Un texte de Jean-Paul Daoust | Dossier Culture
Jean-Paul Daoust, un des plus grands poètes québécois vivants, nous parle de tolérance et de guerre à travers ses écrits.
Jean-Paul ne pratique pas la poésie comme un hobby. C’est son souffle vital, sa raison de vivre. Un poète impliqué qui ne refuse jamais une présence sur scène, peu importe la grandeur de celle-ci.
Auteur prolifique, il a publié près d’une soixantaine de recueils de poésie et deux romans. Il a collaboré à de nombreuses revues de poésie. Chroniqueur de poésie pour Télé-Québec, puis Radio-Canada.
Lauréat du prix littéraire du Gouverneur général du Canada ainsi que du Grand Prix Quebecor du Festival International de la Poésie de Trois-Rivières.
Tolérance : Attitude qui consiste à admettre chez autrui une manière de penser ou d’agir qui est différente de celle qu’on adopte soi-même.
– Le Petit Robert
Ode Tolérance
Le verbe tolérer est insidieux
Comme si du bout des lèvres on permettait
On donnait le droit
Tolérer
Ce verbe faussement chic
Entre les parenthèses des commissures
Où se faufile le mépris
Comme si en prononçant ce mot-là
Nous prenions un air de supériorité
La tolérance est mieux que la guerre
C’est évident
Mais je dis que ce mot-là en cache un autre
Qu’il maquille une vérité que l’on veut dissimuler
Celle de se croire dans la vérité
Par rapport aux êtres ou aux choses que l’on tolère
Ou certaines actions qui nous sont rébarbatives
Ainsi certains tolèrent les Noirs les Arabes les gays
Mais un immense fossé sépare les mots tolérer et accepter
Il n’y a pas de tendresse dans le mot tolérer
Sinon une forme de politesse forcée
Genre vous savez je ne suis pas d’accord
Mais ma grandeur d’âme me permet de passer outre
Le mot tolérer est à double tranchant
On fait semblant d’accepter
Mais en son for intérieur on refuse
Cette différence qui marque l’espace de l’autre
Qui est son territoire
Que le mot tolérer stigmatise
Et si la différence faisait aussi partie de notre ADN
Nous définissant plus sûrement que nos ressemblances
Le mot tolérer n’est pas un mot généreux
En fait il est mesquin
Il y a une touche d’impatience dans ce mot
Comme si l’on pardonnait une faute
Un état d’être
Que si on le voulait on pourrait l’interdire
Et il n’est pas fiable
Par exemple le seuil de tolérance
On sait qu’il s’atteint vite celui-là
On devine une menace dans ce mot
Qui ne contient aucun respect
La tolérance a souvent pour toile de fond la guerre
Elle mime un duel
Alors la prochaine fois que vous prononcerez le verbe tolérer
Voyez donc dans quel contexte vous l’utilisez
Il pourrait s’avérer que ce mot-là soit une arme
Qui tue l’autre plus efficacement qu’une balle
Car en le tolérant vous l’ignorez
Vous n’allez pas vers lui
Vous passez par-dessus
Vous l’enjambez
Et vous manquez ainsi une formidable richesse
Le mot tolérer est bon pour la douleur
Pour faire semblant de l’apprivoiser
Tolérer est tellement loin du verbe aimer
Tolérer est parfois l’ombre du verbe haïr
Ainsi on tolère le froid
Pour ne pas dire qu’on le déteste
Un détenu tolère son cachot
Puisqu’il n’a pas le choix
Examinez ce que vous tolérez
Et vous serez peut-être surpris
De découvrir ce qui se cache
Derrière ce mot-là
Lorsque l’orgueil va devant, honte et dommage le suivent.
– Le roi Louis XI
Ode guerre
Depuis des temps immémoriaux les humains
Se font la guerre pour toutes sortes de raisons
Toutes meilleures les unes que les autres
Se disent-ils en s’entretuant
Ah ! ce que l’humain peut faire subir à son semblable
Recèle d’une cruauté sans nom
Et l’épithète inimaginable
Que je pourrais utiliser ici
Ne me serait d’aucun recours
Tant les manières pour torturer
Dépassent et de loin les frontières de l’imagination
Comme quoi le génie créateur de l’Homme
Pour faire souffrir est à en vomir
La guerre pour prendre un coin de terre
Pour assoiffer la soif insatiable de pouvoir
D’un égo démesuré à la Alexandre
Le Grand César, Louis XIV, Napoléon, Hitler et tant d’autres
Maintenant Poutine
Ne cessera donc jamais
Tous ces massacres qui ne cessent de se répéter
Dans l’Histoire sanglante de l’humanité
Telle une litanie monstrueuse orchestrée
Par Satan lui-même
Entrer en guerre n’est jamais une solution
Si ce n’est pour avoir la paix
Comme le dit le célèbre proverbe
Si vis pacem, para bellum
La guerre qui fait rage actuellement dans tant d’endroits
Semant la désolation la famine le désespoir
Le soldat qui exécute l’autre soldat
Qui torture et assassine le civil innocent
Caïn n’en finira donc jamais de tuer Abel
Tous ces milliards dépensés en vain
Qui auraient pu servir à améliorer le sort
De tant de gens
Voici les dépenses de quelques guerres
Qui donnent le vertige
La guerre au Vietnam aurait coûté 494 milliards
La guerre en Irak 60 milliards
Et celle de 1914 340 milliards
Selon Jean Bacon l’humanité
De 1496 avant Jésus-Christ
Jusqu’en 1961 de notre ère
Seulement 219 années de paix relative
Ont pu être comptabilisées
Donc sur 3358 années
Il y a eu 3139 années de guerre
Quel tableau édifiant !
Des armes de plus en plus sophistiquées
De plus en plus puissantes cruelles
Quelle ironie de penser qu’en avril 1139
L’Église catholique prohibe l’usage de l’arbalète
Alors vue comme une arme de destruction massive*
L’ancêtre du nucléaire quoi !
La grande perdante de toute guerre : la vérité
Un monde en paix relèverait-il de l’utopie ?
Un poète découragé de son espèce
Se désole de plus en plus
Saturé de nouvelles affreuses et humiliantes
Tant il a honte d’être Humain
Comme il envie le papillon
Qui enfin sorti de son cocon va en toute liberté
Ivre de lumière
Nous pourrions pourtant faire de même
Nous en avons les moyens
La Terre se vengera de nos démesures
De la race vivace hélas ! des tyrans
Après Caligula il y a eu Néron
Et la roue maléfique de tourner et de tourner
Broyant les espoirs des anges
Un poète se souvient
Qu’au fond de la boîte de Pandore
Gît toujours l’espoir que l’on pourrait aider
À prendre son envol
Ce poème ne serait plus alors
Qu’un passé définitivement révolu
*Références prises dans un article de Jean-François Nadeau, Le Devoir, 21 mars 2022.
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