Des féministes dénoncent l’érotisation de la violence dans le porno classique. La pornographie féministe et ses alternatives réussissent-elles à redonner aux femmes leur pouvoir et à faire le poids dans une industrie résolument masculine? Des sexologues nous éclairent.
Julie Lavigne (J.L.), professeure au département de sexologie de l’UQAM et chercheuse, s’intéresse notamment à la représentation de la femme dans la pornographie féministe, lesbienne et queer. Mahault Albarracin (M.A.), CTO, PhD en informatique cognitique et sexologue, est l’une des cofondatrices de Sexualis, une plateforme web québécoise offrant un éventail de ressources en sexologie.
Qu’est-ce qui distingue la porno classique de la porno féministe?
J.L. : Les productions faites par et pour des femmes partent d’un désir de créer une pornographie qui leur ressemble, qui témoigne de leurs désirs et besoins. C’est une forme de réappropriation de cet espace typiquement masculin qui ne considère pas la femme comme une spectatrice plausible. La porno féministe a aussi un désir de travailler les normes politiques et sociales. Depuis une dizaine d’années, je remarque aussi que la notion de consentement à l’écran est plus marquée. Certaines productions donnent parfois accès à un making-of du film, qui donne une perspective de l’envers du décor où travaillent ces femmes.
M.A. : Je comparerais la pornographie mainstream à un gros bonbon très sucré. L’accent est mis sur quelques aspects de la sexualité seulement, alors que la pornographie féministe offre plusieurs saveurs. On a accès à des corps plus variés et à différentes façons de vivre sa sexualité.
Les femmes peuvent-elles s’émanciper à l’écran dans des productions XXX classiques?
M.A. : L’un des problèmes de la pornographie faite par et pour les hommes demeure l’objectivation de la femme. On mise sur des plans très rapprochés de son visage et de certaines parties de son corps. Traditionnellement, la sexualité véhiculée dans les médias tend à placer la femme dans un rôle plus passif (elle reçoit et sert au plaisir de l’autre) tandis que l’homme y tient un rôle actif (il domine et part à la conquête de son plaisir). À force de regarder beaucoup de ce type de porno, le consommateur peut en venir à oublier le « sujet » (la femme) derrière « l’objet » (le corps).
Mais la porno mainstream présente aussi énormément de ce que l’on pourrait appeler des « hommes-pénis ». On ne voit que très rarement leur tête, pour que le spectateur masculin puisse s’identifier à l’action et la vivre par procuration. La caméra cadre surtout le torse et les organes génitaux. Ils ne sont pas très humanisés non plus, mais demeurent tout de même les personnages actifs du scénario.
L’érotisation de la violence est-elle aussi présente dans la porno féministe que classique?
M.A. : Il n’y pas d’érotisation de la violence dans la porno féministe. On peut y voir des pratiques BDSM, mais celles-ci sont consensuelles. L’érotisation de la violence est complexe et doit être nuancée. Est-ce que le consommateur s’identifie à l’image dite violente dans son entièreté ou en partie? Est-ce qu’il l’extériorise? Si oui, comment? Quelque chose d’aussi doux que de se faire embrasser peut s’avérer violent si ce n’est pas désiré.
Malgré tout ce qu’on en dit, la porno classique continue d’être la plus regardée, tous sexes confondus. L’offre des productions « faites par des femmes pour des femmes » a-t-elle un impact dans l’industrie du divertissement pour adultes?
J.L. : Bien qu’il s’agisse d’un impact encore marginal, l’apport de la pornographie féministe s’avère incontournable pour démontrer la diversité du vécu sexuel des femmes. Mais sur le terrain, les productions féministes queer, lesbienne, indépendante, artistique et autres sont encore méconnues. Bien souvent, les gens ne savent même pas que ça existe. Encore à ce jour, ce type de production est majoritairement regardé par des femmes.