Quand l’art passe à l’action: le temps d’une rencontre avec l’autre

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Mélina Soucy

Assises sur une terrasse éphémère, une vingtaine de personnes discutent en mangeant une soupe. Certaines rient, d’autres se choquent. Duos de personnes âgées, d’enfants, d’hommes, de femmes, tous d’origines différentes, échangent. Ils sont tous différents, mais une chose les réunit. Ils ne se connaissaient tous pas avant de partager cette soupe.

«On a créé l’événement Le temps d’une soupe, car on voulait inciter les gens à contrer la peur de l’autre, de l’étranger, de l’inconnu,» explique Annie Roy, cofondatrice de l’ATSA (Quand l’art passe à l’action), un organisme à but non lucratif (OBNL) qui dénonce les maux de la société par l’art depuis 1998.

Cet événement a pris naissance en 2015, année de l’attentat de Charlie Hebdo, de la création du groupe de pression politique la Meute et de la crise des réfugiés syriens, entre autres. «Avec les attentats, la crise des réfugiés, la suprématie blanche américaine, la montée du populisme, c’est nécessaire d’apprendre à se parler et d’apprendre à faire face à l’autre, croit l’artiste. Il faut contrer la peur de l’autre, c’est elle qui nous divise.»

L’expérience

Par une belle journée au parc Kent dans Côte-des-neiges, les piétons se font aborder par des serveurs de la terrasse créée par l’ATSA. «Ça vous dit une conversation avec un inconnu autour d’une bonne soupe?», proposent les serveurs aux curieux.

Une fois convaincus, les gens peuvent déguster leur entrée : un premier contact avec un étranger, contact où ils se présentent et choisissent la paire de chaise sur la terrasse sur laquelle ils échangeront pour les prochaines minutes. «Chaque paire de chaise est identique mais chaque paire est différente, fait remarquer Annie Roy. Comme les humains. On est tous des humains mais on est tous uniques.»

Le premier contact établi, soupe en mains et sourire nerveux aux lèvres, les nouveaux duos se font attribuer un sujet de conversation du menu créé par l’ATSA. «Que pensez-vous du 375ème de Montréal?, demande la serveuse. Est-ce un sujet qui vous convient?». Le sujet choisi, les duos d’inconnus peuvent déguster leur plat principal : la conversation accompagnée d’une soupe.

«On a travaillé l’expérience pour qu’elle soit ludique, explique Annie. C’est sous forme de restaurant, il y a des menus de conversations et la rencontre de l’autre est structurée comme un repas».

Tout bon repas se termine par un dessert. «On demande aux duos de créer une courte phrases qui représente leur rencontre, dépeint l’artiste.» Cette phrase sera ensuite immortalisée par une photo des duos. Les portraits de ces rencontres hasardeuses sont ensuite mis en ligne sur le site de l’ATSA.

Origines et avenir du projet

En 2013, Annie Roy et son partenaire de création Pierre Allard avait tenté l’expérience à Québec. «On avait seulement installé les chaises en deux longues rangées face à face, se rappelle Annie. Les gens déplaçaient les chaise pour se retrouver en groupes de connaissances et l’idée de parler avec un inconnu ne se concrétisait pas. Ça faisait en sorte que certains finissaient par s’isoler seuls ou en groupes de deux pour manger leur soupe. Ça tuait le dialogue.»

Pour remédier à ce problème, les artistes ont décidé d’imposer les groupes de deux, car cela oblige les gens à s’impliquer dans la conversation. «C’est dur de convaincre les gens de s’arrêter pour donner du temps à un parfait inconnu, démystifie l’artiste. C’est contre la logique du système, du capitalisme, de l’individualisme».

Les discussions sont souvent convenues avec les étrangers. « Ici on peut dire ce qu’on veut, il y a des idées qui s’entrechoquent, des rencontres qui se passent merveilleusement bien et d’autres moins bien, note Annie. Aller à la rencontre de l’autre c’est apprendre à faire la paix.»

Le temps d’une soupe partira en tournée mondiale dans la francophonie prochainement. L’OBNL annonce également le retour de L’État d’urgence. Créé pour la première fois en 1998 pour le cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’événement prend la forme d’un camp de réfugiés en plein centre-ville, où les artistes dénoncent une problématique sociale par année.

« Le thème de cette année, c’est les paradis fiscaux», annonce Annie. Le camp de réfugiés, où nourriture et dortoirs pour dormir accueillaient les sans-abris dans cet événement, existera toujours, pendant les 4 à 10 jours que durera l’événement.

La tournée montréalaise prend fin le 18 octobre, ne manquez pas votre chance d’aller à la rencontre de l’inconnu!

ATSA: court historique

L’ATSA forgent les esprits par leurs réalisations artistiques depuis la construction de leur Banque à Bas, une œuvre qui donnait accès à des vêtements chauds aux sans-abris en 1997. À l’origine, l’OBNL s’appelait l’Action terroriste socialement acceptable. À la suite du 11 septembre 2001, le couple de créateurs demande au Conseil des Arts s’ils devraient changer de nom. Ces derniers le leurs déconseillent, mais les artistes décident quand même de retirer le mot de leur site web.  Ils décident après quelques temps de mettre leur slogan de l’avant pour renforcer leur message pacifiste.

Depuis sa fondation, l’ATSA a réalisé plus de 40 projets interpellant la population à réfléchir et à agir sur des problématiques sociales, patrimoniales et environnementales. Leurs créations servent d’outils d’éducation populaire.

 

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