L’Indice de souffrance numérique (ISN) : le nom peut sembler provocateur, il n’en est pourtant rien. Il se veut un sonneur d’alerte quant à la souffrance des jeunes telle qu’elle s’exprime sur les médias sociaux, mais aussi sur les plateformes numériques les plus utilisées par les jeunes.
Initiée par l’organisme communautaire Survivre, la recherche sur l’ISN (acronyme de l’indice) supervisée par Isabelle Pellerin a présenté le rapport préliminaire de ses conclusions à l’automne 2018 par le bias de son mémoire intitulé Indice de souffrance numérique : un nouveau langage de crise. Sans dévoiler de résultats complets afin d’éviter qu’on en tire des conclusions trop hâtives, elle s’alarme d’ores et déjà quant au peu d’implication et de sens des responsabilités dont font preuve les entreprises sur Internet.
Un texte de Delphine Caubet – Dossier Santé mentale
Nous avons demandé plus de précisions à Isabelle Pellerin (analyste principale de la recherche) : « Une personne, quels que soient son âge et son état émotionnel, peut faire une recherche sur des mots-clés tout à fait alarmants, autodestructeurs, et on ne fera que lui présenter une page d’avertissement au sujet des dangers pour sa vie que représentent les sujets qu’elle recherche. Ensuite, elle n’a qu’à cliquer pour poursuivre vers une marée de messages que je juge objectivement pour le moins dangereux ! »
Autre problème, plus subjectif celui-là, toujours selon madame Pellerin, est que « ces avertissements désengagés n’ont pas le visuel ou la composition visant à réellement empêcher de poursuivre vers le contenu.
«Il est plus facile d’accéder à des conseils pour savoir comment se suicider, ou se faire mal, que de voir une page que Google juge non sécurisée pour une carte de crédit ! En clair, une fraude sur une carte pèse plus en enjeux de sécurité que de filtrer du contenu dangereux pour la vie des personnes en détresse. »
C’est une tâche colossale pour la jeune chercheuse indépendante Isabelle Pellerin de superviser la cueillette de centaines de milliers de publications de jeunes sur les médias sociaux. C’est que cette souffrance, telle qu’exprimée en images, en mots et en vidéos, n’est pas sans interpeller les chercheurs impliqués. Creuser ouvre de nouveaux territoires, les chemins sont nombreux et la détresse des jeunes est omniprésente. Et ils savent brouiller les pistes pour demeurer seuls, entre eux, loin des regards que les adultes ou intervenants du milieu pourraient poser.
« On a fort à faire, explique Isabelle Pellerin, pour établir le lexique, le verbe de la souffrance. Il ne s’agit pas seulement d’un langage mais de toutes sortes de formes et d’expressions qui sont autant de symboles connus seulement des initiés à ces lieux numériques d’exposition de la souffrance émotionnelle. On parle en images, en couleurs, on codifie le message, on se fédère dans un mode de vie qui représente une spirale dangereuse où les jeunes peuvent bien laisser leur vie, malheureusement. »
Si le portrait que sont à dresser les personnes impliquées dans la recherche peut sembler sombre et alarmant, ce qu’il est aux dires des chercheurs, il n’en demeure pas moins qu’il présente de réels espoirs.
« Le langage, explique madame Pellerin, est le matériau de base pour se comprendre. Le lieu, c’est l’endroit où l’on se retrouve pour s’entendre, se lire, s’explorer pour mieux se comprendre. Il faut absolument cerner tout ce qui compose l’expression de la souffrance, toutes les formes, les couleurs que peuvent prendre ces messages. Ensuite, il faut savoir parler ce code pour trouver la souffrance, la déterrer en quelque sorte. Face à elle, on peut choisir de tourner le dos, de mettre sa tête dans le sable, ou de créer des solutions. C’est la troisième voie qui nous intéresse. »
Cet espoir, l’organisme communautaire Survivre le présente dans le coffre d’outils qu’il élaborera dès le printemps 2019 pour mieux outiller les intervenants du milieu, les parents et les pairs face à cette nouvelle forme de langage de souffrance. Fort du contenu de la recherche, Survivre entend proposer ces outils, en plus de la publication du mémoire, pour apporter une contribution différente à la prévention en matière de suicide.