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Notre pain quotidien 

Notre pain quotidien 

Par Marie France Bancel | Dossier Autochtones

Depuis longtemps je voulais aller à la Maison ronde ― le seul café autochtone à Montréal. J’en profite donc aujourd’hui, alors que mon cadran interne de noctambule s’est complètement renversé. Je m’éveille enfin au diapason de la lumière. Il fait un soleil d’amour et l’aube s’épanche en de divines brises. 

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J’arrive au square Cabot dans l’énergie échevelée de la ville en éveil. La Maison ronde m’apparaît comme un petit secret de pierres qui a longtemps piqué ma curiosité. Au comptoir, une jeune femme toute pimpante m’offre le « Mocassin Jo » fraîchement préparé. Je lui demande alors où je peux me procurer des infos sur le café, sa mission, ses projets. Une petite étincelle lui élargit le sourire. Ainsi, au lieu de me diriger vers les infos d’usage, elle vient s’asseoir à la terrasse avec moi. Avec ce geste simple et accueillant, nous mettons la table pour un échange enrichissant. 

Cette harmonieuse personne s’appelle Mélodie. À moitié Algonquine, elle affiche un visage basané relevé de cheveux châtains et d’un regard vert comme un feuillage de mai. Sa tête de « fucking Blanche », comme elle me la présente, lui a donné un beau défi pour s’intégrer ici. Car c’est elle qui gère le café, une initiative de l’Itinéraire pour les Autochtones que l’itinérance vient effleurer de trop près. En leur offrant l’occasion de s’intégrer au marché du travail, la Maison ronde leur permet de tresser des liens et de reconquérir leur autonomie. Une initiative du cœur qui donne du corps au tissu social.

Sous le soleil matinal dont je ne connais rien, je jase de vie autochtone que je connais si peu. Un rapprochement qui me donne le sentiment de toucher à quelque chose de beau, de vibrant, porteur de sens. De quelle manière pourrais-je offrir ma microcontribution à la réconciliation? La question, patiente, fait son chemin en moi. Or, n’ayant pas de réponse, je reste à l’écoute. Pour aujourd’hui, c’est à travers cette jeune femme que s’ouvrira la porte sur de nouveaux apprentissages. En faisant le voyage vers un autre point de vue, je me sens assouplie comme le pain qu’on pétrit.

Une petite femme vive et tout sourire m’apporte le bannique, spécialité de la Maison. J’y plonge avec appétit. Moelleux et riche, c’est un pur délice. Cela dit, un détail me frappe dans la rédaction de cette chronique : même mon Word ne reconnaît pas le pain des Premières Nations. Quand j’écris « bannique », il me suggère « banque » (!), « bannière » et « tannique ». Si le chemin jusqu’à l’autre passe par la parole, notre lexique devra s’être enrichi. 

Un quintette de jeunes hommes fébriles se presse soudain au comptoir. Tout de bleu vêtus, tirés à quatre épingles au point où on sent la tension dans l’étoffe de leurs rêves, beaux et bronzés, ils semblent partis à l’assaut du monde. Mélodie me quitte pour leur donner l’élan caféiné dont ils auront besoin pour dévorer leur prochain. 

 Au beau milieu de cette fougue étourdissante, le matin s’étire en tous sens. Et moi, sur un autre continent, je savoure en silence les rayons caressants, les couleurs qui se mêlent dans la danse des passants. Perdu dans ces horizons de béton, mon regard bute soudain sur la statue au milieu du square. Il s’agit bien sûr de Giovanni Caboto, débarqué à Terre-Neuve le 24 juin en l’an de grâce 1497. Du haut de son piédestal, il dégage une volonté de fer qui lui donne l’air de superviser les activités. L’éternité aidant, il a tout le loisir de contempler cette parcelle du Nouveau Monde, celui dont ses successeurs auraient voulu écarter les personnes mêmes qui à présent l’entourent à toute heure du jour.

Ne reste plus qu’un fantôme de métal, celui à qui on ouvre encore une fois les portes pour partager le pain. Ne reste plus que lui, notre devoir de lui rappeler que dans cette Maison bravement réanimée, il n’est pas l’hôte, mais l’invité.

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