Par Raymond Viger
Dossier Culture
Danielle et moi décidons de réaménager notre intérieur. Je n’ai pas encore d’idées. Internet nous présente des tables rivières construites en Asie. Nous privilégions l’achat local. Après quelques recherches, nous trouvons dans notre région trois artisans spécialisés dans ce type de réalisation.
L’adresse en main, nous nous dirigeons vers l’atelier des Coupeurs des Bois. Pas facile à trouver. Les numéros de porte du boulevard Samson sont mal indiqués. Obligés de revenir sur nos pas, nous constatons que l’adresse se trouve entre deux immeubles. Sans trop savoir où nous nous dirigeons, nous décidons d’aller explorer une grande série de bâtiments. Nous cherchons le local O.
Les premiers entrepôts n’ont aucune identification. On observe ensuite quelques lettres qui nous laissent supposer que nous devrions atteindre notre objectif. Une affiche nous signale que c’est un terrain privé… Défense de passer !!! Je ne me résigne pas à quitter les lieux sans aller au bout de l’aventure. Après quelques centaines de pieds supplémentaires, on y arrive malgré tout.
Les Coupeurs des Bois
Nous sommes accueillis par Tristan Tremblay. Hyper sympathique et dynamique, affichant un sourire sincère et qui transpire la joie de vivre, il nous présente avec amour ses créations : ses tables rivières. Il ne parle pas comme un vendeur mais comme un passionné. Un artisan qui aime ses œuvres et qui veut les partager. Il ne veut pas te les vendre, il veut te les faire aimer comme lui les aime.
Danielle et moi sommes enchantés par tout ce que l’on voit et cette relation entre Tristan et ses tables. Nous décidons d’en acheter une. Pendant la discussion, nous avons tranquillement fait notre choix sur ce que nous voulions. Mais une surprise nous attendait encore. Tristan nous invite à choisir le bois qui sera utilisé pour créer notre table. Notre choix se porte très vite sur un grand érable à sucre. Nous traçons le contour de notre future table. Nous l’agençons avec un deuxième morceau pour créer encore plus de profondeur à cette rivière qui va couler dans notre nouvelle cuisine. Nous participons à la création de la table.
Passons au délai de livraison maintenant. Cinq à six mois. Tristan nous explique qu’ils ont reçu une commande de 14 tables pour un restaurant en Côte d’Ivoire. Surprenant pour des artisans du fond de nulle part qui ont réussi à se faire connaître aussi loin.
Danielle et moi avons bien rigolé tout au long de cette rencontre. Avant de sortir, je regarde un démonstrateur. Je lance à la blague à Tristan :
– Et ça c’est la table que tu vas nous prêter en attendant pour qu’on puisse recevoir nos familles pour les Fêtes?
Il me répond tout sérieusement :
– Aucun problème, nous pouvons te la livrer la semaine prochaine.
Il m’explique que régulièrement ils prêtent des tables. Les délais de livraison imposés par leur popularité les obligent à accommoder leurs clients qui n’ont pas de tables. Et pas question de prêter une table, bas de gamme. Tu achètes une table rivière ? On te prête une table rivière.
La source
Quand Tristan a acheté sa maison, il avait besoin de meubles. Il demande à son grand ami, Mathieu Cummings-Gagnon, de l’aider à les fabriquer. Les deux comparses ont pu expérimenter la création de différents meubles pour habiller toute la maison. Fabriquer des meubles ensemble est vite devenu une passion, un plaisir insatiable. Mais quand la maison est déjà pleine de meubles sur mesure, qu’est-ce qu’on peut faire pour continuer à vivre sa passion? On en vend à des parents, des amis. Et bientôt le malheur arrive. En partageant des photos de leurs créations sur leur page Facebook, les commandes affluent de partout. Même de l’Afrique !
En diffusant simplement quelques réalisations par mois sur leur page Facebook, ils en sont arrivés à avoir près de 30 000 abonnés qui admirent leurs œuvres.
On pourrait aisément penser qu’ils ont ouvert une grande usine avec 30 employés fabriquant en série les tables. Mais non. Mathieu et Tristan ont encore chacun un emploi à plein temps. Des postes de direction. Un salaire qui leur permettrait de se la couler douce sans s’obliger à passer leurs soirées et leurs week-ends dans leurs établis.
