Maringouins : une vraie histoire de marins
Si je vous dis camping et chaudes soirées d’été, il y a fort à parier que le premier mot qui vous vienne en tête soit maringouin tellement ces charmants petits insectes font partie du décor…et juste pour vous prouver à quel point ils s’invitent trop souvent à la fête, il en existe pas moins de 50 espèces rien qu’au Québec… 50 espèces de trop si vous voulez mon avis… Cauchemar de nos nuits d’été, le maringouin appartient à cette catégorie d’insectes dont la nuisance n’est pas proportionnelle à la taille, mais à la longueur du nom… D’ailleurs, vous êtes-vous déjà demandé d’où vient ce nom à la consonance bien trop sympathique pour une chose aussi désagréable?
Les premiers à se plaindre des maringouins sont les premiers voyageurs européens qui ont eu à subir leurs assauts lors de leurs incursions sur les côtes de ce que l’on nommait à l’époque le Nouveau Monde. D’ailleurs, dans un traité de médecine rédigé en 1631, un chirurgien normand propose quelques remèdes à ses confrères pour les prévenir de l’accueil douloureux qui va leur être réservé.
La première trace écrite est toutefois bien plus vieille; elle remonte à 1566, dans les textes d’un charpentier breton qui précise que ce mot est employé par « les gens de la place »; la place en question étant l’actuelle Floride.
Tous les dictionnaires aujourd’hui s’entendent sur l’origine très exotique du mot maringouin : il viendrait du tupi-guarani, une famille de langues amérindiennes qui étaient autrefois parlées sur les côtes du Brésil. Nous avons donc un mot d’origine brésilienne, utilisé en Floride au 16ᶿ siècle et qui se retrouve un siècle plus tard dans un traité de médecine sous la plume d’un Normand de retour du Nouveau Monde alors qu’on ne le retrouve dans aucun dictionnaire de l’époque. Comment un tel voyage est-il possible?
Eh bien, parce qu’au 16ᶿ siècle, entre la France et le Brésil, ont lieu beaucoup d’échanges commerciaux, notamment le troc d’un bois précieux de couleur rouge, lequel était transformé en teinture pour la florissante industrie textile de Rouen, capitale de la Normandie. Puisque les échanges commerciaux de l’époque se font par les mers, ce sont les marins qui rapportent en Normandie un mot appris des Tupis du Brésil : maringouin. Ces marins normands vont utiliser et diffuser ce mot partout où leurs activités commerciales vont les mener, notamment en Floride et en Nouvelle-France. Ce mot s’installe donc dans les parlers des colonies américaines, ce qui explique pourquoi on le retrouve aujourd’hui au Québec et en Acadie, mais aussi en Louisiane, ancienne colonie française; et dans des endroits assez éloignés de l’Amérique du Nord, comme en Martinique, en Guadeloupe et à Haïti; à l’île de la Réunion dans l’océan Indien; mais surtout dans une petite partie de la Normandie, autour du port de Honfleur, d’où des générations de marins se sont embarquées à bord de navires à destination du Nouveau Monde. En fait, de nombreuses particularités du français en Amérique ne se sont en réalité pas créées en Amérique, mais sur les côtes françaises, ou brésiliennes dans le cas de notre maringouin, et ce sont les marins français qui ont participé à la diffusion d’un vocabulaire encore couramment employé en Amérique francophone.
La prochaine fois que le survol d’un de ces insectes piqueurs au-dessus de vos oreilles vous empêchera de dormir, rappelez-vous de l’incroyable voyage de son nom dans de lointaines contrées, et peut-être que son origine exotique vous fera oublier son agaçante musique…