Sarah* a 14 ans. L’an dernier, elle fait la connaissance en ligne d’une fille de son âge et, de fil en aiguille, elles en viennent à s’échanger des images intimes. Malheureusement, son amie n’est pas une amie. C’est un homme de 27 ans, de l’autre côté de l’Atlantique. Sarah est loin d’être la seule à tomber dans le piège. Et en contexte de pandémie, les chiffres explosent.
Les jeunes étant beaucoup plus présents devant leur écran, les signalements de jeunes victimes d’exploitation sexuelle ont subi une hausse de 81% en avril, mai et juin 2020, selon le Centre canadien de protection de l’enfance (CCPE). En temps normal, c’est quelque 4 000 signalements par mois qui sont reçus, nous indique René Morin, porte-parole du CCPE. « Les policiers sont complètement débordés. Avec le phénomène du sextage, on remarque que de plus en plus de matériel est produit par des enfants », confirme-t-il.
Derrière l’écran
Les prédateurs sexuels ne sont pas les seuls à profiter de la technologie pour obtenir des images. Parfois, les victimes envoient des photos ou vidéos intimes à leur amour du moment. Ce dernier peut soit s’avérer malintentionné dès le départ, soit faire une « erreur » en partageant la photo avec ce qu’il croit être un seul ami, ou encore se retourner contre la victime à la suite d’une rupture. Trop souvent, ces photos envoyées entre adolescents se retrouvent sur une multitude de plateformes pornographiques.
Amélie Sauvé, sexologue spécialisée en enfance et adolescence, en a vu défiler, des jeunes dans son bureau. « Ils se retrouvent chez moi désemparés après avoir reçu une plainte, puisque le fait de partager un tel contenu peut amener un enfant à être accusé dès l’âge de 12 ans de distribution ou production de pornographie juvénile. » Dans ces situations, l’éducation et la sensibilisation sont au cœur du problème. « Ce ne sont pas des jeunes délinquants. Il y a un grand manque d’éducation sexuelle. C’est le syndrome du « tout le monde le fait » », constate la sexologue.
Dans le registre des prédateurs sexuels, le phénomène des cappers prend de l’ampleur et inquiète. Les cappers sont des personnes qui capturent des images d’enfants qu’ils ont amenés par la ruse à se livrer à des actes sexuels en direct. Ils se servent ensuite des photos ou des vidéos obtenues pour continuer à soutirer des images intimes (ou de l’argent) à ces mêmes enfants. Ils peuvent aussi utiliser ces images pour piéger d’autres enfants en se faisant passer pour de jeunes ados ; « regarde-moi, je le fais, fais-le aussi ».
C’est d’ailleurs le stratagème utilisé pour piéger la jeune Sarah. Après des semaines de discussions amicales, une première question louche :
- Toi, as-tu des petits picots à côté de tes seins?
- Euh, oui, c’est normal.
- Montre, voir?
- Ben non!
- Regarde, moi, je vais te montrer les miens.
Et il lui envoie des photos d’une précédente victime. Plus en confiance, l’adolescente partage à son tour quelques photos compromettantes. Après quoi le prédateur dévoile sa véritable identité et se met à menacer Sarah de divulguer les images si elle n’obtempère pas. Le cauchemar dure plusieurs semaines.
Accompagnée par le Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC), Sarah ne garde pas trop de séquelles de cette expérience. Elle est toutefois plus prudente, ne publie plus de photos d’elle en ligne et a diminué ses interactions sur certains réseaux sociaux.
Des victimes humiliées
Une campagne de publicité récente du gouvernement québécois sur le site fullcelebre.org a semé la controverse sur les réseaux sociaux. On y voit une jeune fille avec un sac de papier brun sur la tête avec le mot « Sexto » écrit dessus, et la description suivante : « Yasmine est devenue full célèbre. Ses sextos revendus sont disponibles contre sa volonté dans 25 pays sur 103 sites de pornographie juvénile ».
Si l’intention était de sensibiliser les jeunes de manière percutante aux dangers du partage d’images intimes, plusieurs y ont vu un discours dégradant envers les victimes. Sur Twitter et Facebook, les critiques ont été virulentes. Ce commentaire signé Audrey Poulin donne le ton : « Oui, les jeunes victimes ont honte et souffrent, et se sentent probablement comme sur votre image. Mais pourquoi ne pas les représenter comme étant des survivantes ou des battantes, plutôt que comme des victimes honteuses, cachées sous un vulgaire sac de papier?»
Selon Amélie Sauvé, il faut aborder le sujet avec beaucoup de sensibilité. « On est très vulnérable lorsqu’on partage quelque chose d’aussi intime. C’est souvent fait dans le but de séduire, d’attirer, comme preuve de confiance ou d’amour. La honte découle souvent du fait qu’on croit être le seul à vivre ça. Il faut valider, normaliser et inciter les jeunes à agir. On peut aider à contrebalancer le sentiment de honte en dénonçant, et en reprenant un peu le contrôle de la situation. »
Sarah a fini par se confier à une connaissance. L’adolescente avait entendu dire que cette dernière avait vécu une histoire similaire. Cette personne l’a ensuite guidée vers la travailleuse sociale de l’école, qui a communiqué avec la police… et la mère. « Ce qui m’a le plus marquée, c’est le fait que ma fille ne soit pas venue m’en parler. Depuis sa naissance, je travaille à instaurer un climat de confiance et de non-jugement. Mais la honte transcende la confiance, apparemment », se désole la mère de Sarah.
D’où l’importance d’en parler plus, sans tabou.
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