Ils aiment bien cette double vie. Ils n’ont pas l’intention de consacrer toute la semaine à faire des tables à répétition. Ils risqueraient d’y perdre leur passion et le plaisir de les fabriquer. Ils ont choisi d’être et de demeurer des artisans. Créer une table rivière ne doit pas être un simple travail. Cela doit demeurer une passion.
Le processus
Ils ont développé une excellente relation avec leurs fournisseurs. Des émondeurs travaillent avec eux. Quand ils sont appelés pour abattre un arbre qui pourrait s’avérer intéressant pour Mathieu et Tristan, les deux compères reçoivent une photo et une description de l’arbre. S’ils achètent l’arbre, ils envoient une remorque le ramasser et le livrer à une entreprise qui en fera des coupes.
Ce sont des arbres qui devaient être abattus. Les coupeurs des bois ne coupent pas des arbres sains. Ils récupèrent des arbres malades en leur donnant une deuxième vie. Les tranches d’arbres vont sécher à l’extérieur pendant tout l’été. Ils finiront leur séchage pendant une année complète dans l’atelier. Entre l’abattage de l’arbre et la livraison d’une table rivière, c’est un minimum de deux années qu’il faut compter ! On peut comprendre la relation qui s’établit entre l’artisan et cette planche de bois pendant tout ce temps.
Dans toutes les directions
Les premières tentatives n’ont pas toujours été financièrement rentables. Mais ils ont vite appris comment se démarquer. Ils ont su relever toutes sortes de défis. Dans un sous-sol pour barbier, une grande bibliothèque s’ouvre comme dans les films d’espionnage en tirant sur un livre. Imaginez le poids de cette bibliothèque et l’installation particulière qu’il faut créer pour la faire tenir dans un vieux mur de pierre qui s’effrite… Des handicaps auxquels il faut bien réfléchir pour finaliser une œuvre des plus originales. Des portes coulissantes en époxy et en bois, ou encore une table conférence de 10 pieds de longueur livrée avec une grue au 7e étage d’un immeuble. Des réalisations qui provoquent des montées d’adrénaline à coup sûr.
Autant Mathieu que Tristan travaillent tout le temps. Mathieu ne voit souvent son grand ami Danny qu’au moment où il l’appelle pour faire la livraison d’une table avec lui.
Devant la satisfaction du travail accompli, Mathieu prendra des dizaines de photos et plusieurs vidéos de la table qu’il vient de livrer. Comme s’il avait un deuil à faire. Un instant de rupture et de séparation de cette table qui l’a habité pendant deux années. Une livraison chez un couple qui a décidé d’adopter cette table et d’en prendre soin.
Ce n’est pas une table que vous achetez, c’est une expérience que vous vivez. Une passion que Tristan et Mathieu partagent en donnant des formations sur l’art de créer votre propre table. En plus de vous offrir leurs expériences, ils fournissent les produits dont vous aurez besoin pour y arriver.
https://www.coupeursdesbois.ca/ https://www.facebook.com/lescoupeursdesbois
L’histoire de cette table
Quand nous avons reçu notre table, Danielle et moi avons été et sommes encore sous le charme. Nous avions sélectionné notre bois pour créer un effet trois dimensions. Tristan nous raconte l’histoire peu banale de cette tranche de bois particulière qui a servi à la création de notre table.
Le billot a toute une histoire ! Lors de son abattage, voyant que le bois avait l’air très magané et aucunement sain, le propriétaire avait décidé de le couper en bûches. Antoine, propriétaire d’une grosse scierie dans les Cantons-de-l’Est, l’a vu couché à terre et l’a trouvé très intéressant. Il est allé voir le propriétaire et l’a acheté.
Lorsqu’il l’a scié en tranches, Antoine m’a tout de suite appelé en me disant que je ne pourrais pas croire ce qu’il venait de scier. Ce gars-là voit des centaines de tranches d’arbres par semaine. Pour qu’il prenne le temps de m’appeler, la voix émue, faut vraiment que ça soit un phénomène de la nature !!!
Il m’a envoyé des photos. Sans aucune hésitation, je lui ai dit que je prenais l’arbre au complet. Au lieu de chauffer quelques foyers et de disparaître à tout jamais, cet arbre va être figé dans le temps pour que des familles prennent plaisir à manger avec lui des décennies durant. Je trouve que c’est toute une belle série d’évènements improbables qui mènent à quelque chose d’extraordinaire.
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