Lorsqu’une abeille veut dire au reste de la ruche qu’elle a trouvé une nouvelle source de pollen, elle le fait par une danse. Lorsque nous voulons communiquer entre nous, nous utilisons la parole. Et le genre de langage que nous utilisons produit un important effet sur notre entourage.
Un texte de Colin McGregor – Centre fédéral de formation (Laval) – Dossier Chronique d’un prisonnier
Dans les prisons canadiennes en dehors du Québec, traiter un détenu de goof (maladroit, loufoque) vous obligera immédiatement à vous battre. En effet, il est très mal vu de ne pas frapper celui qui vous a qualifié de ce terme. Un mot pourtant bien innocent dans le monde libre, et sans conséquence partout ailleurs, comme dans le cas du bon chien Goofy de Disney. Mais l’amical Goofy ne vivrait pas longtemps dans une prison ontarienne.
Cependant, nous sommes de plus en plus conscients de l’effet des mots. Le langage compte. Il peut refléter, par exemple, notre attitude envers les sexes et les ethnies. Certains disent que la langue française est sexiste, car en cas de pluriel avec des éléments mixtes, le masculin l’emporte sur le féminin. Ainsi, s’il n’y avait qu’un seul homme dans une foule d’un million de femmes, il faudrait tout de même dire «ils sont», plutôt qu’«elles sont».
Cette ancienne règle remonte au Moyen-Âge. On pourrait voir dans ce pluriel masculin le simple équivalent d’un neutre qui manque au français. Mais d’autres ont voulu voir dans cette «préséance du masculin sur le féminin» l’expression d’un ordre social.
Chemises unisexes
Quand les Normands venus de France conquirent l’Angleterre en 1066, ils y apportèrent leur langue, avec ses féminins et ses masculins. Par contre, les Anglais parlaient déjà des langues germaniques comportant 3 genres: le masculin, le féminin et le neutre. La langue anglaise a grandi, tant bien que mal, à partir d’un méli-mélo de français et de langues germaniques.
À un certain point, on s’entendit pour ne garder que le genre masculin, de manière à ce que les conquis et les conquérants puissent au moins se comprendre. On a simplifié. C’est ainsi qu’on ne se soucie plus de savoir, en anglais, si une table ou une chemise sont du genre masculin ou féminin. Elles sont neutres.
Ça ne signifie pas que l’anglais est une langue idéale du point de vue de l’égalité des genres. Les anglophones débattent encore à ce propos. Ainsi, il n’y a aucune manière simple de parler d’une personne dont on ne connait pas le genre. Comme lorsqu’on dit: «Celui ou celle qui a appelé n’a pas laissé son nom (he or she didn’t leave a name).»
Sexisme anglophone
Le mot woman (femme) vient du vieil anglais wif (épouse) ajouté à man (une personne). Ainsi, l’anglais est aussi sexiste que les autres langues. La femme y apparaît comme un simple prolongement de l’homme.
En français, du moins au Canada, le fait de féminiser les noms de professions est considéré comme une bonne chose. Le fait d’écrire la présidente ou la docteure démontre du respect. Mais en anglais, si vous dites the doctorette, vous prenez un grand risque, puisque cela prend un sens péjoratif dégradant. Dans cette langue, les noms de professions demeurent au masculin, comme s’il s’agissait d’une sorte de neutre. Une professeure est un teacher et non a teacherette. Actress est maintenant considéré par certains comme sexiste: on dit plutôt actor sans considération de genre.
Pourquoi se préoccuper autant de sexisme dans la langue? Après tout, le banawa, parlé dans l’Amazonie, utilise le féminin pour parler des personnes en général. Pourtant, ses locuteurs traitent les femmes d’une manière horrible, nous dit le linguiste Dan Everett.
Le fait d’adopter des termes plus justes ne fait pas forcément de nous de meilleures personnes. L’auteur et psychologue torontois Malcolm Gladwell parle de «caution morale»: on utilise des paroles vertueuses, tout en continuant de se comporter de manière indigne.
Aux États-Unis, par exemple, on élit un président noir tout en continuant de maltraiter la population noire. «Nous avons élu un président noir», disent les États-Uniens, «nous ne sommes donc plus racistes!» On se donne ainsi la permission de faire du mal, tout en se cachant derrière de fausses façades.
Les actions parlent-elles plus fortement que les mots? Ce que nous disons a-t-il de l’importance? Il y a 2400 ans, le philosophe grec Démocrite, qui fut ridiculisé parce qu’il disait que toute chose était composée de minuscules atomes, avait aussi déclaré: «Les mots sont les ombres des actions.» Les mots importent, ils ont des conséquences. Pourtant, on peut aussi les utiliser pour cacher des actions contraires à nos paroles.
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