Par Colin McGregor | Dossier Milieu carcéral
J’errais solitaire nuage,
Qui vogue haut sur monts et vaux…
– William Wordsworth
On m’a demandé d’écrire un article sur ma première année dans un appartement, en pleine liberté conditionnelle, après 29 ans de prison et un an et demi dans une maison de transition.
En prison, après plus de deux décennies dans des établissements à sécurité moyenne, j’ai passé cinq ans dans des établissements à sécurité minimale, des prisons sans clôture, avant d’obtenir une libération conditionnelle. Pendant certaines de ces années, j’ai eu accès à des laissez-passer pour le monde extérieur, des laissez-passer journaliers – ce qui signifiait que des parties de plus de 300 jours passés à faire du service communautaire ou à assister à des événements d’auto-amélioration.
J’ai assisté à des réunions en douze étapes et à des services religieux, ramassé des ordures sur les bords d’autoroutes, peinturé les murs, aidé une banque alimentaire à distribuer de la nourriture, et d’autres fonctions. J’ai effectué toutes ces sorties d’une journée sans incident, tout en continuant d’enseigner et de faire du tutorat à l’école de la prison, et d’écrire pour Reflet de Société et The Social Eyes.
C’est quoi ça?
Je me souviens encore de ma première sortie de prison depuis plus de deux décennies, comme si c’était hier. C’était une journée froide et ensoleillée d’hiver. Je suis allé au bazar d’une église pour passer la serpillière et nettoyer les étagères. Ce qui m’a le plus surpris, c’est tous ces gens qui traînaient un petit rectangle noir, parlaient dedans, le chatouillaient, comme si leur vie en dépendait.
Maintenant que j’ai un téléphone cellulaire, je comprends pourquoi. C’est la plus grande différence entre le monde de 1991 et le monde d’aujourd’hui.
Ayant obtenu la semi-liberté, j’ai ensuite passé un an dans une maison de transition, et j’ai cherché un emploi. J’en ai trouvé au Café Graffiti. La commission des libérations conditionnelles a été suffisamment impressionnée pour me laisser avoir mon propre appartement, ce qui m’a permis de passer cinq nuits par semaine dans mon appartement dans Hochelaga-Maisonneuve et deux jours par semaine à la maison de transition de Mercier, à quelques stations du Métro.
Cela a assez bien fonctionné, et je n’ai pas été viré du Café Graffiti, alors j’ai obtenu une libération conditionnelle totale. J’avais franchi un autre obstacle, et c’est ainsi que fonctionne le système de libération conditionnelle. Une étape à la fois.
Maintenant, en tant qu’homme purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité, je ne serai jamais en liberté totale. Je devrai toujours voir un agent de libération conditionnelle et un psychologue et leur dire ce qui se passe dans ma vie. Heureusement, ils ont tendance à bien recevoir mes écrits, et je n’ai rien à cacher dans ma vie.
Ma première crise
Je suis comme tout autre citoyen vivant seul avec son appartement à 62 ans. J’ai un studio à 45 minutes en transport en commun de mon appartement. Je mange dans une banque alimentaire plusieurs jours par semaine, ce qui allonge un peu mon salaire. J’ai des activités, et quelques amis. Jusqu’à présent, tout va bien. Mais ai-je les compétences pour vivre seul?
J’ai survécu à ma première crise – une tempête de verglas qui m’a coupé le courant pendant trois jours. Frissonnant sous les couvertures, je m’en suis sorti.
Mais je me demande si j’ai atteint le niveau de ma propre incompétence. Si je ne suis pas allé au-delà de là où je suis à l’aise. La prison est cruelle et dure, mais on ne s’y sent jamais seul. Vous êtes toujours surveillé. Maintenant, je sais que je ne suis pas intrinsèquement criminel, que si je ne suis pas supervisé, je ne ferai pas demi-tour et dévaliser un dépanneur.
Tout seul dans la rue sans supervision semble parfois toujours un peu weird. J’errais solitaire nuage… Il n’y a pas de cachet sur ma tête pour dire aux autres que je suis un condamné à perpétuité en liberté conditionnelle.
Mon esprit tourne vers le principe de Peter.
Le principe de Peter est un concept de gestion développé par Laurence J. Peter, un éducateur de Vancouver, qui a observé que les personnes dans une hiérarchie ont tendance à s’élever jusqu’à « un niveau d’incompétence respectif » : les salariés sont promus en fonction de leur réussite dans les emplois précédents jusqu’à ce qu’ils dépassent un niveau à dont ils ne sont plus compétents, car les compétences dans un emploi ne se retrouvent pas nécessairement dans un autre.
Voici comment fonctionne le principe de Peter : dans leur best-seller de 1969, Le principe de Peter, Laurence Peter et Raymond Hull donnent divers exemples du principe de Peter en action. Dans chaque cas, le poste le plus élevé exigeait des compétences qui n’étaient pas requises au niveau immédiatement inférieur.
Par exemple, un enseignant compétent peut faire un directeur adjoint compétent, mais ensuite devenir un directeur incompétent. L’enseignant était compétent pour éduquer les enfants et, en tant que directeur adjoint, il était doué pour traiter avec les parents et les autres enseignants, mais en tant que directeur, il était médiocre pour entretenir de bonnes relations avec la commission scolaire et le surintendant.
J’étais un détenu de prison très compétent et, malgré les difficultés de vivre dans un quartier très proche avec 20 autres hommes dans un petit bâtiment, un résident décent de la maison de transition. Mais ai-je les compétences de vivre tout seul dans la grande société québécoise?
Il n’y a qu’une façon de le découvrir, et c’est de le faire. Si je ne bois pas d’alcool, je crois que mes chances sont bonnes. De ne pas boire c’est une de mes conditions de libération conditionnelle. Si je mets pied dans un bar, ou bois une jolie Molson Export, je risque de retourner en prison. Et de gaspiller ma vie, car je suis alcoolique. L’alcool est puissant, sournois et déroutant. Il faut que je l’évite, point final.
Je dois l’éviter, pour conserver ma liberté.
Puis-je être un citoyen compétent? Ou me suis-je élevé au niveau de ma propre incompétence, m’étant bien acquitté de tous les autres niveaux précédents ? La seule solution pour moi est de ne jamais baisser ma garde, de travailler dur dans mon travail, d’être décent envers les autres, de donner aux gens le respect qu’ils méritent. Parce que quiconque peut utiliser un téléphone portable mérite mon respect. Ce n’est pas facile quand vous sortez de l’époque des hommes des cavernes des années 1980, quand nous devions composer nos téléphones qui avaient un cadran.
Vraiment, je ne plaisante pas. Un cadran rond, avec des trous pour des chiffres.
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