Après plus de trente années à recevoir les confidences de femmes violentées, agressées, violées, harcelées… je me permets quelques questionnements sur le consentement.
Un premier baiser est-il un consentement pour la suite ? Cette première étape est-elle un OUI à l’infini ? Le consentement ne doit-il pas être renouvelé à chaque étape que nous franchissons ? L’intimité a une limite qui devrait être respectée en tout temps.
On cogne à la porte. On attend que l’on vienne répondre. On doit être invité avant d’entrer dans la demeure. On ne défonce pas une porte qui veut demeurer fermée.
Le consentement doit être présent à tout moment. Une absence de NON ne veut pas dire OUI. À tout moment le OUI peut se changer en NON. Et cette nouvelle réponse doit être respectée honorablement.
Devant l’intimidation, un OUI n’est pas un OUI. Affaiblir la résistance d’une femme avec de l’alcool ou de la drogue ou toute autre façon n’est pas une façon respectable d’obtenir un OUI.
Vous me direz que ce sont des évidences. Des vérités de La Palice. Vous avez raison. Je me demande alors pourquoi tant de femmes m’ont confié leurs désarrois, leurs chagrins, leurs blessures émotionnelles suite à des moments d’intimité si difficiles.
Ou encore, pourquoi ai-je entendu tant de commentaires machos sur les façons de faire succomber une femme ? On ne parle même pas de la séduire. On veut la vaincre comme une proie. L’inscrire dans le registre de nos victimes. A-t-on appris seulement à faire tomber les barrières, les limites d’une personne qu’on désire comme si la séduction devenait une mission guerrière, un défi, un droit, un dû…
Sonnez l’alarme
La majorité des hommes sont respectueux des femmes. Mais un agresseur peut faire une grande quantité de victimes. Dans certains cas, ce sont plusieurs centaines de victimes qui ont été agressées, harcelées ou violées par le même homme. Un homme parfois bien en vue dans notre société. Un homme que l’on pourrait croire intouchable. Néanmoins, quelques femmes agressées ont tenté de faire valoir leur droit devant la justice. Les procès sont longs et pénibles. Les résultats peuvent parfois être frustrants. Malgré tout, il y a eu amélioration dans le dernier demi-siècle. Petite avancée sur une longue période.
Combien d’amis et de proches le savaient, s’en doutaient ? Combien de fois un individu est arrêté pour ses gestes impardonnables et l’on se rend compte que cela durait depuis des décennies ? Combien de personnes ont fermé les yeux ?
Il faut commencer le plus tôt possible l’éducation des garçons qui devraient devenir des hommes respectueux. L’intervention ne doit pas se faire exclusivement à l’école ou à la maison. Une éducation qui doit se faire auprès de tous les garçons pour apprendre comment respecter les filles d’abord, puis les femmes éventuellement. Elle doit se faire dans notre vie de tous les jours.
Si, étant témoin d’un commentaire inapproprié formulé envers une femme, on se levait pour s’opposer et discréditer l’agresseur? Un certain nombre d’entre eux comprendraient la désapprobation sociale. Chaque garçon ou homme qui apprend les bonnes manières dans sa relation avec les femmes permet d’épargner des souffrances de centaines de personnes. C’est important de dire tout haut ce que l’on pense des gestes déplacés dont nous sommes témoins, surtout entre hommes.
Un agresseur interprète notre silence comme un signe de complicité. La déviance est une réalité qui s’amplifie avec le temps. L’agresseur en arrive à se croire au-dessus des normes sociales.
Mon père, pompier, me disait qu’un feu qui détruit une maison au complet débute toujours par une petite flamme que l’on pourrait éteindre en soufflant dessus. L’agresseur aguerri a débuté par un jeune avec un petit geste déplacé qui n’a pas été dénoncé. Et l’arbre a continué de pousser dans la mauvaise direction, jusqu’à devenir ce criminel endurci.
Agression sexuelle : consentement et capacité sont-ils liés ?
Rappel des faits
Lors d’une fin de semaine de camping, la plaignante de 16 ans allège qu’elle était incapable de consentir en raison de son état d’ébriété et qu’elle avait exprimé son non-consentement à l’activité sexuelle. Les accusés F et B sont déclarés coupables d’agression sexuelle.
Appel de la décision
La Cour suprême du Canada entend un appel le 14 octobre 2020. Le jugement est rendu le 14 mai 2021. Dossier 38801.
« Le consentement est l’assise sur laquelle sont fondées les règles de droit canadiennes relatives aux agressions sexuelles. Depuis des décennies, la Cour reconnaît que le pouvoir de l’individu de décider qui peut toucher son corps et de quelle façon est un aspect fondamental de la dignité et de l’autonomie de l’être humain » : R. c. Ewanchuk, 1999 CanLII 711 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 330, par. 28.
Le consentement implicite n’a pas sa place au Canada, et l’éventail des croyances erronées qu’un accusé peut légalement avoir au sujet du consentement de la plaignante est strictement limité par le Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46.» R. c. G.F., 2021 CSC 20, paragr. 1.
La capacité et le consentement sont inextricablement liés. Le consentement subjectif à une activité sexuelle exige à la fois que la plaignante soit capable de consentir et qu’elle le fasse effectivement. R. c. G.F., 2021 CSC 20, paragr. 2.
La Cour du Québec et les agressions sexuelles
Le 28 septembre 2021, un communiqué de presse de la Cour du Québec annonce la création de la division des Accusations dans un contexte conjugal et sexuel (ACCES). Ce projet est une suite au rapport Rebâtir la confiance, sur les réformes nécessaires afin d’améliorer l’accompagnement des victimes. Cette nouvelle division réorganise les activités judiciaires afin de mieux soutenir les plaignantes. Le tout serait en place début 2022.
Le 24 octobre 2021, la Presse Canadienne publiait que la juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau, n’avait pas été invitée par le gouvernement du Québec pour participer à la consultation de deux jours sur la Loi 92 visant la création d’un tribunal spécialisé en matière de violences sexuelle et conjugale. La juge estimait qu’il s’agissait d’une intrusion politique inacceptable dans le domaine judiciaire.
Le 30 novembre 2021, est entré en vigueur le projet de loi 92, LQ 2021, c32. Selon le ministre de la Justice et procureur général du Québec, Simon Jolin-Barrette, le Québec devient la première juridiction dans le monde à créer un tel tribunal.
Une première série de cinq districts dans lesquels sont déployés les projets pilotes de tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale sont déjà opérationnels : Québec, Beauharnois, Bedford, Drummond et Saint-Maurice. Suivront ensuite les districts de Laval, de Saint-François, de Mégantic, de Mingan et de Montmagny.
Un débat loin d’être terminé.
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