrement pas. Prendre de l’expansion est sain et louable pour une entreprise. Mais les moyens utilisés pour y arriver étaient-ils socialement acceptables ?
À cette époque, la ville n’était pas invitante pour l’automobile : pas d’espace de stationnement, déplacements limités à 20 km/h, encombrement par les chevaux, les tramways… De plus, les villes d’importance possédaient déjà un système de transport urbain adapté à la ville avec des tramways de surface et pour les grandes villes, des métros souterrains.
Alfred P. Sloan, PDG de General Motors de 1923 à 1956, lance son cri de guerre : « Faisons disparaître le tramway ! ». Sloan crée un groupe de travail dont la mission est de concevoir une stratégie visant à remplacer les tramways électriques d’abord par des autobus à essence. Puis, en discréditant le transport en commun, les manufacturiers ont vendu des automobiles comme étant le moyen d’assurer de bons déplacements dans les centres urbains. Une stratégie qui durera jusqu’en 1960.
L’élimination du tramway
Les États-Unis comptaient 1 200 sociétés de transport par tramway avec 70 000 kilomètres de voies, employaient 300 000 travailleurs et transportaient 14 milliards de passagers par année.
L’achat et le démantèlement des petites sociétés de tramway ne posent pas de problème pour GM. Les grands réseaux, tels la New York Railway ou la Los Angeles’ Pacific Electric, étaient plus difficiles à acquérir. S’il ne parvenait pas à les éliminer, la stratégie de faire disparaître les tramways était vouée à l’échec.
Pour y arriver, GM découvre que les propriétaires de ces réseaux, les sociétés productrices d’énergie électrique, se servent de leurs sociétés de tramway, peu rentables, pour compenser les profits générés par la vente d’énergie et ainsi ne pas payer d’impôt.
Au début des années 1930, GM dénonce cette pratique en montrant les pertes fiscales que l’État subissait. Le Congrès adopte alors une loi interdisant aux compagnies énergétiques d’être propriétaires de sociétés de tramways, ne leur laissant d’autres choix que d’accepter de vendre à rabais à GM. En 18 mois, les 150 km de voies du tramway de Manhattan sont démantelés. C’est la fin du réseau new-yorkais de transport en commun.
Pour camoufler ses acquisitions et les démantèlements en série des réseaux, General Motor fonde en 1936 une société écran, la National City Lines (NCL). Pour brouiller ses détracteurs, la NCL avait créé de nombreuses autres entreprises dont chacune prenait charge d’une partie du territoire américain. Une alliance est créée avec la société pétrolière Standard Oil et le fabricant de pneus Firestone.
Résultat : plus d’une centaine de réseaux de tramway dans une soixantaine de villes ont disparu. Pour ces gestes antisociaux, en avril 1949, un jury fédéral déclare GM coupable de complot avec Standard Oil et Firestone Tire. Ils héritent d’une amende de 5 000 $ US. Le trésorier de GM est aussi reconnu coupable et reçoit une amende d’un dollar.
Les tramways à Montréal
Le 19 mars 1946, le président de la Compagnie des Tramways de Montréal, Robert Watts, soulevait le problème de l’encombrement de la circulation automobile à Montréal. Une époque où les tramways accueillaient 1 200 000 voyageurs par jour, soit 398 349 773 passagers par année. Robert Watts questionnait la Ville qui n’avait renouvelé aucun véhicule de sa flotte de tramways depuis la fin de la guerre. En 1959, Montréal voit disparaître ses derniers tramways.
La crise du pétrole
Pour réduire la consommation d’essence, le 2 janvier 1974 Richard Nixon limite la vitesse des automobiles à 55 miles à l’heure. Avec des véhicules qui consomment 17,4 litres/100 km, l’efficacité de cette mesure est tout de même limitée.
Nixon force l’industrie à produire des véhicules moins énergivores. Il fait adopter la norme CAFE (Corporate Average Fuel Economy) qui oblige les fabricants à mettre en marché des véhicules dont la consommation serait graduellement réduite, jusqu’à atteindre 8,6 litres/100 km dans les années 1980. Malgré une augmentation de 35 % du nombre de véhicules sur les routes, les Américains avaient réussi à réduire leur consommation de deux millions de barils par jour.
Les constructeurs ont mené des recherches pour réduire la consommation et ont présenté des prototypes pouvant atteindre jusqu’à deux litres aux 100 km avec des technologies conventionnelles, sans hybridation ni électrification. Le modèle Renault Vesta 2 faisait en 1987 : 1,94 litres aux 100 km.
Ces travaux n’ont eu que peu d’impact sur les véhicules de série qui ont continué de s’alourdir pour satisfaire les normes de sécurité et assurer plus de performance et de confort pour les usagers.
L’industrie automobile américaine était sur le bord du gouffre, à toutes fins utiles en faillite. Elle avait dû construire des véhicules plus petits, ce qu’elle ne savait pas faire. Les fabricants japonais leur ont ainsi ravi plus de 20 % du marché.
Le président Ronald Reagan, entré en fonction en janvier 1981, vient au secours de l’industrie : la norme CAFE est suspendue. Il estime trop élevé le prix à payer pour diminuer notre dépendance au pétrole. Pendant ce temps, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole en profite pour jouer avec les prix et empocher des milliards en profit.
Une des solutions vertes pour aider la planète est de garantir aux métropoles un meilleur transport en commun. Et voilà qu’on les achète pour les fermer !
Les gouvernements sont-ils impuissants devant les différents lobbyings ?
La voiture électrique
Le premier modèle de véhicule électrique commercialisé date de 1852 ! L’arrivée des batteries rechargeables en 1859 et leurs améliorations en 1881 permettront à la voiture électrique de prendre son essor. En 1899, 38 % du marché américain de l’automobile est électrique. En 1920, la voiture électrique tombe malgré tout dans l’oubli devant l’arrivée du modèle T de Ford.
C’est à partir de 1966 que la pollution, suivie des soubresauts de l’approvisionnement en pétrole, ravive l’intérêt pour les véhicules électriques.
La Californie a été, de longue date, exemplaire dans son effort pour réduire la pollution de l’air. En 1990, la Californie oblige chaque constructeur automobile à mettre sur le marché 2 % de véhicules verts, à émanation zéro, pour être autorisé à commercialiser ses autres voitures. Pour se plier à cette obligation, GM avait développé un véhicule électrique, le EV-1, et Ford, la Think.
GM et Ford, associés aux grands du pétrole, contestent le droit pour un simple État d’édicter une telle obligation. Avec l’arrivée au pouvoir de George W. Bush, la cour fédérale invalide cette loi. En 2003, la Californie retire sa loi du Zero Emission Vehicle. Malgré des listes d’attente de clients et un retour positif des locataires, GM annonce en novembre 2003 le rappel des quelques 1000 EV-1 qu’elle offrait en location, dans le but de les détruire. Quelques mois plus tard, Ford faisait de même.
Où en serions-nous rendus si GM et Ford n’avaient pas abandonné les voitures électriques ? Peut-on accuser GM, Ford et les autres entreprises de collusion avec les pétrolières ? Peut-on considérer Ronald Reagan et George W. Bush complices des constructeurs automobiles et des pétrolières ?
– Ce texte est un extrait du livre Regard vers le futur, publié aux Éditions TNT.
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