Par Célie Dugand et Colin McGregor
Dossier Décrochage
Croyez-vous aux études qui disent que 20% des itinérants au Canada ont entre 13 et 25 ans ? Et ce même si on ne les voit pas dans la rue tous les jours.
C’est le pourcentage rapporté par Sans Domicile, une étude menée par l’Observatoire canadien sur l’itinérance, qui maintient qu’en ce qui concerne l’itinérance chez les jeunes, nous attendons beaucoup trop longtemps pour intervenir.
Mais on ne les voit pas aussi souvent, les sans-abri jeunes. Les itinérants les plus visibles le jour sont des adultes en situation de précarité, endormis sur un banc de parc, ensevelis dans une tente de fortune, ou mendiant dans une station de métro. Où sont les jeunes ?
« Oui, absolument, je crois en cette statistique, le 20% » affirme Cécile Arbaud, directrice générale de Dans la rue depuis 2013 – un organisme qui vient en aide aux jeunes sans-abri depuis plus de 30 ans dans le secteur Centre-Sud de Montréal. « Quand on parle d’itinérance, on ne compte pas l’itinérance cachée. Il n’y a pas mal de jeunes qui ne s’identifient pas comme itinérants. Ils vivent dans des conditions non sécuritaires, les jeunes femmes en particulier. Ils ne se présentent pas dans les services et certaines personnes ne savent pas qu’il y a des endroits où ils peuvent aller. »
Ils sont souvent invisibles parce que : « il y a des logements de transition, ils vivent à plusieurs dans les appartements, ils vont dans les organismes, ils vont à l’école, ne passent pas leurs journées dans la rue » explique Mme Arbaud.
Les chiffres sont toujours stupéfiants : Parlant des jeunes qui sont sans-abri (13-24 ans), au cours de l’année, il y a entre 35 000 et 40 000 jeunes qui vivent l’itinérance au Canada, et sur n’importe quelle nuit entre 6 000 et 7 000. Parmi eux :
– 29,5 % sont les jeunes LGBTQ2S
– 30,6 % sont les jeunes autochtones
– 28,2 % sont les jeunes de minorité raciale
« C’est sûr que les jeunes ne s’identifient pas à la population des itinérants. La façon d’aborder des choses différemment, » explique Mme Arbaud. « Ils vivent dans la transition physique, cognitive et émotionnelle. Ils sont exclus de leurs familles suite à des choses qui leur ont déplu. Donc ils n’ont pas d’affiliation sociale avec une famille – ils vivent la quête de l’identité. »
« C’est une exagération de dire qu’ils sont tous exploités, mais plusieurs le sont, » dit Mme Arbaud. Le crime organisé peut recruter des filles pour la prostitution et les garçons pour la vente des stupéfiants.
Dans la rue est exclusivement pour les jeunes. Ils ont un programme d’école et un programme d’employabilité. Il y a une centaine d’organismes au Canada qui traitent exclusivement des jeunes en précarité, nous dit Mme Arbaud.
Mais dans de nombreuses juridictions, les services destinés aux jeunes sans-abri ne sont pas disponibles avant l’âge de 16 ou même 18 ans. Les preuves suggèrent qu’à ce moment-là, beaucoup de dégâts ont déjà eu lieu.
Selon l’étude de l’Observatoire canadienne sur l’itinérance, pour de nombreux jeunes, leurs premières expériences d’itinérance se produisent bien avant qu’ils puissent avoir accès aux interventions et aux différents soutiens.
Chose frappante, 40,1 % des itinérants avec lesquels l’Observatoire a parlé ont rapporté avoir eu moins de 16 ans lorsqu’ils ont connu leur première expérience d’itinérance. Donc, les problèmes commencent souvent à un très jeune âge. Une autre étude menée par une équipe dirigée par Martin Goyette, professeur à l’École nationale d’administration publique (ENAP), révèle que 33 % des jeunes qui sortent d’un placement avec la DPJ connaissent au moins un épisode d’itinérance avant l’âge de 21 ans.
« Notre rapport montre que 53 % des jeunes qui sont en situation d’itinérance indiquent avoir eu un problème important de santé mentale dans la dernière année, » dit le Dr Goyette, coauteur de l’étude Itinérance, judiciarisation et marginalisation des jeunes ex-placés au Québec. « Pour ceux qui sont en stabilité résidentielle, ce n’est qu’un peu plus de 30 %. »
« Ils ont vécu beaucoup de traumatismes – anxiété, dépression. Ils ont beaucoup de choses à régler, ils ont des habiletés à développer eux-mêmes, » dit Mme Arbaud. « Si on est en instabilité de logement, c’est très difficile de reprendre le contrôle sur sa vie, d’aller à l’école, de trouver un emploi, de régler ses problèmes de santé mentale. »
Les jeunes qui quittent la maison à un plus jeune âge vivent non seulement davantage de difficultés avant qu’ils deviennent des sans-abri, mais ils connaissent également plus d’adversité une fois à la rue.
« Il n’y a, à travers le pays, pas beaucoup de choses pour les moins de 16 ans, » avoue Mme Arbaud. « Notre organisme parfois entame un hébergement d’urgence pour les moins de 16 ans, mais c’est à titre exceptionnel, car pour ça il faut une permission spéciale. Il y a un protocole avec la protection de la jeunesse (DPJ) et la police, car ils sont souvent déjà dans leur système. S’ils ont entre 16 et 18 ans, on peut les héberger dans notre centre de jour. »
Avec toutes les preuves de l’importance des premières années de l’adolescence pour le reste de notre vie, ne devrions-nous pas trouver un moyen d’aider les moins de 16 ans avant qu’il ne soit trop tard pour eux ?
Illustration: Laetitia Géraud
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