Un Texte de Marlen Leclerc Cantin
Une rampe d’abcès pour les démunis
Et quelques plaies pour les sans-abri
Il y a le farcin qu’on devrait frotter
Et pire, la gale qu’il faudrait traiter
Qu’est-ce que tu vois que je ne vois pas?
Il est 5 heures et le quêteux vient d’arriver
Il s’est assis là tout bien campé
C’est son chez-lui , qu’on se le dise
Tout près du parc et de l’église
Qu’est-ce que tu vois que je ne regarde pas?
Pour la plupart, il n’a ni visage ni prénom
Certains habitués lui font un don
Un pourboire à la vie venant du cœur
Une façon de prier avec ferveur
Qu’est-ce que tu vois que je ne ressens pas?
Une valise ouverte pour les offrandes
Et au travers quelques amendes
Chacun donne selon sa propre valeur
Chacun réconforte son petit malheur
Qu’est-ce que tu vois que je ne revendique pas?
Que ce soit pour un sandwich ou un café
Un peu d’alcool pour se réchauffer
À qui bon de juger ou de questionner
L’aumône est un acte de charité
Qu’est-ce que tu vois que je ne comprends pas?
Madame hautaine traverse la rue
Pour l’éviter et ne pas être vue
Elle préfère donner un chèque à la paroisse
Ça trouble moins toutes ses angoisses
Qu’est-ce que tu vois que je ne saisis pas?
Derrière elle, portant son habit de pingouin
Qui vient à peine de tourner le coin
Sans regard, il lui déverse tout son mépris
À sa galerie d’art, il est reparti
Qu’est-ce que tu vois que je ne sens pas?
Un gamin et sa mère qui lui tient la main
Donne son foulard et fredonne un refrain
Il comprend que le monsieur a déjà froid
Et dans son cœur tout un émoi
Qu’est-ce que tu vois que je ne dis pas?
Les cheveux gris et les ongles jaunis
Le vieux ramasse toutes ses économies
Les grands esprits qui se rencontrent
N’ont pas fini de rendre des comptes
Qu’est-ce que tu vois que je ne raconte pas?
Oliver enseignait la philosophie
Il a choisi l’école de la vie
Deux enfants, une femme et du crédit
Il a pris la porte et est parti
Qu’est-ce que tu vois que je n’entends pas?
C’est l’angélus et les cloches sonnent
Deux-trois y assistent et se pardonnent
Des passants arrêtent et certains ignorent
La valise ouverte et le vieillard qui dort
Qu’est-ce que tu vois que je ne touche pas?
Un bruit, et Oliver vient de se réveiller
Dans le fond d’un verre, reste une gorgée
D’un café froid ou il va ajouter
Un peu d’eau pour mélanger
Qu’est-ce que tu vois que je ne partage pas?
Sa journée va bientôt se terminer
À peine quelques dollars récoltés
Au parc il va retourner se loger
Avec sa couverture pour se réchauffer
Qu’est-ce que tu vois que je ne redoute pas?
Angèle qui fait la rue et les clients
Viendra lui offrir bien tendrement
Un peu d’alcool et un restant de repas
Qu’avec son vieil ami elle partagera
Qu’est-ce que tu vois que je ne goûte pas?
Frileux et orgueilleux, il acceptera
Et doucement il lui offrira
Le foulard de laine et un sourire
Tout édenté, c’est ça le pire
Qu’est-ce que tu vois que je ne devine pas?
À la pénombre, Gilles reviendra
Avec sa guitare sous le bras
Quelques accords pour achever
Une autre soirée bien méritée
Qu’est-ce que tu vois que je ne fredonne pas?
Sur un tapis de feuilles il a installé
Son sac de couchage pour sa tant aimée
De ses doigts jaunis et un peu de vernis
Elle caressera la joue de son meilleur ami
Qu’est-ce que tu vois que je n’éprouve pas?
Dans ce parc des mal-aimés
Julien s’y joindra avec ses dix-sept années
Son bâtard montera la garde
Pour qui, la nuit, s’y hasarde
Est-ce que tu vois …. que je ne pleure pas?
….