Mais à mesure que les jours et les mois passent, Alexia ne fait que pleurer. Même si Sylvie essaie de la consoler, de la comprendre, rien n’y fait. Sylvie constate qu’il y a quelque chose d’anormal: « En tant que maman, on ressent certaines choses et je voyais qu’Alexia n’allait pas bien. » Son entourage aussi se pose des questions. Certains trouvent qu’il y a quelque chose dans son regard, quelque chose que n’a pas la majorité des bébés.
Sylvie se rend alors plusieurs fois à l’hôpital consulter en pédiatrie. Tout le monde lui dit de ne pas s’inquiéter, qu’il est normal qu’un bébé pleure. Mais Sylvie n’en démord pas. Après plusieurs rencontres, les médecins décident enfin de faire passer à Alexia une batterie de tests qui s’étendra sur plusieurs mois, pour comprendre ce qui ne va pas.
Durant toute cette attente, Alexia ne communique pas. Elle ne parle pas, ne reconnaît pas son prénom, marche en rond et n’aime pas être touchée. « C’est un sentiment difficile à vivre, raconte Sylvie, de voir son enfant tomber et de ne pas pouvoir la prendre dans ses bras. Pour moi, c’était un échec en tant que mère. »
Ce n’est qu’à l’âge de 2 ans et 8 mois que les médecins posent enfin un diagnostic: Alexia est atteinte d’hyperactivité, d’autisme et de déficience profonde. La difficulté, pour ces types de troubles, est de trouver une médication appropriée. Il faudra attendre une dizaine d’années avant qu’Alexia ait enfin le traitement adéquat.
Pendant ce temps, plusieurs thérapies sont tentées: d’abord par les odeurs pour apprendre à déglutir, puis par pictogrammes pour comprendre une idée. Étant donné qu’Alexia ne parle pas, il faut trouver un moyen de communiquer. Ce sont les images: « Elle réagissait très bien aux images. Je lui montrais un bus, elle savait que c’était pour se rendre à l’école. Mais je ne trouvais pas ça assez réaliste alors au lieu de lui montrer ces images dessinées, je lui montrais des photos. Par exemple, quand je lui montrais la photo du logo de Saint-Hubert, elle savait qu’on allait manger du poulet. »
Alexia est une grande gourmande, confie Sylvie: « On m’a dit que c’était rare chez les autistes d’aimer manger. Alexia adore ça. Alors, je me suis dit que j’allais utiliser encore un autre système, celui des récompenses. » C’est ainsi que Sylvie se rapproche de sa fille et surtout, peut la prendre dans ses bras et l’embrasser.
Les impacts sur les parents
En parallèle, la relation de Sylvie et du père d’Alexia s’étiole. Alexia demande beaucoup d’attention et les deux parents n’ont pas beaucoup de repos. C’est pourquoi ils décident de demander du répit. Au début, une personne vient une fin de semaine par mois s’occuper d’Alexia à la maison, puis une fois par deux semaines, puis deux heures par jour. « Je pensais que cette personne ne pouvait pas véritablement nous aider. Tout tournait autour d’Alexia, alors je ne savais pas vraiment quoi faire. Mais finalement, j’y ai pris goût. Je pouvais sortir, faire mon épicerie… Plein de choses que je ne faisais presque plus », explique Sylvie.
Malgré toute leur bonne volonté, Sylvie et son conjoint décident de se séparer: « On s’était organisé pour la garde d’Alexia ; une semaine chacun, mais avec une journée de congé au milieu de la semaine, car c’était beaucoup trop psychologiquement et physiquement. » Sylvie court dans tous les sens et travaille à temps plein. « Je vivais ma séparation comme un échec, et le fait que ma fille n’accepte pas que je la touche faisait que je ne me sentais pas valorisée. C’était indispensable pour moi de garder mon travail… Même si je n’en pouvais plus, même si cette fatigue me rendait un peu gaga, je me disais que je ne placerais jamais ma fille. Je voyais ça comme un échec, je ne voulais pas qu’elle fasse pitié… Puis, je me suis rendue à l’évidence que je ne me défaisais pas de mon rôle de parent, mais plutôt qu’il me dépassait. »
Durant cette période, Sylvie rencontre un nouvel homme et c’est certainement l’amour qui l’aide à tenir bon: « C’est un homme qui m’a aimée et qui a aimé ma fille. Avec son amour, il m’a amenée ailleurs. Même si c’est fini aujourd’hui entre nous, je dois dire qu’il m’a beaucoup apaisée durant cette tempête. »
C’est lorsqu’Alexia souffle sa 9e bougie que Sylvie décide enfin de la confier en garde. « Ç’a été la chose la plus difficile à faire et à vivre ».
Alexia est gardée par différentes personnes, dont Marjolaine de la résidence Briand. « Elle la chérissait comme sa propre fille. Je me suis dit que j’allais enfin pouvoir avoir une vie normale » confie la mère. Mais Marjolaine tombe malade et n’est plus capable de s’occuper d’Alexia.
Depuis, Alexia s’est trouvé un nouveau foyer chez Angèle. « Mon ange », comme aime l’appeler Sylvie. Alexia vient d’achever trois années au sein de l’école Alphonse Desjardins qui accueille des élèves de 13 à 21 ans vivant avec une déficience intellectuelle moyenne à profonde, avec ou sans trouble du spectre de l’autisme: « L’équipe a été extraordinaire, pleine d’amour pour ses enfants. En tant que maman, même si je la vois plus proche du personnel, je suis contente de voir qu’elle peut créer des liens parce que je pensais qu’elle n’y arriverait pas », raconte Sylvie.
Pour son bal de fin d’année, Alexia porte une belle robe noire avec des chaussures pailletées: « Elle capotait sur les brillants de ses chaussures. Même si elle est autiste et a une déficience mentale, Alexia ressent les choses. Ce soir-là, je l’ai vue si souriante et heureuse… Elle ne s’arrêtait plus de danser. On a dû s’y prendre à sept pour qu’elle arrête! » rigole la maman.
Lorsque Sylvie jette un regard sur les 21 années passées auprès d’Alexia, c’est avec beaucoup de douceur et de tendresse qu’elle se confie: « Parfois je ressens de la peine, car Alexia ne m’a jamais dit “je t’aime” comme chaque fille peut dire à sa maman. Mais elle me le dit autrement… Avec ses yeux. C’est ce qui me réchauffe le cœur. »
Maintenant que l’école est finie, comme tout parent, Sylvie a de nouvelles appréhensions. Avec son nouveau compagnon qui aime Alexia comme sa propre fille, tous deux tentent de trouver un nouvel environnement pour qu’elle puisse continuer de s’épanouir : « À l’école, je n’avais plus d’inquiétudes, car c’était un milieu fait pour elle, pour socialiser. Mais nous n’avons pas les moyens financiers pour payer une nouvelle école, il va donc falloir que l’on s’organise. Mais avec Alexia, j’ai appris à vivre un jour à la fois, alors il y aura toujours des solutions au moment voulu. »
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