« Nouvelle débutante pétillante et enthousiaste », « Babe de haut niveau avec un corps incroyable. Le fournisseur de plaisir ultime », « Une étoile sensuelle avec une réputation à garder », voilà quelques-unes des formules utilisées pour vendre les services des prostituées sur le site de l’agence « de rencontres » EG.
La majorité des « modèles » sont âgés de 21 à 26 ans. Sur leur fiche, on voit leur grandeur, leur poids, la taille de leurs seins – en précisant s’ils sont naturels ou pas – et leurs tarifs, oscillant entre 240 et 260$ de l’heure. L’agence répond aux appels et envoie la prostituée chez le client (« outcall »), ou celui-ci rencontre la femme dans l’un de ses huit condos, au centre-ville de Montréal (« incall »). Les trois copropriétaires se partagent 70 $ par heure pour une quarantaine de « travailleuses autonomes » qu’ils chapeautent durant leur quart de travail.
Pour la première fois, je rencontre un propriétaire d’agence d’escortes et je consulte des sites web et autres forums qui font la promotion de services sexuels. Je pars de loin, même si j’essaie de rester ouverte pour comprendre le « plus vieux métier du monde ». J’ai dû me référer à un dictionnaire urbain pour déchiffrer les acronymes utilisés dans l’industrie du sexe; « GREEK », « DKF », « DATY », « BBBJ », etc. Je vous laisse faire vos propres recherches pour trouver leur signification…
« Ses photos sont très jolies, mais des fois, ça cache des vergetures, une grosse perte de poids ou autres; je ne veux pas avoir l’air freak, je suis un gars qui aime ça TOP Notch », écrit QQlover sur Montreal Escort Review Board (MERB). Pour tous ces hommes, identifiés par des pseudonymes, magasiner une voiture, un BBQ ou une femme, c’est du pareil au même : la prostituée est un objet de consommation.
« Avant, les filles pouvaient donner un mauvais service. Avec les petites annonces dans les journaux, il y avait le phénomène du paid and switch (payer et changer); un homme commandait une Asiatique et se retrouvait avec une Africaine, explique John*, copropriétaire de l’agence EG. Maintenant, les clients ont le pouvoir en consultant les commentaires sur MERB. Les agences d’escortes professionnelles ne peuvent plus mentir sur la qualité des services offerts. »
Industrie lucrative
L’homme d’affaires me reçoit en tenue de sport dans sa maison de banlieue typique. Hormis la voiture Tesla devant la porte, rien ne laisse présager que le trentenaire mène une vie de luxe. Pour John, la fin justifie les moyens : « gagner beaucoup d’argent en travaillant moins ».
Son agence, qualifiée de « haut de gamme », vend des « GFE » : des « GirlFriend Expériences » (« expériences de petite amie »), c’est-à-dire que les prostituées se laissent embrasser, acceptent les cunnilingus, font des fellations sans condom et offrent « deux services » (deux éjaculations). Les tests pour dépister les infections transmises sexuellement et par le sang (ITSS) sont effectués à la discrétion des prostituées.
« Les policiers nous laissent tranquilles parce qu’on ne vend pas de drogues, on n’offre pas de filles mineures et on n’est pas violents avec elles. Elles sont là de leur plein gré et organisent leur horaire selon leurs envies. On n’est pas des proxénètes, on possède une agence de rencontres qui met en relation des hommes et des femmes », explique le latino à la verve facile en défendant de façon presque charmante son principal gagne-pain.
Mais quel est le tribut à payer pour les travailleuses du sexe en termes de santé physique et mentale? J’ai de la difficulté à comprendre comment une femme peut choisir d’être pénétrée par plusieurs hommes en l’espace de quelques heures, indépendamment de son désir sexuel. Selon le Conseil du statut de la femme, la plupart des prostituées ont vécu des agressions sexuelles (viol, inceste, pédophilie) avant d’investir le milieu du sexe. Il y a assurément une déconnexion entre le corps et l’esprit.
« La plupart des filles ont des daddy issues (mauvaises relations avec leur père) et plusieurs consomment pour faire des clients, explique John. Les filles font la job pour le cash et tombent facilement dans la fast life en gagnant plus de 1000 $ par jour. Elles veulent faire le party et s’acheter des sacoches Louis Vuitton. »
À mots couverts, le gestionnaire admet que les prostituées ne sortent pas de l’industrie avec plus d’argent; au contraire, elles le dépensent au fur et à mesure. « Je conseillerais aux filles d’avoir un objectif en devenant escortes. Oui, faire une passe de cash, mais pour un temps déterminé. Je ne veux pas les voir ici rendues à 30 ans », dit celui qui envisage de prendre sa retraite à 40 ans.
Après une vie d’excès et, souvent, parsemée d’épisodes de violence et de grande vulnérabilité, difficile pour ces femmes de retourner sur le marché du travail au salaire minimum sans aucune expérience à mettre à leur cv. Une étude intitulée « La prostitution, il est temps d’agir », publiée en 2012 par le Conseil du statut de la femme, indique que les prostitués ont un taux de mortalité 40 fois supérieur à la moyenne canadienne et que 68% d’entre elles souffrent de stress post-traumatique.
Des bourreaux?
John considère néanmoins que ses filles ont de bonnes conditions de travail avec un salaire plus qu’intéressant et une clientèle haut de gamme. Le trentenaire ne les met pas sur un pied d’égalité avec celles qui sont dans la rue ou exploitées par des proxénètes violents.
« La majorité des clients sont des hommes mariés, des businessmans, des avocats, des médecins qui ont entre 35 et 60 ans. Nous avons une clientèle assez importante d’Asiatiques et de personnes introverties », explique John. Selon lui, l’agence sauve des mariages et évite que certains pédophiles passent à l’acte. « Plus les filles ont l’air jeune, plus elles sont populaires. »
« Plusieurs ne pensent pas que leurs comportements sexuels causent du tort aux victimes ou, tout simplement, ils se justifient en croyant que leurs besoins sexuels sont incontrôlables », explique M. James, professeur de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières, dans l’un de nos articles sur la prostitution juvénile.
À une exception près, John n’a jamais reçu d’appels de femmes qui souhaitaient acheter des services sexuels. « Les filles n’ont pas besoin de payer pour avoir du sexe ». Dans notre société patriarcale, je dirais plutôt que les femmes – qui ont aussi des besoins sexuels – auraient plus de difficulté à profiter d’un homme ou d’une femme, peu importe ses enjeux de consommation, d’estime de soi ou d’appât du gain. Prendre des humains pour des objets sexuels, c’est très violent.