Née de parents sourds, Samme a dû assumer les responsabilités familiales dès sa jeune enfance. Dans la trentaine, elle a décidé de vivre pleinement son rêve de devenir chanteuse professionnelle ainsi que de donner de son temps et de sa générosité pour soutenir une cause dont elle connaît bien les enjeux. Depuis janvier 2020, elle s’implique comme ambassadrice de la Fondation des Sourds du Québec.
Un texte de Frédéric Lebeuf – Dossier Culture
Une enfance unique
Dès l’âge de 3 ou 4 ans, Samme gesticulait la langue des signes. C’est à ce moment qu’elle a compris que son père et sa mère étaient sourds : «Quand tu vas chez des amis et que leurs parents entendent, tu réalises que leur situation diffère de la tienne.»
«Ce n’était pas si simple que ça», s’exclame-t-elle à propos de son enfance. Assez tôt, elle a appris l’autonomie et le sens des responsabilités. Elle devait accomplir des tâches d’adultes. Par exemple, elle devait répondre au téléphone, tout traduire, prendre les rendez-vous médicaux et s’occuper de l’hypothèque.
Puisque la langue des signes est sa langue maternelle, ce n’était pas plus facile à l’école : «J’étais confrontée à des difficultés scolaires (spécialement en français). Des tuteurs et des orthophonistes m’ont supervisée dans chaque cycle et je n’ai pas connu l’aide aux devoirs à la maison». Comme la syntaxe et le temps des verbes sont simplifiés dans la langue des signes, elle éprouvait beaucoup de difficultés. Elle a dû travailler fort pour réussir à parfaire son français, et finalement commencer à assimiler la matière au CÉGEP.
«Parce que mes parents étaient limités, ils ne pouvaient pas décrocher n’importe quel emploi. C’était dur de nous en sortir financièrement étant donné que mon père gagnait le salaire minimum et que ma mère restait à la maison. Malgré tout, on a vécu de beaux moments en famille dans l’amour, l’harmonie, le respect et le sens de la communication», souligne-t-elle. Son père a été victime d’une malchance dans le ventre de sa mère : «Enceinte, ma grand-mère a contracté un virus qui a provoqué une méningite, ce qui a entraîné comme résultat la surdité du bébé.»

La famille de Samme (Ses deux parents et son frère)
La difficulté de communiquer
Même si elle pouvait bien communiquer avec ses parents, elle avoue que c’était difficile de dire ce qu’elle avait sur le cœur : «Je simplifiais le contenu afin de faciliter leur compréhension. Malgré que ma mère pouvait voir ce que je ressentais à travers mes expressions faciales, puisque les personnes sourdes développent leur sixième sens, je m’ouvrais peut-être davantage avec mes amis ou mon frère.» Elle devait répéter l’information à maintes reprises pour s’assurer que ses parents comprennent.
Sur le même principe, elle devait leur expliquer à nouveau lorsqu’ils ne comprenaient pas des éléments de l’actualité. Comme elle ne pouvait pas, à chaque fois, détailler parfaitement un concept ou une situation, des malentendus pouvaient survenir et ils pouvaient s’obstiner sur un point : «Ils ont peut-être rencontré des frustrations parce que j’étais leur fille et que j’en savais peut-être plus qu’eux. Est-ce que mes parents ont accepté leur condition ? Probablement, mais ils se sentent impuissants.»
L’intimidation, au cœur des combats
Beaucoup d’enfants et d’adolescents se moquaient de sa mère, étant donné qu’elle émettait des sons très aigus (à la Mariah Carey) lorsqu’elle parlait : «Ils nous voyaient comme des extraterrestres ou des singes parce qu’on gesticulait. Des jeunes lançaient des roches par la fenêtre et brisaient notre corde à linge régulièrement. Je ne pourrais pas te dire si elle se rendait compte de l’intimidation verbale dont elle était victime.» Samme avoue avoir pendant longtemps gardé pour elle ses frustrations concernant les gens qui riaient d’eux. Dès que ça dégénérait, son frère cherchait à défendre l’honneur de la famille en se battant. Comme Samantha Meloche (de son vrai nom) n’avait pas la langue dans sa poche, elle disait ce qu’elle avait sur le cœur. Si ça devait encore arriver aujourd’hui, elle ne se laisserait pas faire davantage.
Même si sa famille subissait de l’intimidation, elle n’était aucunement gênée de présenter ses parents à qui que ce soit. Au contraire, elle attendait avec impatience ce moment : «Un sentiment de fierté m’habitait. Mes amis se sont bien adaptés à notre vie. Ils adorent mes parents, qui les éblouissent et ils veulent apprendre à communiquer avec eux.»
La musique lui permet de se dévoiler
«Ça peut paraître bizarre, mais mon père aime beaucoup la musique», souligne-t-elle en dévoilant que son paternel est l’instigateur de sa carrière actuelle. Celui-ci s’amusait à enregistrer les vidéoclips de l’émission VideoDanse (à MusiquePlus), dans les années 1980, qu’il écoutait sur un gros et vieux système de son. Du matin au soir, il mettait le volume tellement fort que les fenêtres frémissaient. Les personnes sourdes ont la capacité de ressentir des vibrations. De plus, l’abondance d’effets visuels dans les vidéoclips le fascinait. Encore aujourd’hui, il en visionne sur YouTube et, dans le sous-sol, il monte le volume au maximum.
«Pour ma part, la musique me permet de m’évader dans mes rêves. J’en ai toujours écouté, tout le temps. C’est thérapeutique, j’ai besoin de ma dose tous les jours. Ça m’aide à passer à travers bien des choses. Ça me donne des idées et ça m’inspire. Jeune, j’étais très renfermée et je m’exprimais difficilement. Lorsque j’écrivais ou que je chantais, c’était plus facile de m’ouvrir.»
