Il y a plus de trois siècles et demi, en 1648, un garçon, tambour dans l’armée, est condamné à Québec pour Convictus crimine pessimo, c’est-à-dire pour un acte homosexuel. Les pratiques homoérotiques ne seront dépénalisées qu’en 1969 au Canada. L’État fédéral le fera au nom de la reconnaissance des libertés de la personne qui sera codifiée, en 1982, dans une charte enchâssée dans la constitution fédérale. Dans ce contexte, le gouvernement canadien protège les membres-personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et en questionnement (LGBTQ+). Ce changement est somme toute récent dans l’histoire du Canada et du Québec. Retour sur le passé pour mieux comprendre le présent.
Des révolutions peu tranquilles
Le 14 mai 1969, le bill omnibus décriminalise, pour la première fois, les actes homoérotiques. « Nous n’enverrons pas de police dans les chambres à coucher pour voir ce qui se passe entre adultes majeurs, consentants, en privé », explique l’initiateur de cette mesure, le nouveau chef du Parti libéral, Pierre-Eliott Trudeau. En clair, la loi extrait du Code criminel la notion chrétienne de péché en matière de certaines pratiques sexuelles jusqu’alors criminalisées, en particulier la sodomie.
Pas de police dans les chambres à coucher au Canada. Pourtant, nos voisins américains condamnent encore les relations homosexuelles. La police débarque le 28 juin 1969 dans un bar gai au cœur de Greenwich Village, à New York. La descente tourne mal pour les forces de l’ordre. La clientèle résiste et repousse avec succès les policiers. Baptisé les émeutes de Stonewall, l’événement est commémoré dès l’année suivante par l’organisation de marches dans les grandes villes des États-Unis. Moment catalyseur des revendications de la communauté homosexuelle, la mobilisation traverse la frontière. En 1970, en accord avec l’air du temps, l’artiste québécoise Renée Claude chante C’est le début d’un temps nouveau.
En août 1971, les premières manifestations en faveur des droits des homosexuels sont organisées au Canada. Les participants demandent la fin des discriminations officielles à l’endroit des gais et des lesbiennes. L’année suivante, la communauté homosexuelle de Toronto célèbre sa première fierté gaie (Gay Pride).
Les événements rattrapent les législateurs. Le 28 juin 1976, l’Assemblée nationale du Québec adopte par un vote unanime la Charte québécoise des droits de la personne. Le vent du changement souffle fort. L’année suivante, la Loi sur l’immigration du Canada est modifiée afin d’éliminer l’interdiction faite aux hommes homosexuels d’immigrer au pays. En 1979, en commémoration des événements de Stonewall survenus dix ans plus tôt, une première fierté gaie est célébrée à Montréal. La communauté LGBTQ québécoise, par ce geste d’éclat, affiche publiquement sa solidarité.
Le sida sème la terreur
Malgré ces avancées, les années 1980 s’amorcent sur un air de déprime. La crise du sida s’amplifie. La stigmatisation aussi. Le virus frappe particulièrement la communauté homosexuelle. Depuis 1977, il est interdit aux hommes ayant eu des relations sexuelles avec un autre homme de donner du sang à la Croix-Rouge, l’organisme qui chapeaute la collecte et la distribution du sang au Canada.
Le 5 février 1981, la police de Toronto arrête près de 300 hommes lors de descentes dans quatre saunas. Le jour suivant, une foule de 3 000 personnes descend dans la rue. La journée de la fierté des lesbiennes et des gais est lancée à Toronto pour affirmer leurs droits. Elle attire 1 500 participants. L’événement fait des petits dans plusieurs villes du pays, dont Montréal et Québec.
C’est dans ce contexte qu’en 1982, la Constitution est rapatriée de Grande-Bretagne. Entré en vigueur en 1985, l’article 15 de la Charte garantit le « droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques », mais la Charte ne protège toujours pas les Canadiens discriminés en raison de l’orientation sexuelle. La lutte continue.
En 1992, la Cour fédérale met fin à l’interdiction faite aux gais et aux lesbiennes de s’engager dans l’armée. Deux ans plus tard, une décision de la Cour suprême autorise les demandeurs d’asile à motiver leur demande sur la base qu’ils sont persécutés en raison de leur orientation sexuelle dans leur pays d’origine. En 1995, les couples de personnes de même sexe sont autorisés, en Ontario, à adopter un enfant. L’année suivante, l’orientation sexuelle est ajoutée à la Loi canadienne sur les droits de la personne. En 1999, la Cour suprême statue que les couples de personnes de même sexe bénéficient des mêmes droits que les coupes de personnes de sexes opposés.
En 2002, la Cour supérieure de justice de l’Ontario statue qu’interdire le mariage entre personnes du même sexe constitue une infraction à la Charte des droits et libertés. Le 1er avril 2004, le premier mariage entre conjoints de même sexe est célébré au Québec, parachevant un long parcours de reconnaissance. Les droits participent à définir l’appartenance à la société civile. Le 20 juillet 2005, le projet de loi C-38 est officialisé, le Canada devenant ainsi le quatrième État de la planète à autoriser le mariage entre personnes du même sexe.
Le présent et l’avenir
Les années 2010 s’ouvrent sur de nouvelles revendications, en particulier de la part des personnes transsexuelles et en questionnement. En 2017, la loi C-16 ajoute l’identité et l’expression sexuelles au nombre des motifs de discrimination illicites devant la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le Code criminel est amendé en ce sens. La Charte québécoise et les codes des droits de la personne provinciaux incluent également de manière explicite l’identité de genre.
D’autres causes entourant les droits des gais et lesbiennes se dessinent. Terminons en mentionnant celle visant à interdire les thérapies de conversion, toujours autorisées par la loi dans de nombreuses provinces, dont le Québec. Les choses s’améliorent, mais tout n’est pas gagné.