Dorianne et moi sommes des copines d’école. Nous partageons de beaux souvenirs ensemble. Par exemple, jouer dans la cour de récréation pendant de longues heures, nos mains gelées par la neige, ou se promener dehors après les heures de couvre-feu le soir de l’Halloween.
Un texte de Skylar Schaefer*
Dernièrement, Dorianne se posait la question suivante: « Sky, est-ce que l’un de tes grands-parents est une victime de l’Holocauste? »
J’ai été étonnée par une question aussi franche de sa part. Ce n’était pas dans notre nature de parler aussi sérieusement.
Ma famille est d’origine juive ashkénaze. Le sujet de l’Holocauste a toujours été tabou dans ma famille, ce qui explique que les seuls faits que je connaisse sont les suivants: la famille de mon grand-père paternel a quitté la Russie avant la Première Guerre mondiale, tandis que du côté de ma grand-mère paternelle, venant de la Roumanie, l’histoire n’a jamais été révélée à voix haute.
Du coup, la famille russe, en arrivant en Amérique du Nord et en voulant se fondre avec le peuple d’ici a décidé de changer notre nom de famille original pour qu’il sonne plus occidental. Jusqu’à ce jour, j’ai souvent des cauchemars de l’Holocauste et je me réveille en pleurant, car même si ça n’a pas été ma réalité à moi, je sais que ça l’a été pour ma famille. Je me suis toujours demandé si c’était un symptôme de ce qu’on appelle le traumatisme intergénérationnel– c’est-à-dire lorsqu’un traumatisme subi par une génération se transmet aux suivantes.
Déterrer le passé
Après la petite conversation parlant de l’histoire de ma famille, je me sentais absorbée par le sujet du traumatisme intergénérationnel. Je voulais en savoir plus sur ses effets, j’ai proposé à Dorianne qu’on discute du sujet. Elle a accepté.
Skylar: Dorianne, pourquoi as-tu soudainement eu l’impulsion de me poser cette question?
Dorianne: J’ai récemment découvert le sujet du traumatisme intergénérationnel et je me demandais si toi aussi, tu le ressentais…
Est-ce que cela signifiait qu’elle aussi en souffrait? Alors, ce n’était pas seulement moi qui ressentais la douleur de ma famille proche?
Skylar: Crois-tu souffrir de ce phénomène?
Dorianne: Je ne sais pas. Récemment, je n’ai pas arrêté de réfléchir au traumatisme dont ma mère a souffert durant le génocide cambodgien.
Pour la première fois, j’observais un côté d’elle que je n’avais jamais remarqué, un côté particulièrement vulnérable et blessé. Dans ses manières, il y avait un changement prononcé. Elle se tenait les mains serrées, jouait avec ses ongles et perdait un peu le contact direct avec mes yeux. On dirait que ce sujet l’intéressait, qu’elle voulait continuer à en parler, mais que ça la faisait souffrir en même temps. Nous avons continué notre conversation:
Skylar: Qui est la personne la plus proche dans ta famille qui a souffert du traumatisme de première main?
Dorianne: Ma mère, mes grands-parents, mes six oncles et ma tante ont tous souffert au Cambodge. Parmi eux, un de mes oncles et ma seule tante ont été tués lors du génocide.
Couchées sur le divan dans son sous-sol, avec deux autres de nos amies, on l’écoutait très attentivement pendant qu’elle continuait à nous parler d’un sujet aussi touchant.
Dorianne: Je me souviendrai toujours de cette petite anecdote que ma mère m’a racontée. Ce moment se déroulait en plein milieu de la journée. Ma mère et sa famille avaient fui les soldats par la jungle en espérant rejoindre le Viêtnam et s’y réfugier. Ma mère, qui était la plus jeune de la famille, se blottissait dans les bras de son grand frère pour franchir des murs. Je peux l’imaginer si clairement dans ma tête.
Cela faisait 12 années qu’elle était ma meilleure amie et je ne connaissais pas cette situation. Quand j’avais rencontré sa mère, je n’aurais jamais imaginé un passé aussi troublant. En effet, après cet échange d’anecdotes et d’échange de souvenirs, j’ai enfin réalisé que ce n’était pas seulement moi qui vivais avec le traumatisme intergénérationnel. La démarche de Dorianne découlait directement du traumatisme de sa mère.
Répercussions familiales
Le traumatisme intergénérationnel n’est pas à prendre à la légère. C’est compréhensible d’adopter des manières, d’avoir des inquiétudes, des insécurités, des peurs, et même des problèmes mentaux très profonds qui affectent la vie quotidienne. Cela impact donc la qualité de vie des générations suivantes, involontairement, par le transfert du traumatisme à nos proches. Maintenant, je commence à comprendre pourquoi mon père a toujours été très sévère en ce qui concerne mes sorties, les personnes que je fréquente, ou même la manière dont je m’exprime. Il a été élevé par un entourage profondément affecté par l’Holocauste. C’est un événement qui a causé tant de violence dans ma famille, un événement qui fait chuchoter ma grand-mère jusqu’à ce jour. Ce traumatisme coule dans les veines de mes ancêtres et maintenant dans les miennes.
*Un nom fictif à été utilisé
Qu’est-ce que le traumatisme intergénérationnel?
On parle de traumatisme intergénérationnel lorsque le traumatisme subi par une génération est transmis aux générations suivantes, affectant ainsi leur santé et leur bien-être. Le traumatisme peut survenir à un niveau personnel (p. ex., violence) ou collectif (p. ex., guerre).
Toute expérience traumatisante peut entraîner un traumatisme intergénérationnel. Les exemples d’événements traumatisants comprennent, sans s’y limiter, l’expérience des pensionnats autochtones, d’être un réfugié et de la violence physique ou sexuelle.
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