En 1975, Cris, Inuits et le gouvernement du Québec signent la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ). Une entente pour définir et encadrer le « qui fait quoi ». Ce premier traité moderne définit les compensations financières que le gouvernement s’engage à offrir aux peuples autochtones.
Contrairement aux Inuits, les Cris avaient déjà des leaders rompus aux questions légales et économiques, ce qui expliquait leur plus grande capacité à faire face légalement à l’État québécois. Quant aux Inuits, ils sont répartis dans 14 communautés, éloignées des services financés par l’État.
Les études postsecondaires pour les habitants du Nunavut sont très difficiles et les résultats, souvent mitigés. L’enfant doit quitter sa famille pour se rendre dans une ville située à 2 000 km de sa communauté. Tout y est différent. Température, mode de vie, langue, la façon d’enseigner et d’apprendre… Et le jeune Inuit demeure isolé, loin de ses pairs et de ses repères.
L’éducation des peuples autochtones a longtemps visé leur assimilation par l’éloignement de leurs communautés. Jusqu’en 1984, selon la Loi sur les Indiens, tout membre d’une Première Nation perdait son statut d’Indien lorsqu’il recevait un diplôme universitaire. Les derniers pensionnats autochtones canadiens ont fermé leurs portes en 1996 alors que les cadavres sont exhumés ces jours-ci.
Signatures forcées
Les compensations reçues de la CBJNQ et des autres conventions qui suivront devaient être gérées par les Inuits d’une façon autonome. C’est dans un tel contexte que j’ai commencé mon aventure dans le Grand Nord québécois, en 1995. Avant que les Inuits ne deviennent indépendants dans leur fonctionnement, je voyais, devant chaque Inuit qui devait entériner une décision, un Blanc du Sud lui tendre des documents en lui disant : « Signe ici ».
Jusqu’au jour au Minnie Grey, directrice de la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik,s’est exprimée haut et fort sur l’avenir de son peuple, autant devant les décideurs publics que les dirigeants d’organismes internationaux comme l’Organisation des Nations Unies (ONU). Grâce à elle, aucun Blanc n’allait plus exiger d’un Inuit qu’il signe un papier sans le lire, le comprendre et l’entériner. Mme Grey a été maintes fois décorée pour son implication au sein des communautés dans le Grand Nord. La dernière fois que je l’ai rencontrée, en 2015, nous recevions en même temps le prix hommage de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec.
Mon passage au Nunavik
De 1995 à 2000, j’étais au nord du 55e parallèle pour résorber une épidémie de suicides dans les communautés et former les travailleurs communautaires à devenir les prochains enseignants en Travail social. À la fin de mon mandat, j’ai dû remettre aux différentes autorités gouvernementales un rapport sur mes cinq années d’intervention.
Pendant sa rédaction j’ai été approché par plusieurs Blancs en position d’autorité dans le système de santé. On me proposait certaines tournures de phrases. On me suggérait de mentionner des événements auxquels je n’avais pas participé et dont je doutais de la véracité. Des déclarations qui auraient valorisé la présence et l’implication des Blancs du Sud, au détriment des Inuits en place.
C’était mal me connaître que d’imaginer que j’acquiescerais à ces demandes faites en haut lieu. J’ai signé un rapport relatant mes propres conclusions avec toute l’honnêteté qu’une telle démarche exige. En envoyant ce rapport, j’ai signé ma retraite du Nunavik. Je n’ai jamais été rappelé par la suite.
Je demeure aujourd’hui déchiré. D’un côté, je suis fier de voir le travail et l’implication sociale des membres de la communauté inuite, telles Minnie Grey ou encore Annie Alaku. De l’autre, j’ai honte des monstruosités que les gens du Sud leur ont fait vivre. À quoi peuvent-ils servir, nos mea culpa, si on ne fait rien pour rétablir un équilibre? Les inégalités se perpétuent encore.
[…] Un texte de Raymond Viger publié sur Reflet de Société […]