Quand, à l’âge de quatre ans, Samme a annoncé à son père qu’elle souhaitait devenir chanteuse, il l’a encouragée et n’a jamais arrêté depuis : «Mes parents m’ont toujours poussée dans ce que j’aime faire. Ils n’ont jamais douté que j’aie eu du talent. Lorsqu’ils assistent à mes spectacles, ils se fient aux commentaires ainsi qu’aux expressions faciales du public. S’ils le voient sourire ou pleurer, par exemple, ils perçoivent que c’est une mélodie émouvante.» Même si elle ne peut pas leur faire écouter le fruit de son travail, elle n’a pas vécu de ressentiment, de frustration ou de grosses peines à ce propos : «Je sais qu’au fond d’eux, ils m’entendent.»

La chanson pour ses parents
Sur son premier EP «Heureuse», paru au printemps 2019, elle a raconté son histoire par l’entremise de la pièce «Ma vie est un silence». Une composition originale qu’elle dédie à ses parents, ainsi qu’aux sourds et aux codas (les enfants de parents sourds) : «Au lancement du disque, je l’ai chantée. Je n’avais pas dit à mes parents que j’avais préparé une chanson complète pour eux, je voulais les surprendre. Je me souviens que ma mère pleurait tandis que mon père me filmait avec son cellulaire.»
«Avoir écrit cette mélodie, c’est ma plus grande fierté. C’est un texte précieux, à mes yeux. C’est ma vie, mon cœur et mon amour», confie-t-elle. Dans le vidéoclip de sa pièce, paru au printemps 2020, elle chansigne (c’est-à-dire qu’elle communique simultanément dans deux langues distinctes) aux côtés de ses parents : «Je leur ai demandé s’ils souhaitaient s’impliquer dans le vidéoclip, pour illustrer notre réalité.»
En tant que nouvelle artiste, elle ne voulait pas annoncer, à l’aube de sa carrière, la situation de ses parents. Elle a donc choisi de lancer «Ma vie est un silence» comme troisième extrait : «Je désirais que mon album se fraie son chemin afin que le monde apprenne à me découvrir. Je souhaitais qu’on me reconnaisse pour ma personnalité, ma musique, mes chansons et mes textes. Je suis encore une fille un peu réservée, je ne raconte pas facilement mon histoire à quelqu’un. Je vais attendre de mieux le connaître, je vais garder des choses pour moi.»
Destinée à être ambassadrice
Quand elle a chanté «Ma vie est un silence» lors du lancement de son premier album, beaucoup de personnes présentes ont partagé son interprétation sur les réseaux sociaux. Son «cri du cœur» s’est rendu aux oreilles de la Fondation des sourds du Québec qui l’a invitée à s’associer à eux.
Selon Samme, la langue des signes favoriserait une meilleure communication entre les personnes sourdes et les personnes entendantes : «Ce serait fantastique de faire apprendre à tous la base de cette langue pour aider concrètement les personnes sourdes. De plus, sans la langue des signes, comment les sourds pourraient-ils interagir entre eux ?»
Avant l’arrivée de la COVID-19, peu de personnes entendantes connaissaient l’interprétariat en langue des signes. Et pourtant, les interprètes sont indispensables pour les personnes sourdes, puisqu’ils leur transmettent l’information pertinente lors des conférences, des entrevues et des points de presse.
D’ailleurs, Samme propose aux écoles primaires et secondaires d’offrir à leurs élèves des ateliers sur les bases de la langue des signes québécoise ainsi que de leur faire découvrir le rôle des interprètes. Elle souhaiterait mettre de l’avant l’instauration de programmes postsecondaires (comme celui en communication et études sourdes au Cégep du Vieux Montréal) pour lutter contre la pénurie d’interprètes en augmentant la visibilité de ce type d’emploi.
«La culture sourde est encore méconnue, beaucoup de gens s’interrogent à ce sujet. Par exemple, est-ce que les sourds sont analphabètes ? C’est le cas pour certains individus, mais ce n’est pas généralisé. Beaucoup de sourds s’impliquent dans la société et maîtrisent très bien le français écrit et vont au cégep et à l’université», rappelle-t-elle.
Le besoin de s’impliquer
«J’ai toujours aidé mes proches. Cette fois-ci, j’ai envie d’aider les personnes sourdes à avoir une meilleure qualité de vie. Les personnes sourdes, je les connais bien. Être atteint de surdité, c’est faire face à plusieurs défis sociaux. C’est avoir recours à un interprète pour tous les rendez-vous importants, essayer de s’intégrer dans la société, de réussir à obtenir un emploi sans embûches, de trouver des moyens financiers pour payer ses études supérieures et tenter de réaliser des projets. Parfois, faute d’interprètes disponibles, une personne sourde n’a pas accès à ce service. À cause de sa surdité, elle ne peut pas dénicher un travail gratifiant et devra accepter un poste au salaire minimum. Cette personne peut même avoir peur de s’exprimer et risque de s’isoler de la communauté.»
«Avec tout mon cœur ainsi que ma plume d’auteure-compositrice-interprète, je veux m’impliquer pour pouvoir aider concrètement les personnes sourdes à s’exprimer dans notre société. Je souhaite les rendre fières de leur condition et je les encourage à se surpasser pour qu’elles accomplissent leurs aspirations professionnelles et personnelles.»
[…] texte de Frédéric Lebeuf publié sur Reflet de Société – […]
[…] First seen in: Reflet de Société, Vol. 28, no. 3, été (summer) 2020, pages 12-14 […]
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